Préface des Editions de Londres

L’ « Album Zutique » est un recueil de poésies d’Arthur Rimbaud, écrit entre 1871 et 1872. Dans cette œuvre assez particulière, Rimbaud et ses amis se pastichent entre eux, s’émulent, se provoquent, et surtout s’amusent à ridiculiser les poètes parnassiens.

Les poètes du cercle zutique, ce sont Rimbaud, Verlaine, Charles Cros, André Gill, Ernest Cabaner, Léon Valade, Camille Pelletan. Ils se réunissent à l’Hôtel des Etrangers, boulevard Saint-Michel, situé à l’angle des rues Racine et de l’Ecole-de-médecine. Dans une chambre du troisième étage, ils boivent, fument, blaguent, chantent, rient, et ils se récitent leurs vers.

Bon, inutile de le préciser à tous les adeptes de Rimbaud en « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », ces poésies là, aux noms évocateurs, Sonnet du trou du cul, Le balai, Nos fesses ne sont pas…, les fondateurs des Editions de Londres ne se souviennent pas de les avoir étudiées en classe. Et pourtant, c’est un tort. Elles font partie d’un tout.

Zutique

D’abord, de ce recueil qui n’a pas la popularité ni la renommée littéraire de Une saison en enfer, nous avons voulu honorer le titre. Que le mot Zutique soit la création ou pas du jeune Rimbaud, grand créateur de néologismes devant l’éternel, ceci ne nous importe pas. Nous avons choisi de le transformer en une image qui n’a rien à voir à voir avec le contenu souvent licencieux, obscène, scatologique du recueil. Nous avons écouté sa sonorité et nous en avons fait une image. Cette image, nous la voyons à la croisée de plusieurs mondes : BD, univers un orientaliste, arabo-andalou, et La guerre des Etoiles mode prequel.

La provocation

Qu’est-ce que la provocation entre 1870 et 1872 ? Qu’en savons-nous ? Que le devoir des poètes soit de provoquer, afin de tirer la société de sa gangue conservatrice et de la réveiller aux frissons jubilatoires qu’offrent les pulsions de vie, accessibles à tous, à l’inverse des réflexes thanatiques dont on saupoudre notre quotidien à chaque étape de notre routine sociale, cela nous n’en doutons pas. Il est du devoir du poète de provoquer la société comme il est celui du curé de donner le dernier sacrement, celui du gendarme d’arrêter le violeur d’enfants, de laisser filer le voleur de lapins, et celui du soldat de jeter son fusil plutôt que d’achever l’ennemi blessé.

Mais franchement, si l’ « Album Zutique » reste un exercice en provocation, qu’est-ce que la provocation à la sortie de 1870 ? Sont-ce des mots ? Pas tous ces mots dont Rimbaud inonde la langue française asséchée par vingt ans de Second Empire, remembrance, ressouvenir…Non tous ces mots qui évoquent l’inévoquable : scatologiques, incestueux, sodomites, hommes surmembrés, profanations en tous genres, tout le répertoire y passe. Sont-ce donc ces mots qui auraient aussitôt conduit Rimbaud et ses amis à la Bastille ou à la mort quelques décennies auparavant, les provocateurs ? Des mots qui amusent, choquent, évoquent un imaginaire sexuel presque vieillot, aux relents Freudiens de transgression ?

Les actes et les mots

Ou la provocation, est-ce Napoléon III qui massacre la population parisienne au nom de son Coup d’Etat, la corruption généralisée, la destruction du Paris éternel, la misère, les fusillades contre les manifestations ouvrières, l’esclavage sexuel de milliers de pauvresses dans les bouges de Paris, le travail des enfants, les crucifiés de la guerre de 1870 aux ordres de généraux stupides, est-ce la Commune et ses trente mille morts, exécutés au nom de la justice du peuple par les suppôts de la bourgeoisie parvenue et des puissances étrangères ? Tout ça, serait-ce provocant ?

Alors, la prochaine fois que nous entendrons un gros mot, un blasphème, des paroles de rap qui dérangent, pensons à l’ « Album Zutique », et surtout demandons-nous : qu’est-ce qui est vraiment choquant ?

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