Préface des Éditions de Londres

« Pêcheurs de perles » est un reportage d’Albert Londres publié en 1931 suite à un voyage au Proche et Moyen-Orient pour aller à la rencontre des pêcheurs de perles. Tout en nous décrivant leur condition misérable, Albert Londres se livre à une description de la mer rouge et du golfe persique aussi pertinente que haute en couleurs. Si la pêche des perles ne semble plus intéresser grand monde en 2016, en revanche la description de l’Arabie Saoudite, des Emirats etc. dans les années vingt, du fonctionnement de l’Islam et de la montée du Wahhabisme, représentent un document extrêmement précieux.

Le sujet d’Albert Londres

Albert Londres veut peindre l’envers du décor. Les perles ne sont pas que l’ornement convoité des femmes occidentales, c’est aussi des vies humaines, des vies et souvent des morts. L’exotisme d’Albert Londres se situe sûrement à l’opposé de celui de Pierre Loti. Il n’y a rien d’exotique à regarder des handicapés et des hommes dont la vie est finie à peine passés les trente ans. Il n’y a pas non plus de pleurnicherie. Le journaliste dit la vérité telle qu’il la voit. Il va chercher les faits, et rien que les faits.

Il en profite naturellement pour dresser un portrait fascinant de la région, décrivant des cultures assez semblables dans l’ensemble et s’attardant sur la description du fonctionnement de l’Arabie Saoudite, régie par le Wahabbisme, dont Londres montre déjà l’intolérance moyenâgeuse.

L’itinéraire d’Albert Londres

Il annonce son itinéraire dès le début. Voici ce qu’il compte faire : il commence par Suez, puis Djeddah sur la côte du Hedjaz, les iles Farsans. Après, c’est l’Erythrée et les plongeurs de Massaouah. Puis c’est Djibouti, après la Somalie anglaise, puis il retraverse la mer Rouge, et il est à Aden. Puis c’est Haora, et Makalla, et ensuite Oman, à Muscat, avant d’entrer dans le Golfe Persique, à Linga, puis Dubai, avant d’arriver au terme du voyage, Bahrein !

L’Arabie saoudite

Il commence par décrire le hadj : « Cent cinq mille musulmans, échappés des quatre coins du monde, se bousculaient sur la terre sacrée…Je vous adjure de vous représenter cent cinq mille individus : Afghans, Javanais, Hindous, Egyptiens, Yéménites, Philippins, Soudanais, Persans, Irakiens, Sénégalais et Moghrébins, Chinois du Turkestan et Balkaniques de Macédoine, Bédouins, Boukariotes et Polonais… ».

Puis Djeddah : «Djeddah, la ville bâtie, est d’un aspect ahurissant. On s’attend à quelque chose d’arabe : maisons basses à toits-terrasses, et ce sont des palais fantastiques dont le délabrement ajoute à la noblesse. La moindre maison a l’air d’un château-fort construit par des dentellières. » ; « En dehors des pèlerins, la ville n’est jamais abandonnée, elle est régulièrement habitée par les mouches. Elles y furent apportées par les dits pèlerins de tous les pays d’Orient et d’Extrême-Orient. Pas une ne manque. Elles vont par millions, sans se mélanger, toutes conscientes de leur origine. La mouche de Java ne fréquente pas la mouche de Baghdad. »

Il fait ensuite une description stupéfiante mais pas si étonnante du code moral en vigueur et conclut : « Djeddah est une ville au VIIème siècle. Treize autres siècles sont passés sur le reste du monde, non sur Djeddah, le climat leur ayant fait peur. »

Et conclut : « La loi qui régit l’Arabie est la loi du Coran. Il faut connaître à quoi l’on s’expose quand on débarque dans un pays… » ; « Celui qui a tué est tué. Le voleur (premier vol) a la main droite coupée ; deuxième vol, le pied gauche coupé. Au cinquième vol il ne lui reste plus que ses dents pour voler… »

Il fait enfin l’une des premières descriptions des ravages politiques et sociaux du wahhabisme, l’un des quatre mouvements de l’Islam, le plus intolérant, et dont la diffusion internationale par l’Arabie Saoudite est l’une des principales causes de la propagation du terrorisme islamiste depuis trente ans. Le wahhabisme est devenu une anomalie dans une société moderne et mondialisée, tolérée puisqu’il faut bien garantir l’approvisionnement en pétrole, le « fix » des sociétés occidentales depuis cinquante ans. Vu de ce point de vue, l’Arabie Saoudite est juste un gros dealer dont on accepte les errements moraux et la mauvaise influence qu’il exerce sur les autres sociétés arabes parce que l’on ne peut pas se passer de ses drogues.

Voici ce que dit Albert Londres : « Le Wahhabisme, c’est le retour à la lettre du Coran. D’un seul coup de bride, cette secte arabe revenait à l’intolérance… C’était la condamnation de toute fantaisie, le bannissement des coupables douceurs, l’avènement de la Vertu. L’homme, pour son plaisir, aurait les armes, le goût de la guerre et les femmes, pourvu qu’il les épouse, quitte à les répudier. Entre temps, la prière et la prière seulement. Loi du talion pour régler les différends. Bâton, couteau, comme instruments de redressement, et défense absolue de penser par soi-même. Dieu avait parlé ; Mahomet avait transcrit ; tout était dit. »

L’Erythrée

Albert Londres se lance ensuite sur les traces de Rimbaud et d’Henry de Monfreid. Il rend compte de la pratique courante de l’esclavage, il traverse la mer rouge, arrive à Aden etc. Pour un peu il aurait rencontré la reine de Saba.

Bahrein

« On pêche les perles à Ceylan, au Venezuela, à Tahiti, en Californie, dans la mer rouge ; mais c’est ailleurs qu’il faut se rendre…là-bas se trouve Bahrein, la fameuse Bahrein, l’ile magique, où, chaque matin, les dames blanches, sortant du bain, apparaissent sur le sable, les mains chargées de perles. »

La condition des plongeurs

Il décrit le système d’exploitation qui maintient les plongeurs dans la pauvreté permanente et en fait des infirmes dès la trentaine. Il explique le système de financement de la pêche à la perle, dont la caractéristique principale est que ceux qui ajoutent le plus de valeur (les plongeurs, en trouvant les perles) sont aussi ceux qui sont le plus exploités, puisque le système fait qu’ils sont constamment endettés.

Jamais le romantisme du Dix Neuvième siècle puis du début du Vingtième siècle ne se sera autant nourri à une réalité si misérable.

© Les Éditions de Londres