Préface des Éditions de Londres

« Le dossier 113 » est un roman policier d’Emile Gaboriau paru en 1867. Après L’affaire Lerouge et Le crime d’Orcival, c’est le troisième roman policier célèbre de Gaboriau. Il suit la même structure que le Crime d’Orcival et le futur « Monsieur Lecoq ».

Résumé

Le 28 Février 186X, trois cents cinquante mille francs en billets de banque sont dérobés chez le banquier Fauvel, rue de Provence. La police de la rue de Jérusalem apprend vite que seules deux personnes étaient en possession d’une clé du coffre et de la combinaison : le banquier André Fauvel lui-même, et son caissier, Prosper Bertomy. Le caissier est immédiatement soupçonné. Bien qu’il ait eu pendant longtemps toute la confiance de Fauvel, son comportement récent éveille les soupçons de la police. Prosper mène une vie dissipée, et fréquente une femme au passé douteux, Nina Gypsy, dont il n’est pas vraiment épris. Prosper est fou amoureux de la nièce du banquier, Madeleine, mais cette dernière, l’a éconduit récemment sans raison apparente. Pour compliquer cette affaire, on apprend aussi que Prosper fréquente deux curieux personnages : Raoul de Lagors, et Louis de Clameran. Ce dernier vient réclamer trois cent mille francs le matin qui suit le vol. Prosper est suivi par un ambitieux fonctionnaire de police, Fanferlot. Puis il est arrêté. Il est interrogé par le juge d’instruction, M. Patrigent. Pendant ce temps, la police poursuit son enquête. Fanferlot, surnommé l’Ecureuil, découvre l’existence de Nina Gypsy, et un motif qui aurait pu pousser Prosper à commettre le vol. Et pourtant, personne n’arrive à se convaincre de la culpabilité de Prosper, lequel continue à proclamer son inocence. Au final, il est relâché. De retour chez lui, il fait la connaissance d’un « ami » de son père, un gros homme nommé M. Verduret. Ce denier lui explique qu’il veut tout faire pour l’aider à laver son honneur. Ensemble, ils se rendent à un bal costumé où l’on retrouve tous les protagonistes de cette histoire : André Fauvel, Mme Fauvel, née Valentine de la Verberie, Raoul de Lagors, Madeleine, Clameran… Déguisé en paillasse, Verduret va faire un petit numéro à la Hercule Poirot, dont le sens reste assez obscur pour le lecteur, mais qui pétrifie Mme Fauvel, confirmant ainsi les soupçons de Verduret, ce qui lui vaut une tentative d’assassinat de la part de Clameran, Lagors et ses complices. Verduret en réchappe. Et il a tout compris.

Et c’est la deuxième partie qui nous conduit dans un passé proche, exactement vingt-cinq ans en arrière, sous la Restauration. Tout commence cette fois-ci, non plus rue de Provence, mais en Provence, à Tarascon. Gaston de Clameran est le fils du marquis de Clameran, un vieil homme qui se croit toujours en 1789, et qui n’a toujours pas avalé la Révolution. Gaston est un jeune homme fougueux, amoureux de Valentine de la Verberie. Le problème, c’est que les Clameran sont fâchés avec les de la Verberie depuis des générations. Un soir, dans un café près de Tarascon, il entend le nom de Valentine calomnié par des individus éméchés (Valentine, avec laquelle, fait assez rare pour l’époque, ses relations sont moins que platoniques). Afin de défendre son honneur, il se bat, et tue deux de ses agresseurs. Il doit s’enfuir plutôt que d’encourir les foudres de la justice. Louis, son frère, part à cheval avec le domestique Saint-Jean, afin de créer une diversion et d’égarer les gendarmes, mais il fait une chute, est découvert par les gendarmes, lesquels font aussitôt demi-tour, et se lancent à la poursuite de Gaston, parti dans l’autre sens. Pour leur échapper, Gaston se jette dans le Rhône. Mais il survit par miracle. Débarrassé de ses poursuivants, avant de partir, il revoit Valentine. Puis, à l’aide d’un vieux et discret passeur, il descend le Rhône dans l’espoir d’embarquer sur un navire pour d’autres terres. Dès qu’il apprend la mort de son fils, le vieux marquis succombe. Aussitôt, Louis vend tout, liquide tous les biens, et part pour Londres. Valentine découvre qu’elle est enceinte. Sa mère le prend très mal, et décide elle aussi de partir en Angleterre afin d’éviter le scandale. Une fois à Londres, l’enfant naît, et la mère de Valentine le « vend » à une fermière. De retour en France, la mère de Valentine, au bord de la ruine, tombe sur une vraie opportunité : l’ingénieur André Fauvel est amoureux de Valentine et, en échange d’un mariage, il pourrait régler les dettes de la mère et lui assurer une rente. Le mariage a lieu. Deux enfants naissent de cette union, mais Valentine ne sait toujours pas ce qui est arrivé à son fils.

