Préface des Éditions de Londres

« Arsène Lupin, gentleman cambrioleur » est un livre de Maurice Leblanc, comportant neuf nouvelles parues en 1907 dans « Je sais tout », le magazine de Pierre Lafitte. C’est le livre fondateur de la série des Arsène Lupin, laquelle comportera au total quarante nouvelles, seize romans et trois pièces de théâtre.

Les origines d’Arsène Lupin

On a souvent posé la question à Maurice Leblanc ; or, ses réponses n’ont pas trop aidé, ce qui fait partie du mystère d’ailleurs, puisque la véritable histoire de la rencontre entre Leblanc et Lupin, on la trouve dans « Le sept de cœur », une des nouvelles du premier recueil dont nous parlons ici. Voici ce qu’il dit, le cachotier : « Comment est né Arsène Lupin ? De tout un concours de circonstances. »

Alors, ces circonstances, nous allons brièvement les passer en revue. Ce qui est amusant, dans la lupinologie, c’est l’effort bien français (les Anglais font pareil, rassurons nous) de gommer ou d’écarter en multipliant les références, l’origine la plus évidente et la plus probable de Lupin : le gentleman cambrioleur Raffles, création de Ernest William Hornung. En effet, si les interprétations varient un peu, il est sûr que Pierre Lafitte demande à Leblanc, à l’époque quasi inconnu d’inventer l’équivalent français de Raflles.

Mais, deuxième influence, il est également probable que Leblanc ait cherché dans Sherlock Holmes, mentionné dans l’une des premières nouvelles, un anti-héros, un contre-modèle, dont il se serait servi pour créer Lupin. Voyons tout de même un peu. Lupin devine, imagine, est créatif, visionnaire, tandis que Holmes a l’intelligence et la mémoire prodigieuses, cherche, observe, déduit. Lupin plaît aux femmes, les désire, les aime, est un vrai gentleman chevaleresque, héritier de l’amour courtois et d’une certaine tradition française de la séduction. Holmes est misogyne, et on ne lui connaît même pas de liaisons. De plus, sa sexualité est complexe, et ferait l’objet d’un autre billet. Lupin est gai, confiant, optimiste, un peu coq sur les bords, sociable, parfois presque trop confiant, cabotin, arrogant, Holmes est torturé, vit enfermé, prend de la cocaïne, est un être malheureux mais également moderne. Lupin a besoin du confort des hôtels ou des châteaux des riches, du contact de la nature, de l’air, de la mer, pour respirer, Holmes est dans son élément dans les brumes du East End. Ainsi il y aurait une esthétique de Holmes comme il y a une pétulance de Lupin. Holmes est réel, si réel qu’il en est presque irréel, tandis que Lupin est si symbolique, esquissé (voir notre illustration originale) qu’il en devient réel

Ensuite, et c’est rarement mentionné, mais il y a Le voleur de Georges Darien qui inspira peut être Maurice Leblanc, avec son héros, cynique, sombre, mais éminemment moral, George Randal. Il est peu probable que le roman, paru en 1897, et remarqué surtout par Jarry, n’ait pas bénéficié d’une certaine notoriété à l’époque où Leblanc est déjà plongé à fond dans le monde littéraire. Cela pourrait donc être une influence.

Quatrième influence, celle-ci, d’un personnage réel, Marius Jacob. Nous savons que Leblanc assiste à son procès à Amiens en 1905, donc pas bien longtemps avant la création de Lupin. Cambrioleur anarchiste, à la verve et à l’humour lupinesques, généreux, chevaleresque, Marius Jacob ne cambriolait pas seulement les riches, il laissait parfois sa carte de visite avec un mot savoureux. Quand on croise la date, la présence de Leblanc journaliste à un procès célèbre, à une époque marquée par la mouvance anarchiste, et que l’on ajoute que Leblanc était un libre-penseur aux idées de gauche, cela semble assez clair…

Cinquième influence, elle est très claire aussi, surtout dans les premiers pas d’Arsène Lupin, comme dans ce recueil de nouvelles : celle d’Edgar Allan Poe. D’abord Leblanc avoue cette influence. Et heureusement, car elle nous semble assez évidente quand on lit les neuf premières nouvelles ; l’écriture, les situations, environnements cloisonnés, énigmes impossibles, part du mystère touchant presque au fantastique, personnages structurés par l’intrigue et l’environnement… De plus, il existe un Auguste Dupin dans l’œuvre de Poe, mais c’est peut être une coïncidence.

