La farce du pâté et de la tarte

Scène première

PREMIER COQUIN, SECOND COQUIN, chacun d'un côté du théâtre.

LE PREMIER COQUIN.

Ouiche !

(Il se met à marcher, les mains enfoncées dans ses poches.)

LE SECOND COQUIN.

Qu'as-tu ?

LE PREMIER COQUIN.

Le froid me glace !
Je ne puis pas rester en place !
Ma veste est d'un pauvre tissu !

LE SECOND COQUIN.

En effet, tu n'es pas... cossu.
Ni moi non plus. Mon cœur en saigne !
Nous sommes à la même enseigne.
Tu pourrais prendre mon pourpoint ;
Certes il ne te parerait point !
Ouiche !

(Il se met à marcher, les deux mains dans ses poches.)

PREMIER COQUIN.

Qu'as-tu ? Le froid me glace !
Je ne puis pas rester en place.
Nous sommes pauvres besogneux.
Nous faisons la paire à nous deux !
Ouiche !

(Même jeu.)

SECOND COQUIN.

Qu'as-tu !

PREMIER COQUIN.

Le froid me glace !
Je ne puis pas rester en place.
Ma veste est d'un pauvre tissu.
C'est que je suis fort peu cossu !

SECOND COQUIN.

Et moi ? Le suis-je davantage ?
J'ai faim, j'ai froid, j'ai soif, j'enrage,
Car je n'ai pas un sou vaillant !
Il faut que je reste, bâillant,
En attendant quelque pitance,
A moins d'encourir la potence
En... empruntant de quoi dîner !
Ne peux-tu pas imaginer
Quelque moyen pour nous refaire ?

PREMIER COQUIN.

Je trouve l'existence amère !
Quand pourrons-nous donc être saouls ?

SECOND COQUIN.

Si tu trouvais quarante sous,
Les mettrais-tu dans une armoire ?

PREMIER COQUIN.

Tu ferais acte méritoire
Si tu me donnais un moyen !

SECOND COQUIN.

Eh ! Par ma foi ! Je ne vois rien !

Sinon d'aller en quelque auberge

Où pour la frime on vous héberge...

PREMIER COQUIN.

En connais-Tu ?

SECOND COQUIN.

Je n'en vois pas !
Partout on paye ses repas.

PREMIER COQUIN.

Il faut donc aller de la sorte
En quémandant de porte eN porte !

(Il va frapper à la porte du pâtissier. Le second coquin sort par la droite.)

PREMIER COQUIN.

Ayez pitié, mon bon marchand !

Scène II

PREMIER COQUIN et GAUTIER le pâtissier.

GAUTIER.

(ouvrant le volet de la porte.)

Mon brave, je n'ai pas d'argent !
Ma femme n'est pas là ! C'est elle
Qui porte toujours l'escarcelle.
Mais reviens à la Trinité,
Nous te ferons la charité.

(Il referme le volet. — Le premier coquin s’éloigne.)

Scène III

SECOND COQUIN et MARION, la pâtissière.

SECOND COQUIN.

(s'approche tandis que le premier coquin  s’éloigne vers la gauche du théâtre.)

Daignez me donner quelque aumône ;
Le Seigneur bénira qui donne !
Je suis un pauvre malheureux.
Depuis hier j'ai le ventre creux !

MARION.

(ouvrant le volet et d'une voix sèche.)

Mon mari n'est pas là, brave homme !
Et je n'ai pas la moindre somme
Sur moi. Toujours il a l'argent.
Tu reviendras à la Saint-Jean :
Nous pourrons faire quelque chose.

(Elle referme le volet.)

SECOND COQUIN.

Dans ce métier tout n'est pas rose.
Je laisse à mon ami ce soin,
Je vais attendre dans ce coin.

(Il s'assied sur le banc à droite)

Scène IV

MARION, la pâtissière ; GAUTIER, le pâtissier ;  et LE SECOND COQUIN, dans le coin du théâtre.

GAUTIER.

Femme ! je vais dîner en ville ;
Mais afin de partir tranquille,
Je veux qu'il soit bien arrêté,
Femme, au sujet du gros pâté,
Qu'ici quelqu'un viendra le prendre
De ma part. Il faut donc s'entendre.

MARION.

Certes ! car vous le savez bien,
Sans votre ordre je ne fais rien.

