Préface des Éditions de Londres

Le « Commentaire sur des délits et des peines » est un essai écrit en 1766 par Voltaire suite à la traduction en Français de Morellet de l’essai de Beccaria, Des délits et des peines. Dans ce commentaire-essai, Voltaire soutient les idées de Beccaria et s’en prend lui aussi à la procédure criminelle, à la torture, à la peine de mort etc.

«L’auteur est un frère »

Voltaire ne cache pas son admiration pour le jeune criminaliste italien. Quoiqu’il ménage ses éloges, on ne peut qu’être impressionné par des phrases telles que celles-ci : « J’ai honte d’avoir parlé sur ce sujet après ce qu’en a dit l’auteur des Délits et des Peines. Je dois me borner à souhaiter qu’on relise souvent l’ouvrage de cet amateur de l’humanité. »

Les combats judiciaires de Voltaire

Il faut dire que, de tous les philosophes des Lumières, Voltaire a une certaine légitimité à commenter l’ouvrage de Beccaria. C’est comme si le Milanais, de plus de quarante ans son cadet, avait formalisé en une centaine de pages, ce que lui, Voltaire, déjà une institution en France en 1766, avait toujours pensé.

Il y eut bien entendu l’affaire Calas. Calas est un Huguenot de Toulouse, condamné au supplice de la roue par le tribunal de Toulouse pour avoir assassiné son fils afin de le punir de s’être converti au Catholicisme. Jean Calas est exécuté en 1762. Voltaire s’empare de l’affaire en 1763. En 1763, il publie le Traité sur la tolérance. Jean Calas est déclaré innocent en 1765. Entre temps, paraît à Milan de façon anonyme Des Délits et des peines].

Il y a l’affaire du Chevalier de la Barre. En 1765, on accuse le jeune chevalier de blasphème et de profanation. Il est exécuté, c'est-à-dire torturé, décapité puis brûlé en 1766, à la suite d’une parodie de justice, et ce en dépit des efforts de Voltaire pour s’y opposer. Et puis il y aura l’affaire Sirven ; celle-ci a comme théâtre Castres (après Toulouse pour Calas, et Abbeville pour le chevalier de la Barre). L’affaire Sirven ressemble à l’affaire Calas sur bien des points. Pierre-Paul Sirven et son épouse sont également accusés d’avoir assassiné leur fille Elisabeth pour l’empêcher de se convertir au Catholicisme. Ils trouvent refuge à Lausanne et sont condamnés à mort par contumace. Voltaire prendra leur défense et démontrera leur innocence en 1771. Voici ce que lui écrit Sirven : « Je vous dois la vie, et plus que cela le rétablissement de mon honneur, et de ma réputation. Le parlement me jugea avant-hier. Il a purgé la mémoire de feu mon épouse et nous a relaxés de l’indigne accusation imaginée par les fanatiques castrois…Votre nom, Monsieur, et l’intérêt que vous preniez à ma cause ont été d’un grand poids. Vous m’aviez jugé et le public instruit n’a pas osé penser autrement que vous, en éclairant les hommes vous êtes parvenus à les rendre humains. »

Le commentaire

Suite à une introduction sur un fait-divers encore douloureux, montrant une nouvelle fois l’inanité de la justice criminelle de l’époque, Voltaire passe en revue les différents sujets qui touchent à la procédure pénale, suivant un peu l’exemple de Beccaria. Sur les hérétiques, il écrit : « depuis ce temps jusqu’à nos jours, c’est-à-dire pendant plus de sept cent années, on a brûlé ceux qui ont été ou qui ont paru être souillés du crime d’une opinion erronée. ». Il passe en revue les supplices, les hérétiques, les hérésies, les condamnations de sorciers, compare l’état injuste de nos lois avec celles des Romains, il critique l’usage de la Question, il fait la différence entre les lois politiques et les lois naturelles, s’attarde sur la proportionnalité des peines (« Dans les pays où un petit vol domestique est puni par la mort, ce châtiment disproportionné n’est-il pas très dangereux à la société ? »), évoque le suicide, la confiscation etc.

La peine de mort

On vit tout de même une drôle d’époque. Les néo-moralistes post-chrétiens, non contents de prêcher leur morale et d’exercer sur leurs contemporains une dictature du langage, font maintenant de la surenchère, à la façon des régimes autoritaires et sectaires, dominés par un dogme établi, comme les régimes communistes, fascistes, ou les tyrannies religieuses de tous âges. En gros, dans ces régimes, un écart de langage, un mot de trop, et on va en prison (régime communiste), on se fait zigouiller (fasciste), on est brûlé ou torturé (Torquemada), ou on est victime d’un « lynchage médiatique » (France de 2014). Alors, il y a ceux, les tenants de la surenchère, qui depuis quelques années, trouvent malin de faire un procès à Voltaire en puisant dans ses écrits et sa vie, vie et écrits, rappelons-le, qui ont presque trois cent ans, et l’accusent de racisme, antisémitisme et d’anti-islamisme. Laissons-les faire. Mais, eux, qu’auraient-ils fait en 1762, en 1763, en 1765, auraient-ils craché sur Calas, de la Barre, ou Sirven, ou alors auraient-ils lu l’acte d’accusation, ou encore auraient-ils hurlé avec les loups, pleins de leur bon droit ? Laissons-les. Voltaire avait ceci à dire sur la peine de mort : « On ne condamnait un citoyen romain à mourir que pour des crimes qui intéressaient le salut de l’Etat. Nos maîtres, nos premiers législateurs, ont respecté le sang de leurs compatriotes ; nous prodiguons celui des nôtres. »

De la procédure criminelle

Ici, Voltaire, inspiré par Beccaria, avance ses idées : « Chez les Romains, les témoins étaient entendus publiquement, en présence de l’accusé, qui pouvait leur répondre, les interroger lui-même, ou leur mettre en tête un avocat. » ; « Les déposants sont, pour l’ordinaire, des gens de la lie du peuple, et à qui le juge, enfermé avec eux, peut faire dire tout ce qu’il voudra. Ces témoins sont entendus une seconde fois, toujours en secret, ce qui s’appelle récolement. » ; « La loi semble obliger le magistrat à se conduire envers l’accusé plutôt en ennemi qu’en juge. Ce juge est le maître d’ordonner la confrontation du prévenu avec le témoin, ou de l’omettre. ». Voltaire lance la piste, reprise par les Révolutionnaires, puis par Napoléon, de l’unification du Droit pénal sur le territoire français.

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