Préface

L’homme dans la lune est un roman de Francis Godwin probablement écrit vers 1620 et publié en 1638, après sa mort, sous le pseudonyme de Domingo Gonsales. Un peu tombé dans l’oubli, « L’homme dans la lune » est considéré comme l’une des œuvres majeures de la Renaissance anglaise. Son influence sur les futurs auteurs utopiques, picaresques et de science-fiction, est immense. Grâce à cette œuvre, Francis Godwin est considéré comme l’un des grands auteurs anglais du Dix-Septième siècle.

L’intrigue

Le texte se veut être la traduction d’un texte original écrit par un Espagnol, Domingo Gonsales, lequel écrit à la première personne.

Dans la première partie du livre, Domingo Gonsales est contraint de quitter l’Espagne et de s’exiler après avoir tué un homme au cours d’un duel. Il se réfugie aux Indes Orientales, et prospère dans le commerce. Il décide de retourner en Espagne mais tombe malade en mer et est abandonné sur l’Ile de Saint Hélène. Avec son fidèle servant Diego, il invente une machine volante utilisant des « gansas » (grandes oies) capables de porter de lourdes charges. De retour vers l’Espagne, son bateau est attaqué par la flotte anglaise au large de Ténérife. Il n’a d’autre moyen que de s’échapper les airs, grâce à sa machine volante tirée par ses oies.

C’est alors que Domingo atteint la lune au bout de douze jours. Commence la deuxième partie.

Une fois sur la lune, il y trouve un monde utopique habité par de géants qui sont gouvernés par des règles précises qu’il décrira en détail, et qui parlent une langue curieuse, musicale, que Domingo apprendra bien vite.

Dans la troisième partie, Domingo a le mal du pays, retourne sur terre avec sa machine tirée par ses gansas, mais il atterrit en Chine, où, d’abord pris pour un magicien, il apprend la langue locale, rencontre des Jésuites et quand le livre se termine, Domingo entretient l’espoir de retourner chez lui afin de partager ses connaissances et ses découvertes avec ses contemporains.

Le contexte historique : le Nouveau Monde

Certains historiens considèreront que la Renaissance est née non pas en Italie avec les merveilles du Quattrocento, mais au Portugal avec Henri le Navigateur, car la curiosité du Portugais représente la rupture entre une Europe dominée moralement et intellectuellement par la Chrétienté, et une Europe émergente, prête aux Grandes Découvertes (voir la peinture de Nuno Gonçalvès, Paineis de Sao Vicente de fora). Montaigne n’aurait pas écrit « Les Essais » s’il n’y avait eu ni la guerre civile en France et les découvertes du Nouveau Monde (voir le chapitre sur les Cannibales, également utilisé par Shakespeare dans « La Tempête »). De même, sans tous ces changements historiques, sans la naissance de l’humanisme ouvert au monde, Francis Godwin ne se serait probablement pas aventuré dans les mondes extra-terrestres.

Le contexte historique : les découvertes scientifiques

Francis Godwin était, d’après ses contemporains, un « mathématicien habile », passionné par les mathématiques, la physique et l’astronomie. Il fut bien sûr influencé par Copernic, dont les travaux avaient déjà révolutionné la pensée européenne, mais aussi par Galilée et Kepler.

Ceux qu’influença l’œuvre de Godwin

Nous nous baserons sur l’excellente analyse de William Poole de L’homme dans la lune.

L’influence de Burton : le vicaire Robert Burton publia en 1621 « L’anatomie de la mélancolie », ouvrage qu’il réécrira régulièrement. Selon William Poole, Godwin s’est inspiré en partie d’un chapitre du livre de Burton, « Digression of Ayre », dans lequel il énonce de nombreuses théories d’astronomie, et fait référence au voyage dans la lune de Lucien de Samosate, Histoire véritable. L’allusion aux « enfants verts », qui seraient des exclus de la société lunaire, a un intérêt évident pour le lecteur contemporain … mais s’il y est fait référence dans l’ouvrage de Burton, il y est également fait référence (d’abord?) dans l’œuvre du Douzième siècle de William de Newburgh, que Godwin avait certainement lue.

L’influence de William de Newburgh : c’est en 1220 que William de Newburgh raconte l’histoire d’enfants verts qui étaient arrivés du pays de Saint Martin, anecdote basée sur une chronique dont les faits se déroulèrent dans le village de Woolpit dans le Suffolk des dizaines d’années plus tôt. Godwin avait lu l’« Historia rerum anglicarum” de William de Newburgh et le mentionne dans L’homme dans la lune.

L’influence de Galilée : C’est en 1610 que Galilée écrivit “Sidereus nuncius”. Dans ce court traité d’astronomie, Galilée y étudie les étoiles, la terre, la lune…Ses premières gravures de la lune sont à l’origine de la sélénographie. Cependant, Galilée ne va pas aussi loin que Kepler :

L’influence de Kepler : C’est également en 1610 que Kepler écrivit “Dissertatio cum Nuncio sidereo”, en réponse aux travaux de Galilée. Il écrivit aussi “ Somnium , l’histoire d’un voyage fantastique dans la lune.

L’influence de Ben Jonson : en 1620, on présenta au roi James une Mascarade. Elle avait pour titre « Nouvelles du Nouveau Monde découvert sur la lune » et elle était l’œuvre de Ben Jonson.