GAUTIER,

Comme tu ne sais pas bien lire,
Et que je ne sais pas écrire,
Je ne t'enverrai pas de mot ;
Je choisirai quelque marmot,
Quelque valet pris sur ma route !
Mais ne va pas lâcher la croûte
Sottement au premier venu !
Pour être de toi reconnu,
Celui qui fera mon message,
Précaution qui parait sage,
Devra te prendre par le doigt !
Du signe, femme, souviens-toi !

(Il s'éloigne. Marion rentre dans la maison.)

Scène V

PREMIER et SECOND COQUINS

PREMIER COQUIN.

(entrant par la gauche du théâtre, considère un instant le second coquin, qui reste immobile et songeur sur un banc de pierre.)

As-tu trouvé quelque pitance ?

SECOND COQUIN.

Je réfléchis sur l'existence !
Je tombais presque en pâmoison,
Mais on m'a nourri de raison !
Et toi ?

PREMIER COQUIN.

De même !

SECOND COQUIN.

Ami, l'aubaine
Me parait maigre pour l'étrenne !
C'est le mari qui tient l'argent :
Il fait l'aumône à la Saint-Jean.

PREMIER COQUIN.

C'est la femme qui tient la bourse !
Il parait qu'elle était en course ;
Mais elle fait la charité
Tous les ans, à la Trinité.

SECOND COQUIN.

Alors simple est notre partage.
Tu n'as pas reçu davantage
Que moi-même ?

PREMIER COQUIN.

J'ai toujours faim.

SECOND COQUIN.

Et, pour avoir l'estomac plein,
Ferais-tu ce que je vais dire ?

PREMIER COQUIN.

Ce n'est pas le moment de rire !
Comment ne le ferais-je pas ?

SECOND COQUIN.

Eh bien, va-t'en donc de ce pas
Demander un pâté d'anguille
A cette marchande gentille...

(À part.)

Gentille ! Un guichet de cachot
Est plus aimable ! Mais il faut
Pourtant sortir de cette affaire !

(Haut)

Dis ! Veux-tu faire bonne chère ?
Va donc à cette porte encor !
Et cette fois frappe bien fort,
Ainsi que quelqu’un qui commande !...

PREMIER COQUIN.

À quoi bon ? Je sais quelle offrande
On me garde en cet endroit-ci !
Rien…, ou des coups ! Merci ! Merci !

SECOND COQUIN.

(se rengorgeant.)

Tu sais bien que je suis un sage.
Peux-tu douter de mon message ?
Sans crainte et d'un air effronté,
Va-t'en demander le pâté !
Mais écoute cette parole,
Sans quoi tu joueras mal ton rôle :
À la marchande sans retard
Tu diras : « Je viens de la part
De maître Gautier, chère dame !
Il m'a dit que je vous réclame
Le gros pâté que vous savez.
Donnez-le-moi, car vous l'avez !
On l'attend pour se mettre à table... »
Et comme signe véritable.
Pour montrer que c’est bien à toi
De l'emporter, prends-lui le doigt !
Va ! Tu verras si je t'abuse !

PREMIER COQUIN,

Ma foi ! Je vais tenter la ruse !
Mais si le mari n'était pas
Encor parti pour ce repas
Dont tu parles ?

SECOND COQUIN.

Si ! Tout à l'heure
Il est sorti de sa demeure !

PREMIER COQUIN.

Ah ! Je vais lui serrer le doigt !

SECOND COQUIN.

Et la dame, comme elle doit,
Ne fera faute à la promesse :
Nous aurons mets de haute graisse
Avant la Saint-Jean. Qu'en dis-tu ?

PREMIER COQUIN.

Ma foi ! Je crains d'être battu !
Si par hasard notre commère
Allait se douter de l'affaire...

SECOND COQUIN.

Eh ! qui ne risque rien n'a rien !

PREMIER COQUIN.

Je t'écoute : c'est bien, c'est bien !
Je m'en vais frapper à la porte,
Et le pâté, je le l’apporte !

(Il va frapper à la boutique du pâtissier, tandis que son camarade sort par la droite. — La pâtissière ouvre le volet.)

Scène VI

PREMIER COQUIN, MARION, la pâtissière.

PREMIER COQUIN.

Madame, je viens de la part
De votre mari. Sans retard
Il m'a dit de venir en hâte
Ici, de peur qu'il ne se gâte,
Vous demander le gros pâté
D'anguilles. À votre santé
On le mangera !

MARION.

Mais sans doute,
Avant de l'avoir mis en route.
Il t’aura donné quelque mot
Afin que je sache s'il faut
À ta parole m'en remettre !

FIN DE L’EXTRAIT

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