Chapitre 1. Le numéro 514-série 23

Le 8 décembre de l’an dernier, M. Gerbois, professeur de mathématiques au lycée de Versailles, dénicha, dans le fouillis d’un marchand de bric-à-brac, un petit secrétaire en acajou qui lui plut par la multiplicité de ses tiroirs.

« Voilà bien ce qu’il me faut pour l’anniversaire de Suzanne, pensa-t-il. »

Et comme il s’ingéniait, dans la mesure de ses modestes ressources, à faire plaisir à sa fille, il débattit le prix et versa la somme de soixante-cinq francs.

Au moment où il donnait son adresse, un jeune homme, de tournure élégante, et qui furetait déjà de droite et de gauche, aperçut le meuble et demanda :

– Combien ?

– Il est vendu, répliqua le marchand.

– Ah !… À Monsieur, peut-être ?

M. Gerbois salua et, d’autant plus heureux d’avoir ce meuble qu’un de ses semblables le convoitait, il se retira.

Mais il n’avait pas fait dix pas dans la rue qu’il fut rejoint par le jeune homme, qui, le chapeau à la main et d’un ton de parfaite courtoisie, lui dit :

– Je vous demande infiniment pardon, Monsieur… Je vais vous poser une question indiscrète… Cherchiez-vous ce secrétaire plus spécialement qu’autre chose ?

– Non. Je cherchais une balance d’occasion pour certaines expériences de physique.

– Par conséquent, vous n’y tenez pas beaucoup ?

– J’y tiens, voilà tout.

– Parce qu’il est ancien, peut-être ?

– Parce qu’il est commode.

– En ce cas vous consentiriez à l’échanger contre un secrétaire aussi commode, mais en meilleur état ?

– Celui-ci est en bon état, et l’échange me paraît inutile.

– Cependant…

M. Gerbois est un homme facilement irritable et de caractère ombrageux. Il répondit sèchement :

– Je vous en prie, Monsieur, n’insistez pas.

L’inconnu se planta devant lui.

– J’ignore le prix que vous l’avez payé, Monsieur… Je vous en offre le double.

– Non.

– Le triple ?

– Oh restons-en là, s’écria le professeur, impatienté, ce qui m’appartient n’est pas à vendre.

Le jeune homme le regarda fixement, d’un air que M. Gerbois ne devait pas oublier, puis, sans mot dire, tourna sur ses talons et s’éloigna.

Une heure après on apportait le meuble dans la maisonnette que le professeur occupait sur la route de Viroflay. Il appela sa fille.

– Voici pour toi, Suzanne, si toutefois il te convient.

Suzanne était une jolie créature, expansive et heureuse. Elle se jeta au cou de son père et l’embrassa avec autant de joie que s’il lui avait offert un cadeau royal.

Le soir même, l’ayant placé dans sa chambre avec l’aide d’Hortense, la bonne, elle nettoya les tiroirs et rangea soigneusement ses papiers, ses boîtes à lettres, sa correspondance, ses collections de cartes postales, et quelques souvenirs furtifs qu’elle conservait en l’honneur de son cousin Philippe.

Le lendemain, à sept heures et demie, M. Gerbois se rendit au lycée. À dix heures, Suzanne, suivant une habitude quotidienne, l’attendait à la sortie, et c’était un grand plaisir pour lui que d’aviser, sur le trottoir opposé à la grille, sa silhouette gracieuse et son sourire d’enfant.

Ils s’en revinrent ensemble.

– Et ton secrétaire ?

– Une pure merveille ! Hortense et moi, nous avons fait les cuivres. On dirait de l’or.

– Ainsi tu es contente ?

– Si je suis contente ! C’est-à-dire que je ne sais pas comment j’ai pu m’en passer jusqu’ici.

Ils traversèrent le jardin qui précède la maison. M. Gerbois proposa :

– Nous pourrions aller le voir avant le déjeuner ?

– Oh ! Oui, c’est une bonne idée.

Elle monta la première, mais, arrivée au seuil de sa chambre, elle poussa un cri d’effarement.

– Qu’y a-t-il donc ? balbutia M. Gerbois.

À son tour il entra dans la chambre. Le secrétaire n’y était plus.

Ce qui étonna le juge d’instruction, c’est l’admirable simplicité des moyens employés. En l’absence de Suzanne, et tandis que la bonne faisait son marché, un commissionnaire muni de sa plaque – des voisins la virent – avait arrêté sa charrette devant le jardin et sonné par deux fois. Les voisins, ignorant que la bonne était dehors, n’eurent aucun soupçon, de sorte que l’individu effectua sa besogne dans la plus absolue quiétude.

À remarquer ceci : aucune armoire ne fut fracturée, aucune pendule dérangée. Bien plus, le porte-monnaie de Suzanne, qu’elle avait laissé sur le marbre du secrétaire, se retrouva sur la table voisine avec les pièces d’or qu’il contenait. Le mobile du vol était donc nettement déterminé, ce qui rendait le vol d’autant plus inexplicable, car, enfin, pourquoi courir tant de risques pour un butin si minime ?

