Préface des Editions de Londres

« L’Anarchie et l’Eglise » est un texte d’Elisée Reclus publié en 1900 dans la Revue des deux mondes. Quelques années avant la séparation entre l’Eglise et l’Etat, décision certainement pas d’origine anarchiste, mais selon Les Editions de Londres, le stade ultime de la prise de pouvoir de la bourgeoisie par l’élimination du clergé plus de cent ans après celle de la noblesse, Reclus partage ses vues avec son calme caractéristique : Aussi longtemps que les prêtres, moines et tous les détenteurs d’un pouvoir prétendu divin seront constitués en ligne de domination, il faut les combattre sans répit de toute l’énergie de sa volonté et de toutes les ressources de son intelligence et de sa force.

Reclus et la rupture avec l’Eglise

Dans ce texte peu connu, on sent le regret du jugement catégorique, mais aussi la non-volonté de négocier ou de composer avec une institution en qui il voit la source de l’apathie du peuple, de l’éducation par la peur. L’Eglise, c’est l’autorité morale qui s’oppose à toutes les valeurs morales prônées par les anarchistes, des valeurs que nous ne pratiquons toujours pas dans nos temps modernes, mais que la mode a mis au goût du jour : liberté de conscience, de parole, épanouissement plein et entier de l’individu, solidarité, prééminence du collectif dans les décisions affectant la société. Notre idéal de bonheur n’est point cet égoïsme chrétien de l’homme qui se sauve en voyant périr son semblable et qui refuse une goutte d’eau à son ennemi. Nous, les anarchistes qui travaillons à l’émancipation complète de notre individu, collaborons par cela même à la liberté de tous les autres…

De la sémantique en philosophie

Parmi les choses qui nous frappent dans ce texte peu connu et assez radical de notre ami Reclus, il y a l’usage de la formule et surtout celui des mots. Les anarchistes ne sont pas les seuls à nous parler de liberté. D’autres le font aussi : les Romantiques, les « libéraux » (au sens français), les politiques et les communistes. Les politiques ne pensent pas ce qu’ils disent, les Romantiques s’emballent, veulent mourir sur les barricades, et franchement nous fatiguent avec leurs formules désuètes et ampoulées, les « libéraux » parlent de liberté des capitaux et des marchandises, et à voir l’homo faber un peu trop comme faber et pas comme homo, ils en oublient l’homme. Quant aux communistes, les mots sont des instruments subjectifs de leur conscience objectivée, ils nous plongent jusqu’au degré zéro du langage fonctionnel. C’est dans l’analyse sémantique que le monde qui sépare communistes et anarchistes apparaît au grand jour : aux uns, les mots libres, aux autres, les mots prisonniers. Seuls les anarchistes inspirent par leur honnêteté, leur foi et leur humanité. Si les textes de Proudhon ou Fourier sont austères et parfois agaçants, ceux de Reclus, Bakounine et Kropotkine réconcilient l’idéal humaniste et libertaire et la philosophie.

Le mythe de l’athéisme

Le problème dans la démonstration de Reclus, c’est qu’elle est incomplète. En effet, en finir avec l’Eglise, tous les curés à la casserole, et les crucifix dans les clips de Madonna, pourquoi pas ? Mais, notre civilisation un peu égarée, en dépit de la multiplicité des GPS qui se reproduisent comme des petits pains, est-elle plus proche du bonheur ? Si c’était l’abandon de la réponse existentielle telle que l’apporte le projet religieux qui expliquait la fuite en avant matérialiste dont nous sommes égales victimes et coupables ? Et si c’était cette fuite en avant, cette frénésie d’acquisition de biens matériels, cette mesure de l’humain en fonction de sa capacité à les acquérir, ces biens matériels, qui expliquait notre incapacité à trouver le bonheur ?

Jésus, le premier anarchiste

L’autre question à se poser, pour paraphraser Gainsbourg, c’est si Dieu est juif…, Jésus serait-il le premier anarchiste ? Les origines chrétiennes du Communisme, Les Editions de Londres n’en ont aucun doute. L’influence de la couleur rouge dans l’Orthodoxie russe, qui donne naissance au communisme soviétique, c’est très clair aussi.

Le Christianisme des débuts, pensons-nous, se situe à peu près à l’opposé moral de l’Eglise Catholique Romaine et de la plupart des églises chrétiennes qui s’élevèrent contre son autorité. L’Eglise historique réprime, punit, venge, protège l’ordre établi, favorise les puissants contre les pauvres, excommunie les dissidents, encourage le mensonge, la dissimulation, asservit la femme, approuve les guerres et les massacres.

Soyons clairs, si les prêtres avaient fait des études de marketing, ils feraient leur rebranding. S’ils étaient dans la mode, ils se relookeraient. Jésus offre un message radicalement opposé à celui de l’Eglise. Le Nazaréen est un exemple de récupération d’individus visionnaires par des institutions en déclin, en l’occurrence la Rome en faillite du premier siècle, et nous donne l’Eglise Catholique Romaine.

Jésus croit au collectif et à l’épanouissement individuel, au pardon et à l’amour du prochain, au salut dans ce monde comme dans l’autre, à l’initiative individuelle, il écoute, débat, admet les autres points de vue, il croit en la société organisée en communautés, indépendantes, unies par des intérêts communs, en la rémunération juste du travail, en la contribution raisonnable de chacun selon leurs moyens au bien commun, c’est un partisan de la petite entreprise, d’une forme régulée de libéralisme économique, il s’oppose à l’emprise de l’Etat en toutes choses, que ce dernier s’immisce dans la vie publique ou privée, il croit en la défiance de l’autorité, il croit dans un Droit oral, il est animé d’un formidable Esprit de révolte, il est contre la peine de mort, il croit en l’ultime sacrifice, il croit en la liberté, à tout prix, envers et contre tous. Jésus est probablement le premier anarchiste.

© 2011- Les Editions de Londres