Préface des Éditions de Londres

« Gorgias » ou de la Rhétorique est un dialogue de Platon écrit vers 390 av. JC.

L’objectif de Socrate est de démontrer la piètre valeur morale de la rhétorique, autre façon de signifier son opinion des Sophistes.

Les personnages du dialogue

On a Socrate bien entendu, et Gorgias, qui donne son nom au dialogue, Polos, Chéréphon et Calliclès. Gorgias est un sophiste, Polos est un rhéteur sicilien, Chéréphon est disciple de Socrate, Calliclès est hôte de Gorgias. Le début du dialogue se passe devant sa maison. Le dialogue est compose de plusieurs sous-dialogues : il y a le dialogue entre Gorgias et Socrate, puis Polos et Socrate, et Socrate et Calliclès. Dans le premier sous-dialogue, Socrate demande à Gorgias de définir la rhétorique, ce que ce dernier a du mal à faire. Dans le deuxième, Polos vole au secours de Gorgias et tente de démontrer à Socrate la toute-puissance de la rhétorique. Mais c’est le troisième sous-dialogue avec Calliclès qui est le plus intéressant : Calliclès non seulement n’a pas honte de ses positions, mais il revendique le cynisme qui anime le rhéteur.

Le dialogue suit ainsi une certaine logique : Gorgias pratique la rhétorique mais ne sait pas la définir ; Polos s’en revendique et en vante les mérites ainsi que ses applications concrètes dans la vie, le pouvoir, la politique ; Calliclès ancre la rhétorique et son pouvoir de persuasion dans une conception cynique et pessimiste de l’existence et de la société. Avec cette évolution vers le pessimisme et l’égoïsme, on obtient les différentes phases de déclin de la société et de la démocratie, que Socrate s’échine à arrêter. Pourtant, « l’idéalisme » de Socrate sera vu par Aristophane comme symbole de déclin.

Socrate n’aime pas la rhétorique

En pratiquant l’art de la maïeutique avec son élégance habituelle, Socrate demande à Gorgias de définir son art et l’amène progressivement à admettre que la rhétorique n’est rien d’autre qu’un art de la persuasion, pas le reflet d’une réelle opinion. La rhétorique est l’art des gens sans aucune conviction. La rhétorique n’a rien à voir avec la recherche de la vérité, la rhétorique n’est pas une science, la rhétorique tire sa gloire de sa capacité à prouver une chose et son contraire. La rhétorique vise à la maitrise du langage pour en faire un instrument de manipulation. La rhétorique est l’ancêtre de la propagande, moteur de nos démocraties modernes. Seule la propagande donne aux peuples asservis l’illusion d’un choix quant aux décisions prises en leur nom par des experts qui prétendent détenir la vérité. La philosophie de Socrate facilite la prise de pouvoir de ces experts non élus qui prétendent tout savoir. La philosophie des Sophistes mène aux propagandistes qui fabriquent le consentement (voir Chomsky) des populations dociles.

Socrate n’aime pas les sophistes

Ainsi, la rhétorique définit le sophiste comme le sophiste définit la rhétorique. Gorgias n’a aucun intérêt pour la définition de la rhétorique ; ce qui l’intéresse, c’est sa pratique et sa mise en application. Pour Gorgias, la rhétorique est une joute oratoire ; ceci consterne Socrate. Et pourtant, les choses ne se passent pas comme prévu pour Socrate. Dans la deuxième partie du dialogue, il affronte Calliclès. Ce dernier est un cynique, jouissif, qui n’a pas beaucoup de considération pour les valeurs morales et vertueuses de Socrate. Contrairement aux autres, il ne joue pas le jeu. Socrate va devoir déployer tous ses efforts afin de venir à bout de Calliclès, le Nietzscheeien avant la lettre, provocateur, rageur et soi-disant amoral. Mais pour “vaincre” Calliclès, Socrate va devoir se transformer en sophiste.

Socrate n’aurait pas aime nos politiques

Nos politiques sont des professionnels, ce qui va à l’encontre des principes de la démocratie grecque, puisque les politiques (voir Castoriadis) y sont choisis au hasard et pour des durées fort limitées. En tant que professionnels, les politiques modernes ne travaillent plus pour le peuple, et prennent d’abord en compte leurs intérêts personnels puis ceux de leurs partis respectifs. Le problème est donc bien le professionnalisme de la politique. Le politique doit rester un sport d’amateurs. Pour cela, la solution la plus simple est avant tout de limiter la durée des mandats. Le renouvellement constant de la classe politique, qui implique des passages courts en politique, est le passage obligé d’un retour éventuel à la démocratie des origines.

Récemment, on assiste à une évolution encore plus inquiétante du langage dans le monde des politiques. Des politiques qui prétendent ne pas en être, refusent la rhétorique et l’art de l’argumentation et du débat, pour préférer celui du discours, permanent, répétitif, simpliste, inspiré par les slogans publicitaires ou encore les techniques de discours d’Adolf Hitler. Les brexiters, Nicolas Sarkozy, et surtout Donald Trump sont de bonnes illustrations de cette tendance inquiétante.

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