Le seul indice que put fournir le professeur fut l’incident de la veille.

– Tout de suite ce jeune homme a marqué, de mon refus, une vive contrariété, et j’ai eu l’impression très nette qu’il me quittait sur une menace.

C’était bien vague. On interrogea le marchand. Il ne connaissait ni l’un ni l’autre de ces deux messieurs. Quant à l’objet, il l’avait acheté quarante francs à Chevreuse, dans une vente après décès, et croyait bien l’avoir revendu à sa juste valeur. L’enquête poursuivie n’apprit rien de plus.

Mais M. Gerbois resta persuadé qu’il avait subi un dommage énorme. Une fortune devait être dissimulée dans le double-fond d’un tiroir, et c’était la raison pour laquelle le jeune homme, connaissant la cachette, avait agi avec une telle décision.

– Mon pauvre père, qu’aurions-nous fait de cette fortune ? répétait Suzanne.

– Comment ! Mais avec une pareille dot, tu pouvais prétendre aux plus hauts partis.

Suzanne, qui bornait ses prétentions à son cousin Philippe, lequel était un parti pitoyable, soupirait amèrement. Et dans la petite maison de Versailles, la vie continua, moins gaie, moins insouciante, assombrie de regrets et de déceptions.

Deux mois se passèrent. Et soudain, coup sur coup, les événements les plus graves, une suite imprévue d’heureuses chances et de catastrophes ! …

Le 1er février, à cinq heures et demie, M. Gerbois, qui venait de rentrer, un journal du soir à la main, s’assit, mit ses lunettes et commença de lire. La politique ne l’intéressant pas, il tourna la page. Aussitôt un article attira son attention, intitulé :

« Troisième tirage de la loterie des Associations de la Presse.

« Le numéro 514 – série 23, gagne un million… »

Le journal lui glissa des doigts. Les murs vacillèrent devant ses yeux, et son cœur cessa de battre. Le numéro 514 – série 23, c’était son numéro !

Il l’avait acheté par hasard, pour rendre service à l’un de ses amis, car il ne croyait guère aux faveurs du destin, et voilà qu’il gagnait !

Vite, il tira son calepin. Le numéro 514 – série 23 était bien inscrit, pour mémoire, sur la page de garde. Mais le billet ?

Il bondit vers son cabinet de travail pour y chercher la boîte d’enveloppes parmi lesquelles il avait glissé le précieux billet, et dès l’entrée il s’arrêta net, chancelant de nouveau et le cœur contracté, la boîte d’enveloppes ne se trouvait pas là, et, chose terrifiante, il se rendait subitement compte qu’il y avait des semaines qu’elle n’était pas là ! Depuis des semaines, il ne l’apercevait plus devant lui aux heures où il corrigeait les devoirs de ses élèves !

Un bruit de pas sur le gravier du jardin… Il appela :

– Suzanne ! Suzanne !

Elle arrivait de course. Elle monta précipitamment. Il bégaya d’une voix étranglée :

– Suzanne… la boîte… la boîte d’enveloppes ?…

– Laquelle ?

– Celle du Louvre… que j’avais rapportée un jeudi… et qui était au bout de cette table.

–  Mais rappelle-toi, père… c’est ensemble que nous l’avons rangée…

– Quand ?

– Le soir… tu sais… la veille du jour…

– Mais où ?… réponds… tu me fais mourir…

– Où ? … dans le secrétaire.

– Dans le secrétaire qui a été volé ?

– Oui.

– Dans le secrétaire qui a été volé !

Il répéta ces mots tout bas, avec une sorte d’épouvante. Puis il lui saisit la main, et d’un ton plus bas encore :

– Elle contenait un million, ma fille…

– Ah ! Père, pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? murmura-t-elle naïvement.

– Un million ! reprit-il, c’était le numéro gagnant des bons de la Presse.

L’énormité du désastre les écrasait, et longtemps ils gardèrent un silence qu’ils n’avaient pas le courage de rompre.

Enfin Suzanne prononça :

– Mais, père, on te le paiera tout de même.

– Pourquoi ? Sur quelles preuves ?

– Il faut donc des preuves ?

– Parbleu !

– Et tu n’en as pas ?

– Si, j’en ai une.

– Alors ?

– Elle était dans la boîte.

– Dans la boîte qui a disparu ?

– Oui. Et c’est l’autre qui touchera.

– Mais ce serait abominable ! Voyons, père, tu pourras t’y opposer ?

– Est-ce qu’on sait ! Est-ce qu’on sait ! Cet homme doit être si fort ! Il dispose de telles ressources ! … Souviens-toi… l’affaire de ce meuble…

Il se releva dans un sursaut d’énergie, et frappant du pied :

– Eh bien, non, non, il ne l’aura pas, ce million, il ne l’aura pas ! Pourquoi l’aurait-il ? Après tout, si habile qu’il soit, lui non plus ne peut rien faire. S’il se présente pour toucher, on le coffre ! Ah ! Nous verrons bien, mon bonhomme !

