Préface des Editions de Londres

« L’argent des autres » est un roman d’Emile Gaboriau publié en 1874, un an après la mort de l’auteur. C’est son dernier roman, un roman différent, qui présente, et ceci est un scoop Editions de Londres des points communs avec L’argent d’Emile Zola.

Un roman qui préfigure les thèmes chers à Zola ?

« L’argent des autres », c’est un peu Quels gredins que les honnêtes gens !, mais surtout Quels gredins que les gredins !. Le roman démonte les mécanismes financiers de la Bourse, dénonce l’argent facile en 1873, et montre comment à la base de ces pratiques on a la déliquescence morale de la société, et à l’issue de ces pratiques, on a toujours la déliquescence morale. Déjà, le roman décrit la financiarisation de l’économie, montre comment il est tout à fait légal de tromper les honnêtes gens, et de les dévaliser de tous leurs biens, avec l’aval de la société, de la justice, de la police. Ce que ne connaissait pas encore Gaboriau, et ce qu’il aurait eu du mal à imaginer à l’époque, c’est l’étape ultime que l’on nous servit en 2008, des pertes gigantesques accumulées par des banques heureuses de donner des bonus colossaux à quelques milliers d’employés pour qu’ils gonflent leurs profits dans une optique d’enrichissement personnel ; mais que ces dernières, les Banques, au bord de la ruine, soient ensuite renflouées par la totalité des contribuables de façon à que ces banques puissent reprendre leurs activités irresponsables, égoïstes et suicidaires, encore une fois pour le plus grand bien de quelques uns, pour le plus grand malheur de la masse, non, cela, Gaboriau ne pouvait pas le prévoir, mais c’est à peu près tout. Gaboriau aborde donc beaucoup des thèmes de Zola : l’argent facile comme dans L’argent, les mécanismes de la Bourse, et la financiarisation de l’économie, sorte de jeu de bonneteau, mais avec des sommes colossales en jeu, la guerre de 1870 et la Commune, comme La débâcle, les demi-mondaines qui croquent l’argent des profiteurs en échange de sexe parcimonieux comme dans Nana, la destruction de Paris comme dans La curée. Voyez plutôt :

« Ce n’était que trop réel, et nul alors en France ne redoutait la guerre. On avait tant exalté l’armée française, on avait tant répété qu’elle était invincible, que nul, dans le public, ne mettait en doute une série de victoires foudroyantes. » La débâcle ?

« C’est pour cette blonde si maigre, dans ce huit-ressorts, que le notaire Couquart s’est brûlé la cervelle, après avoir raflé un million à ses clients. » Nana ?

« C’était un hôtel battant neuf, bâti vers 1856, au moment des grandes transformations de Paris, lorsque des quartiers entiers s’écroulaient sous le pic des démolisseurs ou surgissaient si vite que c’étai à se demander si les maçons, au lieu de truelle, n’employaient pas la baguette d’un enchanteur. » La curée ?

Alors, évidemment, si Gaboriau et Zola se rejoignent ainsi, c’est tout simplement parce que tous deux vivent à la même époque ! Le début du désarroi moral dont la France ne s’est pas sortie, et dont « L’argent des autres » et ses thèmes sont un des témoignages flagrants. Le désarroi que l’on doit principalement au Second Empire, le règne de l’infâme Napoléon le petit.

Pour terminer, encore d’autres points de convergence frappants. D’abord, le niveau de détail avec lequel les mécanismes financiers sont démontés, comme plus tard dans L’argent. Puis certains personnages qui se ressemblent, comme Lattermann, le courtier en valeurs mobilières de sociétés disparues ou en banqueroute, dont une copie carbone ou presque apparaît dans L’argent.

Marius de Trégars, un précurseur d’Arsène Lupin ?

Le héros du roman, Marius de Trégars, présente une ressemblance étonnante avec Arsène Lupin. Comme lui, il a une histoire familiale que nous ne découvrons que plus tard. Il est amoureux d’une femme, et dans la plus pure tradition française, issue de l’amour courtois, il réparera l’injustice, en partie pour sauver l’honneur de cette femme. Il est presque invincible, son esprit, sa capacité à planifier et anticiper les mouvements de ses amis comme un joueur d’échecs ne trouve de parallèle qu’avec…Arsène Lupin. Puis il « vole » ou presque aux voleurs, il est à l’aise dans tous les milieux, et promène son élégance avec dédain et assurance, et ne fait pas manque d’une certaine cabotinerie lupinienne. Alors, ce héros si typique, si Français, si « Lupin », c’est selon nous une raison de plus de découvrir ce roman méconnu, et qui se lit d’une « traite ».

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