Préface des Editions de Londres

La farce de Maître Pathelin est une comédie écrite vers 1460, en dialecte d’Île de France (le Francien), dont la première version imprimée date de 1464 (merci Gutenberg). Assez longue pour l’époque, où d’ailleurs on ne manquait pas de comédies et de manifestations théâtrales (oui, les Classiques et Molière n’ont rien inventé), la pièce comporte à peu près 1600 vers en octosyllabes.

Aux Editions de Londres, on a beaucoup réfléchi, une fois n’est pas coutume, et nous avons décidé que La farce n’était pas une pièce de musée, qu’il y régnait un esprit d’une modernité extraordinaire, que c’était cette modernité, ce rythme, cette humanité que nous nous proposions de transmettre, ce qui nous a conduit au choix éditorial suivant : n’en déplaisent aux exégètes du Moyen Âge, et contrairement à beaucoup des éditions existantes, les vers en octosyllabes, on les oublie, on s’en excuse auprès de notre auteur anonyme, et nous choisissons la traduction en français moderne, la seule qui donne au lecteur contemporain la possibilité de se rapprocher du texte, d’y goûter et d’en jouir.

La Farce raconte les aventures d’un avocat roublard qui dupe un drapier, puis dans la même journée le retrouve au tribunal, tandis qu’il plaide la défense d’un client, un berger voleur, auquel il a au préalable conseillé de feindre la démence (la fameuse scène des « Bée »). A la fin, l’avocat roublard, qui avait usé de toutes les astuces afin de ne pas payer les six aunes de drap achetés « à crédit » au drapier, voit le berger s’enfuir lorsqu’il vient lui réclamer ses honoraires.

On ne sait pas qui en est l’auteur. Pierre Blanchet, Antoine de la Salle, Guillaume Alecis et François Villon sont les noms les plus fréquemment évoqués.

Cette pièce est méconnue, très peu lue, c’est un tort. C’est un chef d’œuvre.

Son rôle dans la littérature…

La Farce est la première pièce de théâtre comique du répertoire littéraire français. C’en est aussi l’un des principaux jalons, un des points de référence de l’humour français et de sa littérature. Quand on lit cette pièce, on ne peut que penser aux Fourberies de Scapin, et d’autres pièces de Molière, généralement moins bien considérées par nos intellectuels. D’ailleurs, tous les thèmes comiques chers à Molière sont déjà présents : plaideurs, malades imaginaires, avocats marrons, subalternes voleurs, arroseur arrosé, comique de langage, utilisation de patois divers (comme dans Les plaideurs, de Racine).

C’est aussi la première fois que l’on en met en scène la justice.

Au final, une satire féroce des mœurs de la société de l’époque, qui au vu du déferlement de ruses et de tromperies dont font preuve les personnages, ne semble pas être plus idéale que la notre.

Des trésors de la mémoire collective…

La fable du corbeau et du renard est évoquée dans la farce (scène trois). Si c’est à La Fontaine qu’on l’associe, la fable est déjà présente dans Le roman de Renart et dans de nombreux Ysopets, petits recueils de fables du Moyen Age tirés d’Esope

Nous devons aussi l’adjectif « patelin » à la Farce.

Enfin, c’est de la Farce que provient l’expression « Revenons à nos moutons » (scène huit).

Une société moderne…

Notre lecture du passé est toujours faussée. On a tendance à regarder le passé avec un télescope, et ce qui est lointain dans le temps apparaît très loin dans l’espace. Or, ce que la Farce nous apprend, c’est qu’il existe déjà un système de justice, qui fonctionne, de façon imparfaite d’accord, mais qui fonctionne tout de même. Les individus sont déjà protégés par la loi. La description qui en est faite rend le Moyen Age bien plus vivant, bien plus proche, que tous les films ou les ouvrages historiques qui en traitent.

N’oublions pas que, vus sous un certain angle, les protagonistes de la pièce sont plus libres que nous. En effet, jamais le pouvoir local n’agit comme un contrepoids au pouvoir central comme au Moyen Age. On l’oublie à notre époque, mais le prévôt des marchands de Paris avait des pouvoirs importants, et Etienne Marcel, qui occupe la charge au milieu du Quatorzième siècle, donc cent ans avant la Farce, s’oppose au pouvoir royal, prend la tête d’un mouvement réformateur préconisant une contrôle renforcé de la monarchie, et celui de la fiscalité.

Et c’est là que Les Editions de Londres se lancent. Que nous soufrions sous l’emprise d’une fiscalité absurde et abusive, personne n’en doute ! C’est le fait de la plupart des pays développés depuis cinquante ans. EDL va plus loin et déclare qu’en France il y avait plus de contrepouvoirs à la dictature de l’exécutif (Monarchie dans la lettre alors, dans les faits aujourd’hui) à l’époque d’Etienne Marcel qu’à la notre.

La Farce constitue avec le Le roman de Renart et l’œuvre de François Villon l’un des trois piliers littéraires de la France. Comme elle est moins connue que les deux autres, il était logique que les Editions de Londres commencent avec elle. Lisez La Farce.

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