Préface des Editions de Londres

L’esprit de révolte, publié en 1881, n’est pas l’un des textes phares de Kropotkine. C’est bien pour cela qu’on l’aime. De plus, il se distingue de La Conquête du pain, de L’Entraide, un facteur de l’évolution, de La morale anarchiste, en cela qu’il est plus frais, plus spontané, qu’il s’érige moins en esprit de système. Si La morale anarchiste souffre de cette dérive dogmatique, ce n’est pas le cas du présent ouvrage, deuxième publication de Kropotkine par Les Editions de Londres.

Aux Editions de Londres, qu’on les aime ou que l’on ne les aime pas, nous sommes assez fiers de nos illustrations et de nos choix visuels. Ici, nous avons fait un choix signifiant. En choisissant une photo prise au moment des émeutes de Berlin-Est pour illustrer la couverture d’une œuvre du grand pape de l’anarcho-communisme, nous croyons nous inscrire dans l’esprit de Kropotkine et lui faire honneur en reconnaissant ses erreurs.

L’esprit de révolte, c’est d’abord l’un des plus beaux textes de Kropotkine. D’ailleurs, une des supériorités de l’anarchisme de gauche sur la plupart des mouvements de gauche, c’est son lyrisme.

« Dans la vie des sociétés, il est des époques où la Révolution devient une impérieuse nécessité, où elle s’impose d’une manière absolue. Des idées nouvelles germent de partout, elles cherchent à se faire jour, à trouver une application dans la vie, mais elles se heurtent continuellement à la force d’inertie de ceux qui ont intérêt à maintenir l’ancien régime, elles étouffent dans l’atmosphère suffocante des anciens préjugés et des traditions. […] Les institutions politiques, économiques et sociales tombent en ruine ; édifice devenu inhabitable, il gêne, il empêche le développement des germes qui se produisent dans ses murs lézardés et naissent autour de lui. […] Un besoin de vie nouvelle se fait sentir. […] On s’aperçoit que telle chose, considérée auparavant comme équitable, n’est qu’une criante injustice : la moralité d’hier est reconnue aujourd’hui comme étant d’une immoralité révoltante. »

Et cela continue d’une façon toujours plus dynamisante, électrisante. C’est l’une des plus belles pages de l’anarchisme. C’est aussi la preuve qu’il existe bien une continuité entre Kropotkine et Bakounine, c’est la preuve que, lorsque Kropotkine écoute son cœur, sa conscience, qu’il donne libre cours à ses émotions, le souffle sort de son flacon, se répand et irradie l’auditoire. La photo des deux manifestants de Berlin-Est qui s’opposent aux chars russes, c’est l’esprit de révolte. Parfois, pour renverser le pouvoir oppresseur, il faut réfléchir, mais l’acte inconscient, inconsidéré, est aussi souhaitable, non seulement parce qu’il est exemplaire, mais aussi parce qu’il permet à l’esprit, enfin libéré de sa gangue, de ses peurs, de sa léthargie conservatrice, de se mettre en branle. Enfin, reconnaître les erreurs de Kropotkine, c’est admettre que l’anarchisme ne peut frayer avec le communisme, fondamentalement mouvement oppressif, sans trépasser. L’esprit de révolte, illustré par les évènements de Berlin-Est de 1953, c’est une volonté d’arracher Kropotkine à l’héritage soviétique, afin de le replacer dans le contexte auquel il appartient, celui du refus sans concessions de toutes les tyrannies.

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