Préface des Editions de Londres

« De Mazas à Jérusalem » est un texte autobiographique de Zo d’Axa écrit dans la prison Sainte-Pélagie au cours de son incarcération de dix-huit mois, et publié en 1895. C’est la grande œuvre de Zo d’Axa : à la fois autobiographie, roman « carcéral », récit de voyage, plaidoyer pour la liberté, critique sociale de la France tyrannique de la Troisième République. « De Mazas à Jérusalem » est une œuvre à part, parfaitement unique.

Brève histoire du livre

D’abord, il est à noter que dans notre société faussement libérée de toute contrainte de pensée, en réalité une société où le contrôle des pensées s’effectue maintenant de façon consentie puisque rarement le consensus moral n’a été aussi flagrant, « De Mazas à Jérusalem », le chef d’œuvre de Zo d’Axa, notre ami le libertaire anarchiste, un des grands journalistes contestataires et pamphlétistes, cet ouvrage, il est à peu près introuvable, parce que presque jamais édité.

Voici un livre qui a une curieuse histoire puisqu’il est publié simultanément à Paris et à Bruxelles, avec deux éditeurs différents, et sous deux titres différents aussi : « De Mazas à Jérusalem » en France, et « Le grand trimard » en Belgique. Mais dans les deux éditions, le texte est publié avec des dessins et des lithographies de Lucien Pissaro, Steinlein, et Félix Valloton. Nous en avons reproduit quelques uns dans cette édition numérique inédite.

Le voyage de prison vers l’Orient puis en prison

Zo d’Axa est arrêté en 1892 sous un prétexte fallacieux, puis libéré au bout d’un mois. Il est inquiet pour L’en-dehors, il est mis en liberté provisoire. Mais un article lui attire de nouveau les foudres de l’administration et de ses acolytes ; craignant d’être de nouveau interpellé, il part pour Londres (et ceci se passe avant le grand exode pour Londres des anarchistes français suite aux lois scélérates de 1894). En arrivant il tombe au milieu d’un congrès socialiste, et homme d’aucune étiquette, il ne s’y reconnaît pas. Et puis il n’aime pas Londres. Alors, il repart, pour Rotterdam en bateau, puis il descend le Rhin, Düsseldorf, Cologne, Bonn, Mayence, Duisburg, Mannheim, Milan et Turin. Arrêté à Turin, il est expulsé, il part pour l’Autriche, puis Trieste, et la Dalmatie, Corfou, Patras, c’est un vrai Voyage en Orient. Il arrive à Athènes, puis c’est Constantinople, les Dardanelles, Smyrne, Chio, Samos, Rhodes et Chypre ; enfin, c’est Beyrouth et Jaffa. A Jaffa, il est arrêté. Il s’évade dans des circonstances étonnantes, et il repart pour Jérusalem. Là, on l’arrête de nouveau, il est renvoyé en France en bateau, les fers aux pieds. Il est d’abord emprisonné à Marseille, puis envoyé comme prisonnier politique à Sainte-Pélagie où il séjournera jusqu’en juillet 1894, échappant ainsi à la répression et aux multiples arrestations d’anarchistes consécutives aux lois scélérates, puisqu’il est déjà arrêté ! Mais quand il sort de Sainte-Pélagie, il est immédiatement re-arrêté, mais il finira par sortir. C’est un grand moment du livre, un moment de libération de l’âme et de l’esprit, pas seulement du corps. Dans un style elliptique, en retrait, presque intimiste, Zo d’Axa utilise les mots pour signifier comme pour suggérer, et puis, ce sont les silences qu’il sait aussi si bien manier. Sa phrase, ses paragraphes ont un rythme unique, des pans entiers de l’action ou du récit sont éludés ; à contre-courant du Dix Neuvième siècle où tous les auteurs sans exception, réalistes, naturalistes, romantiques, disent, écrivent, lyrisent, s’acharnent, Zo d’Axa en dit peu, c’est un présocratique du récit autobiographique, c’est un solitaire qui parle de la liberté par évocation, de la lumière en regardant l’ombre, des ombres en décrivant la lumière.

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