Biographie de l’Auteur

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Georges Darien (1862-1921) est un écrivain français libre. Né et mort à Paris, il naît Georges Hyppolite Adrien, mais décide d’adopter le nom d’emprunt sous lequel on le connaît. Les Éditions de Londres n’auraient peut-être pas de raison d’être s’il n’y avait Georges Darien et certains auteurs que nous avons décidé de publier. Il est unique parmi les écrivains français. Il est unique, et nous l’aimons, pour un certain nombre de raisons bien à nous.

Une vie mouvementée

Georges Darien naît dans une famille bourgeoise protestante parisienne. Réfractaire à l’éducation et au milieu dont il est issu, il résiste à sa belle-mère catholique qui veut le convertir au catholicisme. En 1881, à dix-neuf ans, il devance l’appel et s’engage dans l’armée. Il en sort en 1886, après avoir passé trois ans dans les bagnes militaires, ce qui nous donnera Biribi, écrit en 1888, et publié en 1890. Évidemment, Biribi, qui raconte d’une façon à peine romancée les trois années d’enfer de Darien dans les camps disciplinaires de l’armée d’Afrique du Nord, ce sera l’inspiration d’Albert Londres pour aller enquêter sur les camps en question, ce qui donnera Dante n’avait rien vu et la fermeture de Biribi. De retour à Paris en 1886, Darien fréquente les milieux littéraires, écrit Bas les cœurs (à la suite de Biribi), charge contre la guerre de 1870, et Les pharisiens, pamphlet contre Drumont et les antisémites. Il s’essaie au théâtre, partie de son œuvre complètement occultée par les milieux littéraires modernes et passés. Il écrit et fait représenter Les chapons, puis des années plus tard, L’ami de l’ordre, Le parvenu, Les mots sur les murs…Il est aussi journaliste. Il contribue à L’endehors, la revue anarchiste de Zo d’axa, il lance un pamphlet hebdomadaire, l’Escarmouche, puis à son retour de Londres, il participera à un autre journal anarchiste, L’ennemi du peuple. Alors, on considère Darien anarchiste. En cette fin de siècle où les bombes explosent et les Présidents tombent sous les balles, l’appellation est dangereuse.

Darien l’expatrié

Suite à la promulgation des Lois scélérates, comme la plupart des anarchistes français, ou ceux qui appartiennent de près ou de loin à la mouvance, Darien est contraint de s’exiler. À trente-deux ans, voici un homme qui a des raisons d’en vouloir à la bourgeoisie (éducation), à la religion (belle-mère), à l’armée (Afrique du Nord), aux coloniaux (Afrique du Nord), à la société (trois ans de bagne pour rien), à la justice (idem), au Parlement, à la société, et à la France (lois scélérates). Pendant onze ans, il voyagera en Angleterre, en Belgique, en Allemagne. Il vit à Londres plusieurs années, puis quelques temps à Bruxelles. Il est polyglotte, à l’aise avec les autres cultures, anglophile, fait assez rare pour être noté. Mais de ces années on ne sait pas grand-chose. On raconte que Darien a été bookmaker. On le soupçonne aussi d’avoir été voleur. Ce que l’on sait, c’est qu’il écrit et publie Le voleur, son chef d’œuvre, l’un des livres de la bibliothèque du Docteur Faustroll, puis La belle France, pamphlet d’une violence inouïe contre le pays qui l’a banni, mais surtout contre la société bourgeoise qu’il haït plus que tout, sorte de règlement de compte à la Jacques Brel avec les flamingants, puis il publie à Londres "Gottlieb Krumm", roman écrit en anglais. De retour à Paris en 1905, il écrit des pièces de théâtre, contribue à des journaux et se lance dans la politique. Il est candidat aux élections législatives et municipales en 1912, il organise la ligue de l’impôt unique (idées de Henry George). Il meurt en 1921.

Libertaire ou anarchiste, ou révolté ?