– Tu as donc une idée, père ?

– Celle de défendre nos droits, jusqu’au bout, quoi qu’il arrive ! Et nous réussirons ! … Le million est à moi je l’aurai !

Quelques minutes plus tard, il expédiait cette dépêche :

« Gouverneur Crédit Foncier, rue Capucines, Paris »

« Suis possesseur du numéro 514 – série 23, mets opposition par toutes voies légales à toute réclamation étrangère. »

« Gerbois. »

Presque en même temps parvenait au Crédit Foncier cet autre télégramme :

« Le numéro 514 – série 23 est en ma possession.

« Arsène Lupin. »

Chaque fois que j’entreprends de raconter quelqu’une des innombrables aventures dont se compose la vie d’Arsène Lupin, j’éprouve une véritable confusion, tellement il me semble que la plus banale de ces aventures est connue de tous ceux qui vont me lire. De fait, il n’est pas un geste de notre « voleur national », comme on l’a si joliment appelé, qui n’ait été signalé de la façon la plus retentissante, pas un exploit que l’on n’ait étudié sous toutes ses faces, pas un acte qui n’ait été commenté avec cette abondance de détails que l’on réserve d’ordinaire au récit des actions héroïques.

Qui ne connaît, par exemple, cette étrange histoire de « La Dame blonde », avec ces épisodes curieux que les reporters intitulaient en gros caractères : Le numéro 514 – série 23… Le crime de l’avenue Henri-Martin !… Le diamant bleu !… Quel bruit autour de l’intervention du fameux détective anglais Herlock Sholmès ! Quelle effervescence après chacune des péripéties qui marquèrent la lutte de ces deux grands artistes ! Et quel vacarme sur les boulevards, le jour où les camelots vociféraient « L’arrestation d’Arsène Lupin ! »

Mon excuse, c’est que j’apporte du nouveau : j’apporte le mot de l’énigme. Il reste toujours de l’ombre autour de ces aventures : je la dissipe. Je reproduis des articles lus et relus, je recopie d’anciennes interviews : mais tout cela je le coordonne, je le classe, et je le soumets à l’exacte vérité. Mon collaborateur, c’est Arsène Lupin dont la complaisance à mon égard est inépuisable. Et c’est aussi, en l’occurrence, l’ineffable Wilson, l’ami et le confident de Sholmès.

On se rappelle le formidable éclat de rire qui accueillit la publication de la double dépêche. Le nom seul d’Arsène Lupin était un gage d’imprévu, une promesse de divertissement pour la galerie. Et la galerie, c’était le monde entier.

Des recherches opérées aussitôt par le Crédit Foncier, il résulta que le numéro 514 – série 23 avait été délivré par l’intermédiaire du Crédit Lyonnais, succursale de Versailles, au commandant d’artillerie Bessy. Or, le commandant était mort d’une chute de cheval. On sut par des camarades auxquels il s’était confié que, quelque temps avant sa mort, il avait dû céder son billet à un ami.

– Cet ami, c’est moi, affirma M. Gerbois.

– Prouvez-le, objecta le gouverneur du Crédit Foncier.

– Que je le prouve ? Facilement. Vingt personnes vous diront que j’avais avec le commandant des relations suivies et que nous nous rencontrions au café de la Place d’Armes. C’est là qu’un jour, pour l’obliger dans un moment de gêne, je lui ai repris son billet contre la somme de vingt francs.

– Vous avez des témoins de cet échange ?

– Non.

– En ce cas, sur quoi fondez-vous votre réclamation ?

– Sur la lettre qu’il m’a écrite à ce sujet.

– Quelle lettre ?

– Une lettre qui était épinglée avec le billet.

– Montrez-la.

– Mais elle se trouvait dans le secrétaire volé !

– Retrouvez-la.

Arsène Lupin la communiqua, lui. Une note insérée par l’Écho de France – lequel a l’honneur d’être son organe officiel, et dont il est, paraît-il, un des principaux actionnaires – une note annonça qu’il remettait entre les mains de Maître Detinan, son avocat-conseil, la lettre que le commandant Bessy lui avait écrite, à lui personnellement.

Ce fut une explosion de joie : Arsène Lupin prenait un avocat ! Arsène Lupin, respectueux des règles établies, désignait pour le représenter un membre du barreau !

Toute la presse se rua chez Maître Detinan, député radical influent, homme de haute probité en même temps que d’esprit fin, un peu sceptique, volontiers paradoxal.

Maître Detinan n’avait jamais eu le plaisir de rencontrer Arsène Lupin – et il le regrettait vivement – mais il venait en effet de recevoir ses instructions, et, très touché d’un choix dont il sentait tout l’honneur, il comptait défendre vigoureusement le droit de son client. Il ouvrit donc le dossier nouvellement constitué, et, sans détours, exhiba la lettre du commandant. Elle prouvait bien la cession du billet, mais ne mentionnait pas le nom de l’acquéreur. « Mon cher ami… », disait-elle simplement.

