Chapitre 6.
La dernière chance de l’humanité

— Voilà, nous avons terminé. C’est notre recommandation.

La harpie se tourna vers l’anguleux et l’homme aux clés :

— Vous voyez, je vous l’avais toujours dit !

— Quoi? Que c’est complètement idiot?

— Non, cette musique…Le Blues, c’est la musique du Diable ! Depuis que le Blues est apparu…il y a eu le rock’n’roll, et le punk, le disco, le rap etc. Quelle horreur ! C’est évident, ça devrait crever les yeux, le Blues, c’est la musique de Satan !

— Tu exagères.

— Mais pas du tout ! Depuis les débuts du Blues, les gens vont de moins en moins à l’Église. Comment voulez-vous qu’on fasse concurrence aux guitares électriques avec un curé qui voit même plus les touches et des vieilles peaux qui s’étranglent au moindre contre-ut!

— Quand la musique est bonne, les gens sont moins pieux, dit l’homme aux clés en se raclant la gorge.

— Quand la musique est bonne…les gens sont moins pieux, répéta l’ange à lunettes d’un air perplexe.

Tous s’interrogeaient. Finalement Il chuchota quelques mots à l’oreille de l’homme aux clés. Ce dernier s’adressa aux deux hommes au fond de la salle :

— Nous vous remercions pour votre travail. Vos idées sont bonnes, mais nous avons pris notre décision.

L’homme aux cheveux blancs hésita, toussota et l’interrompit :

— Si…si je puis me permettre, quelle est-elle ?

— Le Déluge…

Il y eut un frémissement d’ailes dans la salle.

— Non, je vous en supplie, ne faites pas ça !…

Avant qu’ils aient eu le temps de protester, les deux hommes étaient revenus sur le banc. Cette fois-ci, c’étaient eux qui pleuraient. Ils avaient fait ce qu’ils avaient pu, mais c’était à Lui de décider. Après tout, c’était sa Création. L’homme avait trop déconné. Tout de même, c’était bien dommage : tout ce Blues, cette musique, ces livres, cette connaissance, et ces films, et cet art, et ces cathédrales, et ces villes, plus lumineuses que le ciel, et la beauté de la nature, perdre tout ça.

Dans la salle, c’était le chaos. Il y avait les partisans du Déluge, et ceux qui étaient contre. Les pro-Déluge demandaient un châtiment exemplaire, les anti-Déluge demandaient une dernière chance.

Au milieu du brouhaha, il se passa quelque chose d’étonnant. Un ange, beau comme la lumière, les cheveux d’or, les yeux bruns en amande, demanda la parole. On ne l’avait pas entendu pendant la durée des débats. Il écoutait tête baissée, occupé à faire de petits dessins sur des feuilles de papier immaculées.

Je ne suis pas d’accord, dit-il.

C’était comme si le temps s’était suspendu aux regards. L’assemblée des anges, tous, étaient pétrifiés par tant d’insolence.

— Qu’est-ce qui ne va pas, Gabriel ? demanda l’Omniscient.

— Un Déluge ne se décide pas à la légère.

— Quoi, critiquer l’Omniscient ?! dit la harpie. Bannissement, bannissement !

— Un Déluge demande une période de réflexion…

— On a assez réfléchi ! dit la harpie.

— Et si sous le coup de la colère vous faisiez le jeu de Satan ?

— Continue…dit-Il.

— Tout ceci est peut-être un piège, c’est le piège que vous tend Satan pour vous conduire au Déluge, et là, il aura gagné.

Il réfléchit. Tous attendaient.

— Mais que veux-tu ? dit-Il finalement.

— Donnez-moi trois mois. Si vous n’êtes pas satisfait, noyez tout sous des trombes d’eau.

— Que suggères-tu ?

— Envoyer quelqu’un.

— Envoyer quelqu’un ?!

— Oui, quelqu’un qui convaincra Robert Johnson de ne pas vendre son âme au Diable. Un émissaire.

— Et ?

— J’aurais prouvé que l’homme peut être racheté.

Il réfléchit, longuement, puis répondit :

— Tu sais bien que je n’interviens pas dans les affaires de Satan.

— Je sais.

— Et alors ? Tu veux y aller ?

— Envoyons un humain.

— Mais tu es fou, Gabriel! Il n’y a pas d’humain qui...

— Si, un humain suffisamment malin pour avoir une chance contre Satan, suffisamment fou pour risquer la damnation éternelle.

— Mais un homme capable d’un tel sacrifice, ça n’existe pas…Et puis tu sais ce que Satan fait aux humains qui le défient…

— Je sais.

— Et ?

— Je trouverai cet humain.