Préface des Editions de Londres

« Les Cavaliers », anciennement « Les Chevaliers » est une pièce d’Aristophane écrite et représentée en 424 avant Jésus Christ. Il s’agit de la deuxième pièce d’Aristophane dans l’ordre chronologique des pièces conservées, et probablement la cinquième dans l’ordre total des pièces écrites, puisque, comme le savent tous les assidus lecteurs des Editions de Londres, on estime qu’Aristophane écrivit quarante quatre pièces, mais que l’on en retrouva onze. « Les Cavaliers » est une attaque contre le démagogue, autoritaire et va-t’en-guerre Cléon.

Le contexte historique : ça ne va pas fort à Athènes

Cléon s’inscrit dans une période de déclin de l’histoire d’Athènes. Il fait exiler Thucydide et poursuit Aristophane en justice. Cléon, à la différence de ses prédécesseurs, ne vient pas des grandes familles. C’est le fils d’un riche tanneur, fier de ses origines populaires. Les partisans de Cléon louent ses succès militaires contre Sparte. Les détracteurs de Cléon, parmi lesquels on compte Aristophane, moquent ses origines populaires, son manque d’éducation, sa vantardise, mais surtout, ils l’accusent de démagogie, dont la conséquence est la guerre incessante qui ruine Athènes, un des thèmes principaux des pièces d’Aristophane.

Démosthène, le général, prend le port de Pylos, en Messénie. Les Lacédémoniens ripostent et s’emparent de l’île de Sphactérie. Pylos, récemment pris, est maintenant encerclée. Les Athéniens envoient une flotte afin d’encercler les assaillants. Nous sommes dans une situation que les Hellénistes qualifieraient de double blocus, mais que les amateurs des films hollywoodiens appellent un Mexican stand off. Afin de débloquer cette situation, les Spartiates font le premier pas et envoient une ambassade à Athènes qui échoue dans sa mission par la faute de Cléon. Ce dernier part en guerre sous pression du peuple, et par chance s’empare de l’île de Sphactérie. Il revient sous les applaudissements populaires. En revanche, il ne convainc guère les Cavaliers, c’est-à-dire les citoyens athéniens constituant le corps de cavalerie ; ces derniers forment le Choeur de la pièce.

Bref résumé de la pièce

La pièce est une parodie symbolique d’Athènes livrée à Cléon. Deux esclaves se concertent au début de la pièce et se plaignent de ce qu’un esclave paphlagonien manipule le maître de la maison, Démos, c’est-à-dire le peuple. Ces deux esclaves, Démosthène, et Nicias, consultent les oracles et apprennent que l’esclave paphlagonien en question (Cléon) doit être supplanté par un marchand de saucisses, lequel fait aussitôt son apparition. De nouveau nous avons droit à une lutte verbale entre l’objet de la satire, ici Cléon, et l’instrument critique du dramaturge, celui chargé de porter les coups où ça fait mal, le marchand de saucisses. Evidemment, le marchand de saucisses l’emporte et Cléon est chassé.

Les Cavaliers, une pièce très actuelle

Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, à l’heure où nous écrivons,la France est en campagne présidentielle. Nous qui n’avons connu que les élections de la Cinquième République, et encore, quelques unes, nous en avons pourtant vu, des bateleurs de foire et des saltimbanques avides de récolter les petits bulletins avant qu’ils ne tombent dans l’urne. Et pourtant, nous n’avons encore rien vu de tel. En effet, depuis quelques mois, c’est un peu le jour des fous. Mais tous les jours. Tous les jours, tout est permis, tout est promis, pour chacun, chaque petite communauté geignarde et avide de protéger ses petits intérêts, quels que soient ses caractéristiques socioprofessionnelles, géographiques, économiques, démographiques... Pour la première fois, nous avons droit à cinq candidats avec de bonnes chances de faire au dessus de dix pour cent. Et avouons le, c’est à qui gagnera le premier prix de démagogie. C’est comme si chacun, en lieu d’un Logos brandi tenait un permis de… dire absolument n’importe quoi. A une époque où ce malheureux pays s’achemine vers la scission sociale, qu’il avance à petits pas vers la ruine financière, vers le divorce d’avec ses partenaires européens de plus en plus gênés, que le discours rebelle anti tous, étrangers, riches, pédophiles, religieux, islamistes, banquiers, est une garantie d’écoute de la part des petites factions qui lui sont inféodées, que la rhétorique s’écarte tant des actes que l’on s’inquiète pour nos malheureux intervenants quinquagénaires qui vont finir par se blesser à faire le grand écart idéologico-verbal, à cette époque, donc, on ne peut pas s’empêcher de penser à Cléon. Cléon le démagogue. Car cette fois-ci, on aura vraiment eu le droit à tout : un président sortant qui pénalise la consultation de certains sites Internet deux heures après la clôture d’un drame criminel aux portées sociologiques graves, un candidat socialiste plutôt centriste qui rétablit des impôts sur le revenu punitifs et le discours anti-finance pour se dédire quelques jours plus tard dans la presse étrangère, un leader frontiste prêt à tout pour prendre le pouvoir, un ancien socialiste qui se prend pour Robespierre… Oui, tout cela, nous avons du mal à en rire. Ne nous reste que le mépris, pour eux, mais aussi, à l’instar d’Aristophane, pour ceux qui leur accordent du crédit. Parce que nous, nous ne leur en accordons pas. Nous n’emploierons pas de grands mots, nous ne ferons pas de grands discours, avec effets de manche, et tout ça, nous aurons, simplement comme Aristophane, vrai poète engagé, l’audace de dire ce qui est juste et le courage d’affronter le typhon et la tempête : les bateleurs de foire, les cracheurs de feu, nous, on les préfère à la foire du Trône.

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