« Mon cher ami », c’est moi, ajoutait Arsène Lupin dans une note jointe à la lettre du commandant. Et la meilleure preuve c’est que j’ai la lettre.

La nuée des reporters s’abattit immédiatement chez M. Gerbois qui ne put que répéter :

– « Mon cher ami » n’est autre que moi. Arsène Lupin a volé la lettre du commandant avec le billet de loterie.

– Qu’il le prouve riposta Lupin aux journalistes.

– Mais puisque c’est lui qui a volé le secrétaire ! s’exclama M. Gerbois devant les mêmes journalistes.

Et Lupin riposta :

– Qu’il le prouve !

Et ce fut un spectacle d’une fantaisie charmante que ce duel public entre les deux possesseurs du numéro 514 – série 23, que ces allées et venues des reporters, que le sang-froid d’Arsène Lupin en face de l’affolement de ce pauvre M. Gerbois.

Le malheureux, la presse était remplie de ses lamentations ! Il confiait son infortune avec une ingénuité touchante.

– Comprenez-le, Messieurs, c’est la dot de Suzanne que ce gredin me dérobe ! Pour moi, personnellement, je m’en moque, mais pour Suzanne ! Pensez donc, un million ! Dix fois cent mille francs ! Ah je savais bien que le secrétaire contenait un trésor !

On avait beau lui objecter que son adversaire, en emportant le meuble, ignorait la présence d’un billet de loterie, et que nul en tout cas ne pouvait prévoir que ce billet gagnerait le gros lot, il gémissait :

– Allons donc, il le savait !… Sinon pourquoi se serait-il donné la peine de prendre ce misérable meuble ?

– Pour des raisons inconnues, mais certes point pour s’emparer d’un chiffon de papier qui valait alors la modeste somme de vingt francs.

– La somme d’un million ! Il le savait… Il sait tout ! … Ah ! Vous ne le connaissez pas, le bandit ! … Il ne vous a pas frustré d’un million, vous !

Le dialogue aurait pu durer longtemps. Mais le douzième jour, M. Gerbois reçut d’Arsène Lupin une missive qui portait la mention « confidentielle ». Il lut, avec une inquiétude croissante :

« Monsieur, la galerie s’amuse à nos dépens. N’estimez-vous pas le moment venu d’être sérieux ? J’y suis, pour ma part, fermement résolu.

« La situation est nette : je possède un billet que je n’ai pas, moi, le droit de toucher, et vous avez, vous, le droit de toucher un billet que vous ne possédez pas. Donc nous ne pouvons rien l’un sans l’autre.

« Or, ni vous ne consentiriez à me céder VOTRE droit, ni moi à vous céder MON billet.

« Que faire ?

« Je ne vois qu’un moyen, séparons. Un demi-million pour vous, un demi-million pour moi. N’est-ce pas équitable ? Et ce jugement de Salomon ne satisfait-il pas à ce besoin de justice qui est en chacun de nous ?

« Solution juste, mais solution immédiate. Ce n’est pas une offre que vous ayez le loisir de discuter, mais une nécessité à laquelle les circonstances vous contraignent à vous plier. Je vous donne trois jours pour réfléchir. Vendredi matin, j’aime à croire que je lirai, dans les petites annonces de l’Écho de France, une note discrète adressée à M. Ars. Lup. et contenant, en termes voilés, votre adhésion pure et simple au pacte que je vous propose. Moyennant quoi, vous rentrez en possession immédiate du billet et touchez le million – quitte à me remettre cinq cent mille francs par la voie que je vous indiquerai ultérieurement.

« En cas de refus, j’ai pris mes dispositions pour que le résultat soit identique. Mais, outre les ennuis très graves que vous causerait une telle obstination, vous auriez à subir une retenue de vingt-cinq mille francs pour frais supplémentaires.

« Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

« Arsène Lupin. »

Exaspéré, M. Gerbois commit la faute énorme de montrer cette lettre et d’en laisser prendre copie. Son indignation le poussait à toutes les sottises.

– Rien il n’aura rien ! s’écria-t-il devant l’assemblée des reporters. Partager ce qui m’appartient ? Jamais. Qu’il déchire son billet, s’il le veut !

– Cependant cinq cent mille francs valent mieux que rien.

– Il ne s’agit pas de cela, mais de mon droit, et ce droit je l’établirai devant les tribunaux.

– Attaquer Arsène Lupin ? Ce serait drôle.

– Non, mais le Crédit Foncier. Il doit me délivrer le million.

– Contre le dépôt du billet, ou du moins contre la preuve que vous l’avez acheté.

– La preuve existe, puisque Arsène Lupin avoue qu’il a volé le secrétaire.

– La parole d’Arsène Lupin suffira-t-elle aux tribunaux ?

