Académie française :

nom propre ou commun, qu’importe ; exemples : les quarante croûtons de l’Académie française ; les Immortels vont bientôt claquer ; « Quand je n’aurai plus qu’une paire de fesses pour penser, j’irai l’asseoir à l’Académie. » Georges Bernanos.

L’Académie française est une société de gens de lettres fondée en 1635 par Richelieu, le féroce dictateur du Dix-septième siècle.

Les Académiciens sont à l’origine de la falsification des mots dont les édiles des quarante dernières années se sont fait la spécialité.

Les Académiciens sont des gens curieux. Ils sont quarante. Comme les quarante voleurs, ils sont chargés par l’infâme dictateur du Dix-septième siècle de sceller le tombeau de la langue française, cette chose vivante et qui appartenait à tous. Avant l’Académie française, la liberté. Après, le Classicisme.

Les quarante n’ont pas de prétentions dictatoriales. Ce sont des gens coupés du monde, mais sans ambitions de domination planétaire. D’ailleurs, leur univers c’est la langue française…du Dix-septième siècle.

Aujourd’hui, l’Académie française est un anachronisme. Le symbole croulant d’un pays qui n’en finit jamais de refuser de changer, qui s’accroche à tout ce qui bouge, évolue, diffère, et le paralyse à coups de dictionnaire sur la calebasse de façon pathétique. On les appelle les Immortels. La langue littéraire qui s’éloigne de la langue parlée depuis trois siècles, cette façon ampoulée qu’ont tous nos écrivaillons de raconter leurs petites histoires, de coucher leur Moi sur le papier trois fois par jour en geignant qu’ils sont incompris, cette orthographe gréco-romaine désuète et démodée, tout cela, on le doit aux Immortels avec leurs uniformes napoléoniens et leurs sabres. Ils sont ridicules, ils sont inutiles, et pourtant on les aime. Ce sont les papys qui écrivent d’une main tremblante et déclament de leur voix chevrotante, des papys dans lesquels depuis toujours la France se reconnaît : le papy Clemenceau qui va sauver la France en danger, le papy père fouettard Pétain qui va nous sauver de l’Allemagne, le papy De Gaulle qui va nous sauver des putschistes d’Alger, le papy Jean d’Ormesson idole des jeunes.

Le papy académicien est l’avenir de la France. Le seul que la mort n’effraie pas dans un bateau qui sombre, le seul qui n’est pas prêt à tout pour sauver sa peau. Le papy à tricorne est l’essence de la France de la sénescence.

L’idéal des Français, ce sont les papys et le nirvana de la retraite, la dictée de Pivot et l’ordre national de la langue, les belles reliures des in-folio qui jettent des éclats mordorés sur le parquet.

L’Académie française est au centre de ces aspirations.

Avec leurs tricornes et leurs sabres en carton, les Immortels continuent à nous bercer dans l’illusion que ce monde ne s’est pas écroulé, qu’il vit toujours, que la France c’est l’héritage littéraire universel et pas « Baise moi » ou « Apocalypse bébé », la patrie des Droits de l’homme et pas celle des émeutes, l’aspiration à un monde meilleur et pas les prisons insalubres du Dix Neuvième siècle, le pays de cocagne et pas le plus grand exode hors des frontières depuis le néolithique.

Les Immortels sont comme l’Opus Dei : on ne les voit pas, on ne comprend rien à ce qu’ils font, on en oublierait presque leur existence. Et pourtant, ils sont là, terrés sur le quai de Conti, à attendre qu’un écrivain vende son âme pour l’accueillir dans leur antre où inlassablement ils passent les mots à la question.

Écartelés, torturés, les mots abjurent, abdiquent et se vendent aux Immortels tricornés pour l’éternité. Se moquer de l’Académie, c’est un peu se moquer de l’enfer de Bosch. Il existe toujours un point de non retour au-delà duquel les zygomatiques martyrisés se paralysent dans un masque d’effroi. L’Académie, c’est le cimetière des mots. Vivants, haletants ou sous perfusion, les mots agonisent dans les caves de l’Institut de France au milieu des odeurs de formol et de souffre. Ils agonisent pendant des siècles, puis disparaissent en fumée et s’évanouissent dans l’éther.

Pour libérer les consciences, il faut libérer le langage. La suppression de l’Académie devient une mission de salut public.

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