Préface des Éditions de Londres

« La conspiration des milliardaires » est un roman d’aventures écrit entre 1899 et 1900 par Gustave Le Rouge et Gustave Guitton. Publié en huit volumes (sous forme de feuilleton), il est suivi par « A coups de milliards », « Le régiment des hypnotiseurs », « La revanche du vieux monde ».

Bref résumé

William Boltyn est l’homme le plus riche du monde, ou presque. Mais surtout c’est un redoutable patriote. Pour lui, les Etats-Unis ne devraient pas s’encombrer de la concurrence commerciale d’une vieille Europe décadente, dont les pires sont probablement ces français, toujours à tirer des théories générales sur tout, au lieu de penser efficacité, c’est-à-dire argent.

Son projet est donc de produire un arsenal (torpilles, sous-marins, train transatlantique…) encore jamais réuni afin de réduire à néant une fois pour toutes les prétentions commerciales et géopolitiques de la vieille Europe. Pour cela, il fait appel à l’ingénieur Hattison. Ce dernier a décidé de marier son fils Ned Hattison à Aurora, une jeune fille autoritaire et richissime, en Europe afin de mieux comprendre l’adversaire. Il envoie Ned en Europe afin qu’il espionne les secrets industriels des Anglais et des Français. Mais au lieu de faire son travail, Ned tombe amoureux d’une jeune française qu’il finit par épouser. Les milliardaires n’ont pas dit leur dernier mot.

Le premier roman

Si l’on retrouve l’influence de Jules Verne dans « La conspiration des milliardaires », on l’oublie très rapidement tant ce livre, malgré tous ses défauts (structure confuse, personnages parfois esquissés, hétérogénéité de style, passages écrits trop vite, narration décousue) est original. C’est de la science-fiction mise au goût populaire et ancrée sur les avancées possibles de la science et une vision géopolitique précise et cohérente. Le problème de Le Rouge, c’est qu’il souffre, comme l’on dirait aujourd’hui d’anti-américanisme primaire.

En dépit de toutes ses scories, et il y en a !, « La conspiration des milliardaires » n’est pas dénuée d’un certain charme et présente un grand intérêt documentaire mais aussi littéraire.

Par exemple, ses descriptions très « surréalistes » du voyage du sous-marin Aurora au fond des mers, qui évoqueraient par bien des aspects certains passages oniriques de Blake et Mortimer.

Ça, c’est pour l’intérêt littéraire. On se prend à regretter que Gustave Le Rouge, exemplaire feuilletoniste, n’ait pas renoncé à écrire tant, et décide de remettre mille fois sur l’ouvrage le volume en question, afin de retravailler le rythme de l’histoire, oublier les digressions inutiles, polir et lisser le style, développer les passages et idées intéressantes plutôt que de balancer les fruits de son imagination dans un gros fourre-tout, en espérant que le lecteur y trouve son bonheur.

Mais il y a aussi l’intérêt documentaire, sur une certaine époque, qui par bien des aspects ne nous semble pas si lointaine. Un intérêt documentaire fait d’innombrables stéréotypes : Albion y est perfide, le Français…Bien « Le Français est, ancré dans ses habitudes ; rien ne peut l’en faire démordre. Les inventeurs ne lui ont cependant jamais manqué ; mais il a toujours fallu qu’ils aillent à l’étranger faire appliquer leurs découvertes. » Quant aux Américains, voilà ce qu’ils disent : « Si les Européens nous sont supérieurs sur beaucoup de points, nous avons beaucoup plus d’initiative qu’eux ; nous savons encourager les inventeurs, et nos capitaux sont toujours à leur disposition. »

Le conservatisme scientiste de Gustave Le Rouge

Mais Gustave Le Rouge, outre d’être anti-américain, anti-capitaliste, n’est-il pas tout simplement conservateur et anti-modernité ? A notre époque où l’idée de critiquer la beauté de Paris s’apparente à un anathème digne d’excommunication, on oublie que nombre furent ceux qui ne goutaient pas des transformations haussmanniennes. Ainsi, Le Rouge : « Les maisons à six étages n’ont point encore tout àfait répandu, dans ces parages, l’ineffable laideur de leur style de cage à mouche. Ça et là, à côté de coquets pavillons entourés de jardins, de chancelantes et dégradées maisonnettes subsistent encore, vestige d’une époque qui n’a pas connu la beauté des bâtisses en carton comprimé. »

Et si cela ne suffit pas : « Nombreux sont les établissements, les cabarets, où l’on chante chaque soir devant un public jeune et enthousiaste, que n’ont point encore contaminé le pessimisme et la raideur voulue de l’élément anglais et américain, qui de plus en plus, pénètrent, en les défigurant, dans nos vieilles mœurs françaises. »

Finalement, quoique Le Rouge ait fait montre de prescience à propos des inventions militaires et de l’expansionnisme américain, ce ne sont pas les Etats-Unis qui seront à l’origine de la Deuxième Guerre Mondiale, comme Gustave Le Rouge l’aurait découvert s’il avait vécu un an de plus.

©Les Editions de Londres