Un jour, Louis de Clameran, en quête d’argent, apprend que Valentine s’est remariée. Il la retrouve à Paris, et lui annonce que son fils est sain et sauf. Il parvient à la convaincre d’introduire Raoul dans sa maison sous une fausse identité, afin qu’elle puisse le voir à loisir. Une fois dans la place, Clameran et Raoul vont tout faire pour soutirer l’argent de Valentine. Ils lui feront vendre tous ses bijoux et dépenser tout l’argent du ménage. Leur plan est prêt d’être découvert quand réapparaît Gaston de Clameran, de retour en France après vingt-trois ans d’exil au Brésil. En effet, par un hasard étonnant, c’est Gaston qui a pris contact avec le banquier Fauvel, sans soupçonner que ce dernier est marié à la femme qu’il a autrefois aimé. Louis se précipite à sa rencontre, et le retrouve. Puis, il l’empoisonne peu de temps après. Suite à ça, Clameran et Lagors élaborent un nouveau plan : dérober l’argent qui se trouve dans le coffre de Fauvel et faire porter la faute sur Prosper. Raoul joue une comédie au suicide, et prétextant de dettes impossibles à rembourser, il menace de se tuer. Il force ainsi sa mère à ouvrir le coffre, et vole les trois cents cinquante mille francs. Plus tard, Raoul est agressé par des hommes au service de son oncle, qui juge son neveu trop faible, et dont il méprise les problèmes de conscience, mais Raoul en réchappe.

Dans un élan de désespoir, Prosper a écrit une lettre anonyme au banquier Fauvel : il y laisse planer le doute sur la fidélité de sa femme et l’accuse d’avoir vendu tous ses bijoux. Fauvel constate aussitôt que la lettre dit vrai et que les bijoux de Valentine et de Madeleine ont disparu. Fou de rage, il retrouve Valentine et Raoul, et va pour les tuer, quand il est arrêté à temps par Verduret qui vient de faire irruption. On découvre alors que Raoul n’est pas vraiment le fils de Valentine, que le vrai Raoul est mort de maladie à l’âge de dix-huit mois. Clameran sombre dans la folie. Fauvel pardonne sa femme, Prosper épouse Madeleine… A la fin, dernier coup de théâtre : Verduret est en fait Lecoq déguisé, mais c’est aussi Caldas, celui dont on entend parler plusieurs fois dans le livre, et qui fut trahi par Nina et doublé par Prosper il y a longtemps, et qui a choisi de se venger en affirmant sa supériorité sur eux.

La formule Gaboriau

« Le dossier 113 » suit exactement la même structure que celle de son chef d’œuvre, Monsieur Lecoq : on commence tout de suite par le crime, sa description, suspects, découverte d’un deuxième niveau de réalité, plus complexe, progression dans l’enquête, puis rupture de la narration, avec un nouveau roman qui commence, racontant l’histoire qui apportera l’éclairage sur le mystère, jusqu’à remonter le temps jusqu’au moment de l’affaire, avec résolution.

Le style de Gaboriau évolue d’ailleurs au cours du roman. Au début, la partie policière est plus personnelle, dominée par l’inspecteur Lecoq, et ses méthodes, inspirées de Vidocq et qui inspireront Conan Doyle. La deuxième partie, celle d’une narration dans le passé, est plus « classique », voire dumasienne. Mais ce n’est pas que l’imagination prolifique qui étonne ; invraisemblables ou non, Gaboriau apporte beaucoup de soins aux détails. A la fin du livre, chaque détail trouve sa conclusion, chaque mystère son explication, chaque boucle est bouclée. Il influencera certainement Conan Doyle et Maurice Leblanc.

Une superbe peinture sociale de la fin de l’Empire

Ce sont toujours les mêmes thèmes qui dominent la réflexion sociale de Gaboriau, et qui correspondent à une réalité ancrée dans une époque : la richesse de la bourgeoisie parisienne, le matérialisme des mœurs bourgeoises, la ruine de la noblesse, sa rancœur et son amertume, et les moyens désespérés auxquels elle a recours afin de sauver son nom, quitte à se fondre dans les familles bourgeoises, la rencontre du peuple et de la bourgeoisie par le crime, le rôle du policier comme observateur mais surtout redresseur des torts de cette drôle de société. Gaboriau, ancien journaliste, qui vit de près le fonctionnement de la justice et de la police, dégage même par moments les prémisses d’une nouvelle morale sociale, celle que dévoile sa peinture de la société par le filtre du crime : « Tout se tient et s’enchaîne ici-bas. Si Gaston de Clameran n’était pas allé, il y a vingt ans, prendre une demi-tasse dans un petit café de Jarnègue, à Tarascon, on n’aurait pas volé votre caisse il y a trois semaines. Valentine de la Verberie a payé en 1866 les coups de couteau donnés pour l’amour d’elle en 1840. Rien ne se perd ni ne s’oublie. »

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