Préface des Editions de Londres

« 813 » est un roman de Maurice Leblanc publié en 1910. C’est la quatrième publication des aventures du célèbre gentleman cambrioleur par Les Editions de Londres. C’est aussi probablement le meilleur roman de Leblanc.

Bref résumé de l’histoire

Il y a deux parties, assez distinctes par le ton, et l’intrigue, mais qui se suivent et forment un tout. Ce sont « La double vie d’Arsène Lupin » et « Les trois crimes d’Arsène Lupin ». Comme il y en a pour cinq cents pages, nous sauterons allègrement un certain nombre de détails…

Résumé bref de la première partie

Tout commence par une multitude de meurtres dans un hôtel chic parisien. C’est M. Kesselbach qui est assassiné, et tous les doutes semblent se porter sur Arsène Lupin, qui pourtant ne tue jamais, mais il faut bien une première fois, comme dirait Gannimard. Lenormand, ancien de Cochinchine, mène l’enquête et ne croit pas à la thèse défendue par le juge d’instruction, celle de la culpabilité de Lupin. Il se lance donc avec ses hommes sur la piste des mystérieux criminels : le tueur au couteau effilé, et son complice, le major Parbury, alias le boxeur espagnol Ribeira, alias le baron Altenheim. Au passage, les indices se suivent mais ne se ressemblent pas : étiquette bordée de bleu portant le chiffre 813, lettres APOON, puis nouvelle étiquette avec le chiffre 813, homme mystérieux au doigt coupé …Un récit compliqué, mais bien maîtrisé où s’entrecroisent Lupin, Lenormand, l’affreux LM, le baron Altenheim mais aussi le prince Sernine. Lupin-Sernine est dénoncé à la police par LM, jeté en prison, puis on retrouve la trace de Lenormand que l’on croyait noyé. Jusqu’au coup de théâtre qui clôt la première partie.

Bref résumé de la deuxième partie

Lupin est en prison. Un jour, un personnage mystérieux lui rend visite dans sa cellule : c’est le Kaiser, l’Empereur d’Allemagne. Des papiers compromettants, se rapportant à un incroyable projet d’accord secret entre l’Angleterre, la France, et l’Allemagne, sont dissimulés dans un château. En effet, vingt ans avant les faits, les dirigeants des trois pays avaient envisagé un accord tripartite par lequel l’Allemagne recevait un grand Empire colonial en échange d’une modération de ses ambitions navales pour satisfaire l’Angleterre, et de la restitution de l’Alsace et la Lorraine à la France. Cet accord ne s’était pas fait, mais pourrait être très embarrassant pour le Kaiser s’il venait à être révélé au grand public (un peu comme la politique étrangère des Etats-Unis et WikiLeaks). Lupin se rendra au château, découvrira la cachette secrète, et pour cela résoudra l’énigme du chiffre 813. Mais avant cela, il devra découvrir la cachette impossible où Altenheim tient enfermé le vieux Steinweg, qui en en sait long sur les papiers, il échafaudera le projet de redessiner la carte de l’Europe grâce à une alliance entre un faux Pierre Leduc et sa Geneviève (qui est en réalité sa fille…) ; on comprend que Sholmès soit mentionné à plusieurs reprises mais jamais présent : il y a de quoi devenir fou. Au final, Lupin mettra la main sur les documents, les restituera au Kaiser sans que cette affaire lui rapporte quoi que ce soit.

