Afrique :

nom géographique ; exemples : l’Afrique noire, l’Afrique subsaharienne, la nostalgie de l’Afrique.

On croit que l’Afrique est le berceau de l’humanité.

On se trompe.

L’Afrique n’est ni une histoire, ni une géographie. L’Afrique est un champ de mines idéologique.

D’abord, pour les médias français, l’Afrique, c’est avant tout l’Afrique subsaharienne. Lorsque l’on se rend dans sa riad au Maroc, quand on va en villégiature en Algérie, lorsque l’on visite les ruines de Carthage en Tunisie, quand on va en Libye (on ne va pas en Libye), ou quand on va faire sa petite croisière sur le Nil en Égypte, on n’est pas vraiment en Afrique, on est dans le monde arabe.

Si on s’aventure trop au sud, et que l’on rencontre des blancs, on est en Afrique du sud. Les Sud Africains ne sont pas des Africains. Avant, c’étaient des défenseurs de l’apartheid ; maintenant, ils restent les exploiteurs des autres Africains, les vrais, et les oppriment tant par leur domination économique qu’ils les poussent au crime. On sent toujours cette gêne du Français quand il regarde évoluer les Springboks, non pas tant parce que les bleus perdent toujours, mais parce que cette équipe africaine est une équipe blanche. Ainsi, si l’équipe de football (noire) d’Afrique du Sud est sympathique, joviale, créative, les Springboks (blancs) sont ennuyeux, disciplinés, et ne suscitent nulle sympathie chez le spectateur français.

L’Afrique, c’est avant tout l’Afrique francophone. Lorsqu’on parle d’Afrique, on parle généralement d’Afrique de l’Ouest ou centrale, mais pas de l’Afrique anglophone de l’est, du sud, et du centre. Si l’Afrique fut la victime des colonisateurs et si tous ses problèmes restent la responsabilité des anciennes puissances colonisatrices, il existe des bons et des mauvais colonisateurs.

Les Anglais par exemple sont de mauvais colonisateurs. Non seulement ils exploitèrent les Africains et les traitèrent comme des esclaves, mais de plus, ils se battirent contre les Français pour les chasser d’Afrique, alors que les colonisateurs français, eux, aimaient les Africains. Les Anglais méprisaient les Africains, ne s’y intéressaient pas, ils passaient leur temps à les massacrer avec leurs fusils. Ils ne folâtraient pas avec de belles femmes peules. Il faut se méfier du colonisateur qui ne folâtre pas.

Les Anglais sont des colonisateurs racistes. Les Français, pas vraiment. Les Français ont apporté leur langue, leur culture, ils ont construit des routes, ils ont invité les Africains à rejoindre leurs rangs pendant la première guerre mondiale, ils ont partagé leur popote avec eux dans les tranchées avant de les envoyer au devant des mitrailleuses allemandes.

En ces terres fertiles mais encore naïves, la France a porté les valeurs universelles pendant que les boys portaient les valises.

Et puis, notre ancien Président l’a dit, ou à peu près : la France a fait entrer l’Afrique dans l’histoire. Et la France ne s’arrête pas là. C’est généreux, la France. Les cadavres des tirailleurs sénégalais, on a leur accroché des médailles. Les pays africains, une fois décolonisés, on leur a envoyé des milliers de coopérants pour les aider. La terre rouge d’Afrique, on a construit beaucoup de choses dessus, ce qui rapporta beaucoup d’argent aux entreprises de travaux publics qui blanchissent l’argent de l’aide et exportent les pratiques de corruption dans le monde. Par exemple, la plus belle chaîne du monde occidental, TF1, c’est grâce à l’argent de l’Afrique que Bouygues nous l’offrit. La grande cathédrale de Yamoussoukro est l’ancêtre de la première chaîne commerciale française. Que le téléspectateur français ne l’oublie surtout jamais, lorsque tard au bureau il regarde avec condescendance l’agent d’entretien ivoirien : sans Yamoussoukro, pas de Navarro.

Mais tous ces dons et cette générosité ne sont pas suffisants. Il fallait une politique africaine. Dès les années soixante, la France décolonisatrice se met à la tâche.

Une politique africaine, cela signifie des bases militaires françaises de plusieurs milliers d’hommes dans six pays d’Afrique, des parachutistes, des légionnaires, des Mirage, des Famas, du sable chaud, le contrôle des aéroports internationaux, l’accès facile des chars Leclerc aux palais présidentiels. C’est ça, la France et l’Afrique. C’est la vérité géostratégique derrière l’illusion géographique.

Lorsque tout va mal pour le Président français, rien ne vaut une bonne petite intervention africaine pour se refaire une côte de popularité auprès des Français et porter haut la gloire de la France à l’étranger.

