Chapitre 4

Jeudi 27 juin 2013, Paris

Alain embrassa sa maîtresse avant que la porte de l’ascenseur ne tire sa révérence, livrant accès au hall de l’hôtel.

— Naomi chérie, tu me manques déjà.

— Je te manque plus que ta femme, vraiment ?

— Oh, n’insiste pas, s’il te plaît.

— Je n’insiste pas. Ça fait bientôt deux mois que tu me promets de lui parler, mais que rien ne se passe.

— Naomi…

— Tu me décevrais beaucoup si je découvrais que tu es comme les autres, lâche et incapable d’assumer.

Prête à pleurer. Le regard d’Alain se faisait suppliant, comme toujours lorsqu’elle soulevait le problème de sa double vie. Naomi en sandwich, jambon coincé entre deux tranches de pain, l’une sèche et l’autre plutôt molle, à ce qu’elle pouvait en juger.

— Nos affaires se développent à grande vitesse, tu sais, expliqua-t-il.

Sa voix grinçait comme un rouage mal huilé. La porte de l’ascenseur coulissa. À contre-courant d’une vague japonaise, Alain et Naomi sortirent. Elle l’attira à l’écart, près du local à bagages.

— Tes affaires, d’accord. Et les nôtres ?

— Écoute… Nous allons bientôt inaugurer notre bar à New York, ensuite il y aura Budapest et Madrid. La chaîne Bolton est en pleine expansion.

— Notre couple aussi.

Soupir à demi exaspéré d’Alain, qui essuya une goutte de sueur à sa tempe. Une odeur de cuir courait dans les airs.

— Je sais. Viviane et moi sommes engagés par contrat, après Madrid nous pourrons décider si nous voulons continuer ou arrêter. D’ici là, nous sommes un peu comme sur un carrousel en marche : impossible de descendre sans prendre de risque. Financiers, bien sûr.

— Ça veut dire qu’avant Madrid, je n’ai aucune raison d’espérer.

— Ça veut dire que la vie n’est jamais simple. Mais nous y arriverons, mon amour, je te le promets.

Le refrain tournait en boucle. Sans les couplets érotico-sensuels qui s’intercalaient, Naomi aurait pu se croire exclue de la chorale. À pleurer. Une larme glissa de son œil comme un amant fuyant par la fenêtre au retour du mari. Discrètement, elle l’essuya. Ne pas flancher devant Alain. Elle l’aimait trop. Un amour débordant, claustrophobe, qui lui coupait le souffle et lui laissait souvent le cœur en bataille. Déraisonnable. Naomi aimait l’être, alors elle s’accrochait à l’idée que la situation tournerait en sa faveur. Sinon… Sinon quoi ?

En reculant, elle se détacha d’Alain. Pas de baiser en public. Jamais. Cruelle sensation. Naomi imprégna sa rétine de tout ce qu’elle aimait dans ce corps athlétique : cheveux bruns coupés en brosse, épaules solides, yeux d’un bleu sombre qui lui rappelait les ciels d’été lorsque tombe la nuit. Et ce charisme… Alain n’avait pas besoin de dire quelque chose pour qu’on remarque sa présence. Il était là. Ça se sentait. À cela s’ajoutait sa rassurante autorité. Et la douceur de sa peau, son odeur juste après l’amour…

Naomi lui fit un signe discret de la main. Il y répondit par un sourire. Le pouce de la main droite levé. À l’époque romaine, ce geste graciait le gladiateur vaincu. Un frisson ondula dans le dos de Naomi. Elle sortit de l’hôtel sans se retourner, et plongea dans une mare de soleil avec l’air détaché que se donnent les amants pour ne pas se sentir coupables.