– N’importe, je poursuis.

La galerie trépignait. Des paris furent engagés, les uns tenant que Lupin réduirait M. Gerbois, les autres qu’il en serait pour ses menaces. Et l’on éprouvait une sorte d’appréhension, tellement les forces étaient inégales entre les deux adversaires, l’un si rude dans son assaut, l’autre effaré comme une bête qu’on traque.

Le vendredi, on s’arracha l’Écho de France, et on scruta fiévreusement la cinquième page à l’endroit des petites annonces. Pas une ligne n’était adressée à M. Ars. Lup. Aux injonctions d’Arsène Lupin, M. Gerbois répondait par le silence. C’était la déclaration de guerre.

Le soir, on apprenait par les journaux l’enlèvement de Mlle Gerbois.

Ce qui nous réjouit dans ce qu’on pourrait appeler les spectacles d’Arsène Lupin, c’est le rôle éminemment comique de la police. Tout se passe en dehors d’elle. Il parle, lui, il écrit, prévient, commande, menace, exécute, comme s’il n’existait ni chef de la Sûreté, ni agents, ni commissaires, personne enfin qui pût l’entraver dans ses desseins. Tout cela est considéré comme nul et non avenu. L’obstacle ne compte pas.

Et pourtant elle se démène, la police ! Dès qu’il s’agit d’Arsène Lupin, du haut en bas de l’échelle, tout le monde prend feu, bouillonne, écume de rage. C’est l’ennemi, et l’ennemi qui vous nargue, vous provoque, vous méprise, ou, qui pis est, vous ignore.

Et que faire contre un pareil ennemi ? À dix heures moins vingt, selon le témoignage de la bonne, Suzanne partait de chez elle. À dix heures cinq minutes, en sortant du lycée, son père ne l’apercevait pas sur le trottoir où elle avait coutume de l’attendre. Donc tout s’était passé au cours de la petite promenade de vingt minutes qui avait conduit Suzanne de chez elle jusqu’au lycée, ou du moins jusqu’aux abords du lycée.

Deux voisins affirmèrent l’avoir croisée à trois cents pas de la maison. Une dame avait vu marcher le long de l’avenue une jeune fille dont le signalement correspondait au sien. Et après ? Après on ne savait pas.

On perquisitionna de tous côtés, on interrogea les employés des gares et de l’octroi. Ils n’avaient rien remarqué ce jour-là qui pût se rapporter à l’enlèvement d’une jeune fille. Cependant, à Ville-d’Avray, un épicier déclara qu’il avait fourni de l’huile à une automobile fermée qui arrivait de Paris. Sur le siège se tenait un mécanicien, à l’intérieur une dame blonde – excessivement blonde, précisa le témoin. Une heure plus tard l’automobile revenait de Versailles. Un embarras de voiture l’obligea de ralentir, ce qui permit à l’épicier de constater, à côté de la dame blonde déjà entrevue, la présence d’une autre dame, entourée, celle-ci, de châles et de voiles. Nul doute que ce ne fût Suzanne Gerbois.

Mais alors il fallait supposer que l’enlèvement avait eu lieu en plein jour, sur une route très fréquentée, au centre même de la ville !

Comment ? À quel endroit ? Pas un cri ne fut entendu, pas un mouvement suspect ne fut observé.

L’épicier donna le signalement de l’automobile, une limousine 24 chevaux de la maison Peugeon, à carrosserie bleu foncé. À tout hasard, on s’informa auprès de la directrice du Grand-Garage, Mme Bob-Walthour, qui s’est fait une spécialité d’enlèvements par automobile. Le vendredi matin, en effet, elle avait loué pour la journée une limousine Peugeon à une dame blonde qu’elle n’avait du reste point revue.

– Mais le mécanicien ?

– C’était un nommé Ernest, engagé la veille sur la foi d’excellents certificats.

– Il est ici ?

– Non, il a ramené la voiture, et il n’est pas revenu.

– Ne pouvons-nous retrouver sa trace ?

– Certes, auprès des personnes dont il s’est recommandé. Voici leurs noms.

On se rendit chez ces personnes. Aucune d’elles ne connaissait le nommé Ernest.

Ainsi donc, quelque piste que l’on suivît pour sortir des ténèbres, on aboutissait à d’autres ténèbres, à d’autres énigmes.

M. Gerbois n’était pas de force à soutenir une bataille qui commençait pour lui de façon si désastreuse. Inconsolable depuis la disparition de sa fille, bourrelé de remords, il capitula.

Une petite annonce parue à l’Écho de France, et que tout le monde commenta, affirma sa soumission pure et simple, sans arrière-pensée.

C’était la victoire, la guerre terminée en quatre fois vingt-quatre heures.

Deux jours après, M. Gerbois traversait la cour du Crédit Foncier. Introduit auprès du gouverneur, il tendit le numéro 514 – série 23. Le gouverneur sursauta.

– Ah ! Vous l’avez ? Il vous a été rendu ?