Enfin, on pourrait aussi citer Gaboriau, Vidocq dont la personnalité présente certains traits communs avec Lupin, et puis Monte-Cristo…

La personnalité d’Arsène Lupin

Impertinent, fantaisiste, insolent, rebelle, pétulant, optimiste, gouailleur, cabotin, ami des femmes, moral, chevaleresque, généreux, créatif, passionné, courageux…sont juste certains des qualificatifs qui conviennent à Arsène Lupin. Comme le dit la phrase devenue célèbre, « ce n’est pas un aristocrate qui vit comme un anarchiste, mais un anarchiste qui vit comme un aristocrate. »

La personnalité d’Arsène Lupin, visionnaire, créatrice, extravertie, calculatrice, comporte évidemment de nombreux aspects cachés, ce qui explique le goût de se grimer et de prendre de multiples personnalités, pour déjouer la police et ses futures victimes dira t-on, mais aussi pour continuer à refouler un passé sombre. Ce passé, nous ne le connaissons pas, mais nous pouvons le deviner : celui d’un enfant sans père, aimant sa père, humilié par la société et meurtri par elle, qui tous les jours s’en venge, en en ignorant l’injuste système, et en contribuant par l’illégalité à rétablir un semblant de justice.

Lupin est à l’aise dans tous les milieux. Tantôt aristocrate, tantôt voleur, il représente une morale plus vraie, qui ne s’encombre pas des faux-semblants et des passe-droits que procurent la situation sociale dans un monde où les lois servent à faciliter le pillage de la société par les privilégiés. Lupin est populaire car il cristallise la fusion du caractère joyeux, gouailleur et rebelle à l’autorité avec l’élégance, le chevaleresque, défenseur des grandes causes à condition qu’elles soient humaines. En exemplifiant cette fusion des genres, Lupin représente tout ce que le Français voudrait être, et rêve d’avoir été. Plus malin que D’Artagnan, plus drôle que Monte-Cristo, plus heureux que Jean Valjean, Lupin est probablement notre héros.

Arsène Lupin promène sa légende au cours de la « Belle Epoque » et pendant les « Années folles ». Il est le pendant gai de la Belle Epoque. Impertinent, redresseur de torts, anarchiste aristocrate, il n’en est pas l’antinomie, il en est probablement l’antidote.

Les neuf nouvelles fondatrices

L’arrestation d’Arsène Lupin : sur un paquebot transatlantique, on apprend que Lupin se dissimule parmi les passagers. Surprise, on finit par l’arrêter.

Arsène Lupin en prison : le baron Cahorn, un personnage peu recommandable, est prévenu à l’avance par Arsène Lupin, toujours en prison, de la date et des objets qui lui seront dérobés.

L’évasion d’Arsène Lupin : le procès d’Arsène Lupin s’approche ; il a prévenu qu’il n’y assisterait pas. S’en suit l’une des évasions les plus pittoresques de la littérature.

Le mystérieux voyageur : Arsène Lupin seul dans un compartiment, avec une dame craintive. Il est agressé, volé, mais avec l’aide de la police, il retrouvera son agresseur, et lui fera payer.

Le collier de la reine : un vol type « chambre close », un vol inexpliqué, une nouvelle très importante, puisque l’on devine qu’il pourrait s’agir là du premier vol de Lupin âgé de neuf ans, ému de la pauvreté abjecte dans laquelle la société injuste a plongé sa mère. Un regard rare sur le passé de Lupin ?

Le sept de cœur : une complexe histoire d’espionnage, de sous-marin, de lettres d’amour dérobées, une cachette dans une maison particulière, le meurtre inexpliqué d’un jeune ingénieur, et aussi une autre nouvelle fondatrice, puisqu’elle raconte la rencontre de Maurice Leblanc et de Lupin.

Le coffre-fort de Madame Imbert : une très belle machination qui permet à Lupin de mettre la main sur les titres de Madame Imbert. Un évènement, puisque Lupin s’y fait duper !

La perle noire : Arsène Lupin veut dérober une perle et découvre un cadavre. Encore une fois un début avec une ambiance à la Poe. Lupin est encore très cambrioleur génial, et moins emberlificoteur de grande envergure.

Herlock Sholmes arrive trop tard : première apparition du célèbre détective qui s’affronte à Arsène Lupin, lequel doit découvrir le secret d’un château normand, secret qui date de la Révolution.

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