2.  BLÉPYROS, UN CITOYEN

UN CITOYEN.

Qui est là ? N’est-ce pas le voisin Blépyros ? De par Zeus ! C’est lui-même. Dis-moi, qu’est-ce que tu as donc là de rougeâtre ? Cinésias t’aurait-il par hasard embrené ?

BLÉPYROS.

Non, mais je suis sorti, vêtu de la robe safranée dont s’habille ma femme.

LE CITOYEN.

Mais ton manteau, où est-il ?

BLÉPYROS.

Je ne saurais le dire. J’ai cherché et je n’ai rien trouvé sur mes couvertures.

LE CITOYEN.

Alors, tu n’as pas prié ta femme de dire où il était.

BLÉPYROS.

Non, de par Zeus ! Car il se trouve qu’elle n’est pas à la maison : elle s’est évadée furtivement, et je crains qu’elle ne fasse quelque équipée.

LE CITOYEN.

Par Poséidon ! Je suis, de mon côté, dans la même situation : ma femme a disparu, ayant le manteau que je porte ; et ce n’est pas la seule chose qui me tourmente : elle a pris mes chaussures, et je ne puis les retrouver nulle part.

BLÉPYROS.

Par Dionysos ! C’est comme moi pour mes chaussures laconiennes ; me sentant pris du besoin d’aller, j’ai mis vite ces cothurnes à mes pieds, afin de ne pas chier sur ma couverture, qui était toute propre.

LE CITOYEN.

Qu’y a-t-il donc ? Est-ce qu’une de ses amies l’aurait invitée à un festin ?

BLÉPYROS.

C’est mon avis ; car elle n’est pas dépravée, que je sache.

LE CITOYEN.

Mais tu chies donc des cordes ! Pour moi, c’est le moment de me rendre à l’assemblée, afin d’y retrouver mon manteau, le seul que j’aie.

BLÉPYROS.

Moi aussi, quand j’aurai fini ; mais j’ai là une poire qui obstrue le passage des matières.

LE CITOYEN.

Est-ce celle dont parlait Trasyboulos aux Laconiens ?

BLÉPYROS.

Par Dionysos ! Elle tient ferme. Que faire ? Car ce n’est pas la seule chose qui me chagrine ; mais, quand je mangerai, par où passeront ensuite les excréments ? Maintenant la porte est verrouillée par cet homme, quel qu’il soit, par cet Acradousien. Qui donc me fera venir un médecin, et lequel ? Un qui soit habile dans la science des derrières ? Amynon, je le sais ? Mais peut-être refusera-t-il. Qu’on appelle Antisthène par tous les moyens ! C’est un homme qui, en raison de ses soupirs, sait ce que veut un derrière qui a besoin d’aller. O vénérable llithye, ne me laisse pas crever d’un verrouillage au derrière, et servir de pot de chambre aux comiques.

(Arrive Khrémès, venant de l’Assemblée)

KHRÉMÈS.

Hé ! L’homme ! Que fais-tu là ? Ne chies-tu pas ?

BLÉPYROS.

Moi ! Non, de par Zeus ! Je me relève.

KHRÉMÈS.

N’as-tu pas mis la robe de ta femme ?

BLÉPYROS.

Dans l’obscurité, je me suis trouvé mettre la main dessus. Mais d’où viens-tu ? Dis-moi.

KHRÉMÈS.

De l’Assemblée.

BLÉPYROS.

Est-ce qu’elle est déjà dissoute ?

KHRÉMÈS.

Oui, de par Zeus ! Et dès le matin. Et certes ; ô Zeus bienveillant ! Le vermillon qu’on versait sur  le pourtour m’a donné fort à rire.

BLÉPYROS.

Tu as au moins reçu le triobole ?

KHRÉMÈS.

Plût aux dieux ! Je suis arrivé trop tard, et j’ai honte, de par Zeus ! De ne rien rapporter que mon sac.

BLÉPYROS.

Quelle en est la cause ?

KHRÉMÈS.

Une affluence d’hommes, telle qu’on n’en vit jamais d’aussi épaisse dans la Pnyx. En les voyant, nous les prîmes tous pour des cordonniers. En effet, on avait sous les yeux une assemblée de visages excessivement blancs. Voilà comment je ne reçus rien, ni moi, ni bien d’autres.

BLÉPYROS.

Alors, je ne recevrais rien, si j’y allais maintenant ?

KHRÉMÈS.

Comment ? Pas même, par Zeus ! Si tu étais venu dès le second chant du coq.

BLÉPYROS.

Malheureux que je suis ! « Antilochos, pleure sur ma vie plutôt que sur le triobole ! Car tout mon avoir est perdu… » Mais quelle affaire a réuni de si bon matin une si grande foule ?

KHRÉMÈS.

Rien, sinon que les Prytanes ont mis en délibération les moyens de sauver l’État. Aussitôt le chassieux Néoclidès a paru le premier. Alors le peuple s’est mis à crier avec une force que tu peux te figurer : N’est-il pas indigne que cet homme ait le front de prendre la parole, et cela quand il s’agit du salut de l’État, lui qui n’a pas su sauver ses paupières ? Lui, alors, criant et jetant les yeux autour de lui : « Que devais-je donc faire ? »

BLÉPYROS.

« Broie de l’ail avec du jus de silphion, en y mêlant du tithymale de Laconie, et frotte-t-en les paupières le soir", voilà ce que je lui aurais dit, si je m’étais trouvé là.

FIN DE L’EXTRAIT

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