Ah, nous le connaissons bien notre pays, la France. Et dans ce pays de cocagne, on brûle de catégoriser. Quand on ne catégorise pas, quand on ne range pas dans un petit casier, partisans de l’ordre compulsifs que nous sommes, et bien, on est malheureux, on s’étiole, et puis, on rechigne, on renâcle, et comme la célèbre femme de ménage, on pousse discrètement les poussières sous la commode, pendant que la maîtresse de maison ne regarde pas. Darien n’est pas catégorisable. Anarchiste, disent ceux qui l’ignorent, libertaire, disent les autres. Les Éditions de Londres diront révolté. Darien est anticlérical, antimilitariste, anti-pauvres, anti-bourgeois, anti-antisémites, contre l’impôt, contre le protectionnisme, pour l’impôt unique, anti-parlementariste, contre le colonialisme. Puis, il faut le comprendre, la société dans laquelle il s’agite n’est pas très belle à voir. Alors, quoi de surprenant à ce qu’il se reconnaisse dans la tendance anarchiste, tout en récusant les tendances grégaires, socialisantes, parfois misérabilistes ? Comme tous les féroces individualistes libertaires.

Rappelons le contexte. Outre l’âge d’or du colonialisme, de la domination bourgeoise, du militarisme revanchard, du soi-disant parlementarisme, de l’exploitation des masses ouvrières par les banquiers affairistes, les promoteurs destructeurs de Paris, les fiacres et les redingotes qui éclaboussent les sous castes, abruties par le travail, l’alcool et les maladies vénériennes, Darien assiste à la montée en puissance de nouveaux moyens d’exploitation, sous couvert de bien-pensance et au nom des meilleures intentions du monde : école obligatoire en 1882, service militaire obligatoire en 1883, puis vaccination obligatoire… Darien, ça le révulse. Soixante ans avant Orwell, il récuse cette société qui encourage la soumission de l’individu à des idéaux inhumains.

Alors, quoi de plus naturel que Darien soit en colère ? C’est ne pas être en colère à son époque ou à la nôtre qui parait surprenant. Darien est virulent, dur, pamphlétaire, énonce souvent des vérités qui peuvent sembler contradictoires, il commet l’erreur suprême de ne pas s’inscrire à droite ou à gauche. Évidemment, les gens de droite ne peuvent pas l’encadrer dans leur salon bourgeois parisien, et puis les gens de gauche ne l’aiment pas non plus. Sa critique acerbe, presque célinienne des pauvres dans La belle France leur est restée en travers du gosier. Alors, pour avoir pris le risque de ne jamais trahir ses idées, on lui réserve un sort pire que la damnation littéraire, on lui réserve l’oubli.

Une spécialité française, l’oubli de ceux qui ne pensent pas comme nous

Oui, en France littéraire, la damnation littéraire est assez rare. Le meilleur exemple de damnation littéraire, c’est évidemment Céline, mais on pourrait aussi citer Sade, puis Radiguet. D’ailleurs on dit que Darien a influencé Céline. Qu’est-ce que la damnation littéraire ? La damnation littéraire, c’est d’être grand, mais d’avoir fait quelque chose de très mal. L’auteur est admiré, donc valeur sûre, mais ses agissements, la plupart du temps non littéraires, en font un écrivain sulfureux. Donc, le détester, c’est s’inscrire dans la ligue des dogmatiques vertueux, tout à fait acceptable en société, et professer son admiration, c’est rester dans la norme, mais tout en récupérant l’étiquette « sulfureux » à peu de frais, puisque deux minutes plus tôt on était insipide comme un curry fait maison dans un appartement de l’Ouest parisien. L’oubli littéraire, c’est beaucoup moins connu, puisque les victimes sont tellement oubliées que l’on oublie qu’on les a oubliées. Darien est une de ces victimes. Sa faute, c’est son statut d’inclassable, pas son étiquette anarchiste. Sa faute, n’avoir pas voulu intégrer un groupe. Sa faute, appuyer là où ça fait mal, mettre du sel sur la plaie dans une société obsédée par la dissimulation de ses travers depuis la Révolution, depuis la Commune, depuis la guerre. Encore de nos jours, le bon français ne supporte pas de lire La belle France. Il ne supporte pas la dénonciation des camps militaires d’extermination, de la Commune, de la défaite de 1870, du militarisme, ou de la société bourgeoise dans son ensemble avec Le voleur, chef d’œuvre de la littérature anarchiste, et chef d’œuvre tout court. Alors, Darien, admiré fin du Dix-neuvième siècle par Allais, Jarry, Breton…il sera oublié. C’est Louis Malle et Jean-Paul Belmondo qui le ramèneront à la vie en 1967 avec le film Le voleur. Immanquable. Merci Bebel !

© 2011- Les Éditions de Londres

L’ÉPAULETTE