– Il a été égaré, le voici, répondit M. Gerbois.

– Cependant vous prétendiez… il a été question…

– Tout cela n’est que racontars et mensonges.

– Mais il nous faudrait tout de même quelque document à l’appui.

– La lettre du commandant suffit-elle ?

– Certes.

– La voici.

– Parfait. Veuillez laisser ces pièces en dépôt. Il nous est donné quinze jours pour vérification. Je vous préviendrai dès que vous pourrez vous présenter à notre caisse. D’ici là, Monsieur, je crois que vous avez tout intérêt à ne rien dire et à terminer cette affaire dans le silence le plus absolu.

– C’est mon intention.

M. Gerbois ne parla point, le gouverneur non plus. Mais il est des secrets qui se dévoilent sans qu’aucune indiscrétion soit commise, et l’on apprit soudain qu’Arsène Lupin avait eu l’audace de renvoyer à M. Gerbois le numéro 514 – série 23 ! La nouvelle fut accueillie avec une admiration stupéfaite. Décidément c’était un beau joueur que celui qui jetait sur la table un atout de cette importance, le précieux billet ! Certes, il ne s’en était dessaisi qu’à bon escient et pour une carte qui rétablissait l’équilibre. Mais si la jeune fille s’échappait ? Si l’on réussissait à reprendre l’otage qu’il détenait ?

La police sentit le point faible de l’ennemi et redoubla d’efforts. Arsène Lupin désarmé, dépouillé par lui-même, pris dans l’engrenage de ses combinaisons, ne touchant pas un traître sou du million convoité… du coup les rieurs passaient dans l’autre camp.

Mais il fallait retrouver Suzanne. Et on ne la retrouvait pas, et pas davantage, elle ne s’échappait !

Soit, disait-on, le point est acquis, Arsène gagne la première manche. Mais le plus difficile est à faire ! Mlle Gerbois est entre ses mains, nous l’accordons, et il ne la remettra que contre cinq cent mille francs. Mais où et comment s’opérera l’échange ? Pour que cet échange s’opère, il faut qu’il y ait rendez-vous, et alors qui empêche M. Gerbois d’avertir la police et, par là, de reprendre sa fille tout en gardant l’argent ?

On interviewa le professeur. Très abattu, désireux de silence, il demeura impénétrable.

– Je n’ai rien à dire, j’attends.

– Et Mlle Gerbois ?

– Les recherches continuent.

– Mais Arsène Lupin vous a écrit ?

– Non.

– Vous l’affirmez ?

– Non.

– Donc c’est oui. Quelles sont ses instructions ?

– Je n’ai rien à dire.

On assiégea Maître Detinan. Même discrétion.

– M. Lupin est mon client, répondait-il avec une affectation de gravité, vous comprendrez que je sois tenu à la réserve la plus absolue.

Tous ces mystères irritaient la galerie. Évidemment des plans se tramaient dans l’ombre. Arsène Lupin disposait et resserrait les mailles de ses filets, pendant que la police organisait autour de M. Gerbois une surveillance de jour et de nuit. Et l’on examinait les trois seuls dénouements possibles : l’arrestation, le triomphe, ou l’avortement ridicule et piteux.

Mais il arriva que la curiosité du public ne devait être satisfaite que de façon partielle, et c’est ici dans ces pages que, pour la première fois, l’exacte vérité se trouve révélée.

Le mardi 12 mars, M. Gerbois reçut, sous une enveloppe d’apparence ordinaire, un avis du Crédit Foncier.

Le jeudi, à une heure, il prenait le train pour Paris. À deux heures, les mille billets de mille francs lui furent délivrés.

Tandis qu’il les feuilletait un à un, en tremblant – cet argent, n’était-ce pas la rançon de Suzanne ? – deux hommes s’entretenaient dans une voiture arrêtée à quelque distance du grand portail. L’un de ces hommes avait des cheveux grisonnants et une figure énergique qui contrastait avec son habillement et ses allures de petit employé. C’était l’inspecteur principal Ganimard, le vieux Ganimard, l’ennemi implacable de Lupin. Et Ganimard disait au brigadier Folenfant :

– Ça ne va pas tarder… avant cinq minutes, nous allons revoir notre bonhomme. Tout est prêt ?

– Absolument.

– Combien sommes-nous ?

– Huit, dont deux à bicyclette.

– Et moi qui compte pour trois. C’est assez, mais ce n’est pas trop. À aucun prix il ne faut que le Gerbois nous échappe… sinon bonsoir : il rejoint Lupin au rendez-vous qu’ils ont dû fixer, il troque la demoiselle contre le demi-million, et le tour est joué.

– Mais pourquoi donc le bonhomme ne marche-t-il pas avec nous ? Ce serait si simple ! En nous mettant dans son jeu il garderait le million entier.

– Oui, mais il a peur. S’il essaye de mettre l’autre dedans, il n’aura pas sa fille.

– Quel autre ?

– Lui.