Plusieurs détails nous évoquent L’homme dans la lune : la langue basée sur la musique, les habitants qui se déplacent propulsés par des hélices et des oiseaux. D’après William Poole, Francis Godwin avait dû entendre parler de la mascarade de Jonson bien qu’elle n’ait jamais été publiée de son vivant. Nous avons déjà évoqué l’importance des découvertes européennes, des expéditions, des colonies dans la construction de la Renaissance européenne, mais on peut également faire référence à une scène de La tempête de Shakespeare, où Caliban parle à plusieurs reprises de « l’homme dans la lune : la notion d’ « homme dans la lune » était-elle populaire à l’époque ?

L’influence de Lazarillo : il y a un aspect picaresque dans L’homme dans la lune. D’abord, la narration à la première personne, le nom espagnol, l’exil après un duel, l’invention d’une machine volante, les situations dans lesquelles Domingo se trouve à plusieurs reprises, d’abord à la cour des Luniens, ensuite avec les Mandarins en Chine…

L’influence de Lucien de Samosate : C’est en 1634 qu’est publiée la traduction anglaise de Histoire véritable. L’histoire véritable est une satire remarquable du Deuxième siècle racontant un voyage dans la lune peuplée par des homosexuels chauves.

Qui sont les Luniens?

Voici ce que l’on sait des Luniens, selon les faits décrits par Domingo Gonsales : « Leurs arbres étaient au moins trois fois plus hauts que les nôtres, et plus de cinq fois plus larges…”, “leur taille…deux fois plus grands que nous » ; Irdonozur, l'étrange empereur des Luniens qui se comporte un peu comme un empereur chinois ; leur langue est basée sur de la musique, «leur chaleur est si forte, qu’ils peuvent faire rougir n'importe quel métal en le touchant », "leurs femmes sont toutes d'une immense beauté», «un homme ayant eu une femme n’en désirera jamais d’autre», et « il n'y a pas de blessure qui ne puisse être guérie ». C'est aussi l'une des premières descriptions d'une société qui ne connait pas la peine de mort : « Et parce que c'est un contrat inviolable entre eux, jamais personne n’est mis à mort », et quand ils doivent être punis pour une chose grave, ils sont envoyés au loin, sur la terre. Godwin pense même que les Indiens d’Amérique pourraient être les descendants des Luniens, pour de nombreuses raisons, y compris leur tabac à mâcher. « …Une grande colline dans le nord de l'Amérique, … les descendants directs, en partie à cause de leur couleur, en partie aussi en ce qui concerne la consommation de tabac que les Luniens consomment en quantité excessive ... ». Leur Justice est idéale: «Hélas quel besoin y a-t-il d’une punition exemplaire, quand aucune infraction n’est commise : ils n'ont pas besoin d’avocats, car il n'y a jamais de conflit... », et au sujet de la mort : « Leurs corps morts ne se putréfient pas, et ne sont donc pas enterrés, mais gardés dans des pièces spéciales ; de manière à montrer les corps intouchés de leurs ancêtres aux générations à venir », ce qui pousse Domingo à dire : « Grâce à ce voyage, je suis suffisamment rassuré, que quelle que soit la longueur de ma vie de mortel, je n’atteindrai un plus grand bonheur ailleurs, et qui sera éternel. »

L’influence de Godwin sur les autres:

L’influence sur les Français : Jean Baudoin, déjà traducteur de Francis Bacon, traduit L’homme dans la lune en 1648, et cette traduction française servira de base à la traduction en allemand (Baudoin dira que la notion de « Christianité lunaire » précède la notion de « laïcité » française). L’homme dans la lune devient alors “Voyage fait au monde de la lune par Dominic Gonzales, aventurier espagnol » de Jules Verne dans De la terre à la lune. De nombreux écrivains (dont Jules Verne) penseront que Jean Baudoin n’est pas le traducteur mais l’auteur de l’original.

Influence sur Cyrano de Bergerac : le célèbre ouvrage de Cyrano de Bergerac Histoire comique des États et Empires de la lune et du soleil fut publié en 1648, fut traduit et devint vite très populaire en Angleterre. Cyrano fait même référence à Domingo Gonsales lorsque le voyageur sur la lune le rencontre ; la Reine l’aurait pris pour un singe et l’aurait gardé pour son amusement.

Influence sur Gulliver : Il est facile de voir le lien existant entre l’œuvre de Cyrano et le « Gulliver » de Swift. Tous les deux sont de la même veine,   plus satirique et picaresque qu’utopique.

Influence sur Edgar Allan Poe : Poe examine la possibilité d’aller sur la lune dans Aventure sans pareil d’un certain Hans Pfaal. Il pensait d’ailleurs que L’homme dans la lune était une œuvre de Baudoin.

L’influence sur H.G. Wells : dans “Les premiers hommes dans la lune”, H.G. Wells fait hommage au « Somnium » de Kepler et à L’homme dans la lune de Godwin, reconnaissant leur contribution aux débuts de la science-fiction.

La tradition utopique

L’homme dans la lune, est un mélange de considérations scientifiques, picaresques, de voyages, et est ainsi difficile à catégoriser. Pour nous, il rentre clairement dans la tradition utopique.

Godwin est passionné par l’exploration d’autres mondes, d’autres sociétés, rendues possibles par  les progrès scientifiques de la fin du XVème siècle, début de la Renaissance.

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