Lupin, un personnage en quête d’ennemi

 Maurice Leblanc n’en finit pas de faire évoluer le personnage de Lupin, mais lui donne encore plus de profondeur non seulement en en accentuant le côté sombre (comme il le fait déjà dans L’aiguille creuse), mais aussi en montrant ses combats intérieurs, et en en multipliant les incarnations. D’autre part, il n’en finit pas de chercher un adversaire à la taille de Lupin. Ici, il innove encore. Après Sholmès apparu à la fin de Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, puis confirmé dans Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, après Isidore Beautrelet dans L’aiguille creuse, il invente un personnage dont on ne découvrira la véritable identité qu’à la fin de la deuxième partie: LM. Comme il s’inspira sûrement de Rouletabille pour Beautrelet, et de Holmes pour Sholmès, il serait tentant de dire qu’il s’inspira ici de Fantômas apparu à la même époque, mais nous n’irons pas jusque là. L’autre innovation, c’est que, après avoir inscrit les premiers adversaires du côté de la justice, Leblanc introduit ici un adversaire machiavélique (qui d’ailleurs est une femme), suivi plus tard d’un autre adversaire du côté du mal, La Comtesse de Cagliostro.  Et ce LM n’est pas le seul méchant ; son complice, le baron Altenheim n’est pas sympa non plus : il essaie de le noyer comme un rat dans une cave piège, puis tente de l’empoisonner, puis essaie de le faire assassiner par son complice au couteau, puis il le jette au fond de l’eau où d’ailleurs périt son fidèle Gourel… Heureusement, à la fin, on apprend que Lenormand n’est pas mort, et que de plus Lenormand et Lupin sont la même personne. Note intéressante pour les lupinophiles : après le malheur de L’aiguille creuse, Lupin est resté chef de la Sûreté pendant quatre ans ! 

Finalement, à force de chercher un adversaire à la taille de Lupin, à force de faire évoluer le personnage lui-même, est-ce que Leblanc n’essaie de pas de nous dire que le plus dangereux, le plus imprévisible ennemi de Lupin, c’est Lupin lui-même ?

L’influence de Dumas

En cela, le personnage de Lupin, sur son évolution au fil de quatre ouvrages, n’est pas sans évoquer d’autres héros célèbres de la littérature française, à savoir certains personnages de Dumas. De par ses multiples réincarnations, la noirceur de son enfance, l’impossibilité qu’il a de trouver une vie normale, l’impossibilité d’un amour durable, cette insolente confiance en lui qui ne le quitte pas, sauf lorsqu’il s’agit de mettre la main sur un évasif bonheur, ce courage, cette façon de ne jamais être pris au dépourvu, cet esprit calculateur, planificateur combiné à cette étonnante disposition pour se sortir des situations les plus désespérées, ce charme, ce complexe d’infériorité du à sa position sociale, cette envie de puissance mégalomaniaque comme substitut du bonheur, l’intrépidité, la force physique alliée à l’élégance, c’est évident : c’est une sorte de patchwork des qualités d’un d’Artagnan, d’un Monte-Cristo. Mais si on ajoute l’évolution du personnage, passant avec le temps d’une joie de vivre illusoire à une noirceur caractérisée par des tendances suicidaires, ou plutôt cette volonté de disparaître, comme il le fait à de nombreuses reprises, on a un héros dumasien. Mais il n’y a pas que ça. Maurice Leblanc, au-delà du travail des personnages de premier plan, ou plutôt du personnage principal, précédemment décrit, qui éclate d’autant plus que nombre des personnages secondaires sont caricaturés à l’extrême, la maîtrise narrative requise pour nous pondre un tel roman fleuve, le mordant des dialogues, l’entrecroisement des personnages et des situations, le côté visuel, presque diabolique de certaines situations (la cachette de Steinweg, la cave qui se remplit d’eau…), les énigmes, les rebondissements, jusqu’au coup de théâtre final lorsque l’identité de LM est enfin révélée, avec tout cela, l’élève a rattrapé le maître. « 813 » est un grand roman populaire dont Dumas ne serait pas peu fier. 

Lupin tire sa révérence ?

La guerre est proche, tout le monde le sait. Le roman sort en 1910, et la crise du Maroc avec l’Allemagne éclate en 1911. Puis trois ans plus tard, c’est la guerre. Le roman n’est d’ailleurs pas si anti-allemand que ça, ce qui paraît assez surprenant. L’élément d’espionnage, ce secret connu seulement des plus grands, cette course-poursuite entre la France et l’Allemagne, donne à ce roman policier une épaisseur étonnante. A la fin, Lupin s’engage pour la Légion Etrangère. Une nouvelle fois, il veut disparaître, mourir peut être. Et si Lupin, personnage inventé, donc immortel, en mourant cherchait à se débarrasser de son immortalité pour enfin prendre forme humaine ?

© 2012- Les Editions de Londres