Ganimard prononça ce mot d’un ton grave, un peu craintif, comme s’il parlait d’un être surnaturel dont il aurait déjà senti les griffes.

– Il est assez drôle, observa judicieusement le brigadier Folenfant, que nous en soyons réduits à protéger ce Monsieur contre lui-même.

– Avec Lupin, le monde est renversé, soupira Ganimard !

Une minute s’écoula.

– Attention, fit-il.

M. Gerbois sortait. À l’extrémité de la rue des Capucines, il prit les boulevards, du côté gauche. Il s’éloignait lentement, le long des magasins, et regardait les étalages.

– Trop tranquille, le client, disait Ganimard. Un individu qui vous a dans la poche un million n’a pas cette tranquillité.

– Que peut-il faire ?

– Oh ! Rien, évidemment… N’importe, je me méfie. Lupin, c’est Lupin.

À ce moment M. Gerbois se dirigea vers un kiosque, choisit des journaux, se fit rendre de la monnaie, déplia l’une des feuilles, et, les bras étendus, tout en s’avançant à petits pas, se mit à lire. Et soudain, d’un bond il se jeta dans une automobile qui stationnait au bord du trottoir. Le moteur était en marche, car elle partit rapidement, doubla la Madeleine et disparut.

– Non de nom ! s’écria Ganimard, encore un coup de sa façon !

Il s’était élancé, et d’autres hommes couraient, en même temps que lui, autour de la Madeleine.

Mais il éclata de rire. À l’entrée du boulevard Malesherbes, l’automobile était arrêtée, en panne, et M. Gerbois en descendait.

– Vite, Folenfant… le mécanicien… c’est peut-être le nommé Ernest.

Folenfant s’occupa du mécanicien. C’était un nommé Gaston, employé à la Société des fiacres automobiles ; dix minutes auparavant, un Monsieur l’avait retenu et lui avait dit d’attendre « sous pression », près du kiosque, jusqu’à l’arrivée d’un autre Monsieur.

– Et le second client, demanda Folenfant, quelle adresse a-t-il donnée ?

– Aucune adresse… « Boulevard Malesherbes… avenue de Messine… double pourboire » … Voilà tout.

Mais, pendant ce temps, sans perdre une minute, M. Gerbois avait sauté dans la première voiture qui passait.

– Cocher, au métro de la Concorde.

Le professeur sortit du métro place du Palais-Royal, courut vers une autre voiture et se fit conduire place de la Bourse. Deuxième voyage en métro, puis, avenue de Villiers, troisième voiture.

– Cocher, 25, rue Clapeyron.

Le 25 de la rue Clapeyron est séparé du boulevard des Batignolles par la maison qui fait l’angle. Il monta au premier étage et sonna. Un Monsieur lui ouvrit.

– C’est bien ici que demeure Maître Detinan ?

– C’est moi-même. Monsieur Gerbois, sans doute.

– Parfaitement.

– Je vous attendais, Monsieur. Donnez-vous la peine d’entrer.

Quand M. Gerbois pénétra dans le bureau de l’avocat, la pendule marquait trois heures, et tout de suite il dit :

– C’est l’heure qu’il m’a fixée. Il n’est pas là ?

– Pas encore.

M. Gerbois s’assit, s’épongea le front, regarda sa montre comme s’il ne connaissait pas l’heure, et reprit anxieusement :

– Viendra-t-il ?

L’avocat répondit :

– Vous m’interrogez, Monsieur, sur la chose du monde que je suis le plus curieux de savoir. Jamais je n’ai ressenti pareille impatience. En tout cas, s’il vient, il risque gros, cette maison est très surveillée depuis quinze jours… on se méfie de moi.

– Et de moi encore davantage. Aussi je n’affirme pas que les agents, attachés à ma personne, aient perdu ma trace.

– Mais alors…

– Ce ne serait point de ma faute, s’écria vivement le professeur, et l’on n’a rien à me reprocher. Qu’ai-je promis ? D’obéir à ses ordres. Eh bien, j’ai obéi aveuglément à ses ordres, j’ai touché l’argent à l’heure fixée par lui, et je me suis rendu chez vous de la façon qu’il m’a prescrite. Responsable du malheur de ma fille, j’ai tenu mes engagements en toute loyauté. À lui de tenir les siens.

Et il ajouta, de la même voix anxieuse :

– Il ramènera ma fille, n’est-ce pas ?

– Je l’espère.

– Cependant… vous l’avez vu ?

– Moi ? Mais non ! Il m’a simplement demandé par lettre de vous recevoir tous deux, de congédier mes domestiques avant trois heures, et de n’admettre personne dans mon appartement entre votre arrivée et son départ. Si je ne consentais pas à cette proposition, il me priait de l’en prévenir par deux lignes à l’Écho de France. Mais je suis trop heureux de rendre service à Arsène Lupin et je consens à tout.

M. Gerbois gémit :

– Hélas ! Comment tout cela finira-t-il ?