Giscard joua une partie de sa campagne de réélection sur l’assaut donné par la Légion sur Kolwezi, Mitterrand arrêta Kadhafi au Tchad, Chirac ne rechigna pas à la tradition de la Cinquième république ; seul Sarkozy n’accrocha pas vraiment en Afrique. C’est sûrement le côté Neuilly. Il essaya bien de se racheter en bombardant la Libye, mais c’était davantage une opération financière que militaire : il lui fallait éponger ses dettes de campagne auprès de Kadhafi. Quant à François Hollande, du fond de sa Corrèze, il répète avec un sourire : « Julie, on aura toujours le Mali. »

La France aime bien l’Afrique. Mais elle le montre bizarrement. Pour le comprendre, rien ne vaut une analyse approfondie du discours africain dans les médias.

Les journalistes français ne s’en prennent jamais aux populations africaines. Les Africains sont des innocents (en cela le discours raciste des années vingt infantilisant les Africains n’a pas changé d’un iota). Ils sont opprimés et ne savent pas ce qu’ils font. Les méchants, ce sont soit les dictateurs africains soutenus par Paris (Bokassa…), soit les Arabes expansionnistes (Kadhafi), soit les lobbies d’armement (Dassault), soit les entreprises de travaux publics qui les arrosent (Bouygues) ; quand ils s’entretuent sur des bases ethniques (hutus et tutsis au Rwanda et Burundi) ou religieuses (chrétiens et musulmans en Côte d’Ivoire), c’est la faute des colonisateurs français.

La grille idéologique est si fermement inscrite dans la tête du journaliste français que cette posture en devient parfois acrobatique.

Regardons le terrorisme en Afrique subsaharienne. Le traitement des médias intrigue. Tout est fait pour diminuer, réduire, atténuer. Dans les actes terroristes africains on trouvera toujours une distance, un recul exotique et tolérant vis-à-vis de celui qui a fait une grosse bêtise et qui le regretterait sûrement s’il pouvait lire sa honte dans « Libération ». Le bourreau n’est pas un vrai bourreau, il est davantage le produit malheureux d’un contexte historique et ethnique sur lequel il a peu de contrôle que maître de son propre destin maléfique.

Prenons le massacre de l’Université de Garissa au nord du Kenya, en 2015, symbole de la violence inouïe qui ensanglante l’Afrique. Cent quarante sept étudiants sont massacrés par des tueurs psychopathes au nom de l’Islam. Les journaux français vont faire plusieurs choses qui illustrent bien leur incapacité à traiter les faits pour ce qu’ils sont. Écoutez bien les rouages de la grille idéologique qui tombe sur la vérité meurtrie.

D’abord, les journalistes français ne vont pas trop en parler. Il y a des morts plus proches de nous, et disons-le, des morts plus importants. Puis il ne faut pas stigmatiser l’Afrique et les Africains. Quand les Africains se massacrent entre eux, ce n’est jamais par malice. C’est comme la sécheresse, ou des tremblements de terre ou des éruptions volcaniques, des choses qui arrivent mais dont ils ne sont que les acteurs accidentels. Ensuite, on va parler des terroristes de façon plus gentille : on va dire « les Shebab » ; ça fait un peu penser à une chanson de Khaled, ou un groupe de world music, on les imagine qui plantent la tente au milieu du désert et tapent sur des tambourins, une sorte de fusion arabo-sahélienne à mi-chemin entre la guitare berbéro-andalouse et la cithare malienne. Comme nommer c’est juger, « les Shebab », ça ne peut pas être aussi méchant que Al Qaeda, et certainement pas aussi méchant qu’une manifestation de dix blancs néo-nazis qui profèrent des slogans imbéciles sous protection policière.

Les Shebab, ce n’est pas réel. Ce n’est pas vrai puisque c’est exotique. Ensuite, au moment de traiter les exactions des Shebab, on va donner des chiffres, mais les précisions, il faudra les chercher ; tout se passe comme dans un mirage : ils arrivent, ils tuent, ils repartent, après quoi on les recherche, le président kenyan s’exprime, il est triste, les familles des victimes sont tristes aussi, et voilà, c’est fini. La réalité, c’est que les Shebab avec leurs tambourins ont voulu massacrer des étudiants par centaines, qu’ils en ont tué cent cinquante en leur souhaitant « Joyeuses Pâques », mais surtout qu’ils ont fait sortir les Musulmans et ont massacré les Chrétiens ; comme les Nazis.

On cible une Université, on tue les Chrétiens en épargnant les Musulmans ; on veut éliminer les infidèles comme les Nazis voulaient éliminer les Juifs et les homosexuels. Triste vérité qui ne sera pas mise en avant. C’est la différence avec la propagande des pays totalitaires. On ne profère pas de mensonges éhontés, on transforme, on modifie, on oublie, on jette un voile pudique pour cacher la misère.

Il en faudra des voiles pudiques pour expier cent cinquante ans de colonialisme, il faudra en raconter des balivernes et des absurdités afin de laver les pêchés de nos pères.

[R]