VIIII

Je ne veux pas ouvrir les yeux. Je marche lentement, je sais où je vais. Si j’ouvre les yeux, la lumière m’éblouira, je serai obligée de m’arrêter, d’attendre un peu et de regarder. Je ne veux pas m’arrêter, je ne veux pas voir. Ce que je vois derrière mes paupières me suffit, des tâches de couleur, des figures géométriques, des visages comme des photos en négatif, des souvenirs en images. Je les laisse filer ou je les chasse, sans toujours y parvenir. Parfois je les fixe et je les repasse, toujours les mêmes, jusqu’à la nausée.

Je n’ai pas emporté mes lunettes de soleil. Il n’y a que les touristes qui en portent par ici. Je ne sais pas où elles sont. Simon les avait empruntées pour sa tenue d’agent secret. Je crois qu’il a perdu un verre pendant la poursuite. Je n’ai jamais très bien su ce qu’il s’était passé. Il était parti en filature pour une histoire de contrebande de pommes de terre qui aurait eu lieu dans un champ voisin. Malheureusement, les malfaiteurs, alertés par le flash de l’appareil photo, se seraient rebiffés et l’aventure aurait tourné en bataille de patates, jusqu’à l’arrivée du fermier, armé de son fusil chargé au gros sel. Il s’en était bien tiré. Un de ses copains, atteint en pleine fesse, n’avait pas pu s’asseoir pendant plusieurs jours. Il était devenu le héros de la bande en exhibant fièrement ses blessures de guerre dans les vestiaires du terrain de foot.

FIN DE L’EXTRAIT

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