Il tira de sa poche les billets de banque, les étala sur la table et en fit deux paquets de même nombre. Puis ils se turent. De temps à autre M. Gerbois prêtait l’oreille… n’avait-on pas sonné ?

Avec les minutes son angoisse augmentait, et Maître Detinan aussi éprouvait une impression presque douloureuse.

Un moment même l’avocat perdit tout sang-froid. Il se leva brusquement :

– Nous ne le verrons pas… Comment voulez-vous ?… Ce serait de la folie de sa part ! Qu’il ait confiance en nous, soit, nous sommes d’honnêtes gens incapables de le trahir. Mais le danger n’est pas seulement ici.

Et M. Gerbois, écrasé, les deux mains sur les billets, balbutiait :

– Qu’il vienne, mon Dieu, qu’il vienne ! Je donnerais tout cela pour retrouver Suzanne.

La porte s’ouvrit.

– La moitié suffira, Monsieur Gerbois.

Quelqu’un se tenait sur le seuil, un homme jeune, élégamment vêtu, en qui M. Gerbois reconnut aussitôt l’individu qui l’avait abordé près de la boutique de bric-à-brac, à Versailles. Il bondit vers lui.

– Et Suzanne ? Où est ma fille ?

Arsène Lupin ferma la porte soigneusement et, tout en défaisant ses gants du geste le plus paisible, il dit à l’avocat :

– Mon cher Maître, je ne saurais trop vous remercier de la bonne grâce avec laquelle vous avez consenti à défendre mes droits. Je ne l’oublierai pas.

Maître Detinan murmura :

– Mais vous n’avez pas sonné… je n’ai pas entendu la porte…

– Les sonnettes et les portes sont des choses qui doivent fonctionner sans qu’on les entende jamais. Me voilà tout de même, c’est l’essentiel.

– Ma fille ! Suzanne ! Qu’en avez-vous fait ? répéta le professeur.

– Mon Dieu, Monsieur, dit Lupin, que vous êtes pressé. Allons, rassurez-vous, encore un instant et Mademoiselle votre fille sera dans vos bras.

Il se promena, puis du ton d’un grand seigneur qui distribue des éloges :

– Monsieur Gerbois, je vous félicite de l’habileté avec laquelle vous avez agi tout à l’heure. Si l’automobile n’avait pas eu cette panne absurde, on se retrouvait tout simplement à l’Étoile, et l’on épargnait à Maître Detinan l’ennui de cette visite… enfin ! C’était écrit…

Il aperçut les deux liasses de bank-notes et s’écria :

– Ah parfait ! Le million est là… nous ne perdrons pas de temps. Vous permettez ?

– Mais, objecta Maître Detinan, en se plaçant devant la table, Mlle Gerbois n’est pas encore arrivée.

– Eh bien ?

– Eh bien, sa présence n’est-elle pas indispensable ?

– Je comprends ! Je comprends ! Arsène Lupin n’inspire qu’une confiance relative. Il empoche le demi-million et ne rend pas l’otage. Ah, mon cher Maître, je suis un grand méconnu ! Parce que le destin m’a conduit à des actes de nature un peu… spéciale, on suspecte ma bonne foi… à moi ! Moi qui suis l’homme du scrupule et de la délicatesse ! D’ailleurs, mon cher Maître, si vous avez peur, ouvrez votre fenêtre et appelez. Il y a bien une douzaine d’agents dans la rue.

– Vous croyez ?

Arsène Lupin souleva le rideau.

– Je crois M. Gerbois incapable de dépister Ganimard… que vous disais-je ? Le voici, ce brave ami !

– Est-ce possible ! s’écria le professeur. Je vous jure cependant…

– Que vous ne m’avez point trahi ?… Je n’en doute pas, mais les gaillards sont habiles. Tenez, Folenfant que j’aperçois !… Et Gréaume !… Et Dieuzy ! … Tous mes bons camarades, quoi !

Maître Detinan le regardait avec surprise. Quelle tranquillité ! Il riait d’un rire heureux, comme s’il se divertissait à quelque jeu d’enfant et qu’aucun péril ne l’eût menacé.

Plus encore que la vue des agents, cette insouciance rassura l’avocat. Il s’éloigna de la table où se trouvaient les billets de banque.

Arsène Lupin saisit l’une après l’autre les deux liasses, allégea chacune d’elles de vingt-cinq billets, et tendant à Maître Detinan les cinquante billets ainsi obtenus :

– La part d’honoraires de M. Gerbois, mon cher maître, et celle d’Arsène Lupin. Nous vous devons bien cela.

– Vous ne me devez rien, répliqua Maître Detinan.

– Comment ? Et tout le mal que nous vous causons !

– Et tout le plaisir que je prends à me donner ce mal !

– C’est-à-dire, mon cher Maître, que vous ne voulez rien accepter d’Arsène Lupin. Voilà ce que c’est, soupira-t-il, d’avoir une mauvaise réputation.

FIN DE L’EXTRAIT

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