Préface des Editions de Londres

« La Bête humaine » est un roman d’Emile Zola publié en 1890. Il s’agit du dix-septième volume des Rougon-Macquart. Ce roman tardif est probablement le plus violent qu’ait écrit Zola. Critique de la société de son époque, certainement, mais sur fonds de chambardement provoqué par la modernité, la révolution industrielle ici symbolisée par le monde ferroviaire, c’est aussi une perspective sur la nature humaine, sur l’animalité qui réside au cœur de chaque humain. En cela, « La Bête humaine » est peut être un des premiers romans noirs.

Résumé

Roubaud, un employé aux chemins de fer qui fait les allers et retours entre Le Havre et Paris, apprend de sa femme Séverine qu’elle a été abusée par le président Grandmorin quand elle n’avait que seize ans. Roubaud ne peut pas le supporter, il entre dans une rage folle et la bat.

Jacques Lantier est un mécanicien des chemins de fer. Il va rendre visite à sa marraine qui est souffrante. Elle soupçonne son mari de l’empoisonner afin de mettre la main sur les mille francs qu’elle aurait dissimulés. Sa marraine a une fille, Flore, qui fait les garde-barrières à la Croix de Maufras, et qui est secrètement amoureuse de Jacques. Quand il la retrouve, lui qui n’aime que sa Lison, une locomotive, a soudain envie d’elle, mais elle se refuse, puis finalement change d’avis et se donne. A cet instant, en voyant cette peau blanche qui s’offre à lui, Jacques est pris d’un de ces accès de folie meurtrière qui le hantent depuis quelques années, mais plutôt que de la tuer, il préfère s’enfuir, la laissant seule et dépitée. Jacques erre dans la campagne en pleine nuit, et il croit apercevoir, dans le compartiment éclairé d’un train en marche, un meurtre qui se passe sous ses yeux. Peu de temps après, le cadavre est découvert. C’est le président Grandmorin qui a été égorgé puis jeté du train en question. Jacques n’a pas rêvé. 

La police enquête. Les soupçons, alimentés par de nombreuses jalousies, se portent sur Roubaud. Puis on apprend que Lantier a été témoin du crime, mais tout s’est passé trop vite, il ne saurait décrire précisément ce qu’il a vu. Pourtant, Lantier croit bien reconnaître Roubaud, et surtout le regard que Séverine lui lance est presque un aveu de culpabilité. Mais il ne dit rien. L’affaire poursuit son cours. Le juge d’instruction Denizet chargé de l’affaire ne croît pas en la culpabilité de Roubaud. Bien que Roubaud et sa femme aient été présents dans le train et aient parlé au président Grandmorin, et quoique ce dernier lègue la maison de la Croix de Maufras à Séverine, ce qui déclenche la furie de la fille de Grandmorin, contenue en partie par sa tante, le juge Denizet ne voit aucun mobile évident et valable. En revanche, il voit dans  Cabuche un coupable idéal. Cabuche est une brute solitaire qui a juré de saigner Grandmorin pour le viol qu’il a commis sur Louisette il y a quelques années et pour lequel il n’a jamais été inquiété. Pourtant, pour Camy-Lamotte, le secrétaire général du Ministère de la Justice, auprès duquel Denizet, intéressé par les conséquences que cette affaire aura sur sa carrière jusque là un peu lente, a pris conseil, ce sont probablement les Roubaud qui sont coupables. Mais pourtant, il juge que cette affaire, aux conséquences politiques potentiellement catastrophiques, puisque l’Empereur est en butte à une opposition déchaînée et que Grandmorin était un familier des Tuileries, cette affaire serait mieux servie si Cabuche était en fait coupable. Toutefois, même cette solution est loin d’être optimale, puisque le nom de Grandmorin serait alors également éclaboussé…Dans le doute, ils décident de classer l’affaire officieusement, en espérant que la frénésie des journaux se calmera.

Pendant ce temps, la relation entre Roubaud et sa femme se délite. Il boit, se prend de passion pour le jeu, et en arrive à toucher à l’argent dérobé sur le corps de Grandmorin, de l’argent sale, parce que si Roubaud se sait un criminel, il n’est pas un voleur. Séverine et Lantier entament une liaison ardente. Dans les chapitres sept et huit, parmi les plus belles pages de ce livre exceptionnel, le train tombe en panne au milieu d’une tempête de neige, la Lison est endommagée, et les passagers apeurés doivent se réfugier à la Croix de Maufras. C’est alors que Flore découvre la liaison entre Jacques et Séverine. Si Séverine envisage d’assassiner Roubaud, Flore veut que Séverine meure. Plus tard, dans la chambre avec Séverine, Jacques est repris de ses pulsions meurtrières et plutôt que de tuer Séverine il va en ville, couteau à la main, pour assassiner une jeune femme au hasard.

Le projet de tuer Roubaud prend forme. Ce dernier est dans un état de dépression et d’abandon absolu. Plus tard, il surprendra même sa femme et son amant ensemble mais ne dira rien. Tante Phrasie finit par mourir, son mari Misard glissait de la mort-aux-rats dans ses lavements. Flore fait dérailler un train, provoquant une catastrophe ferroviaire abominable, mais Lantier et Séverine survivent. Prenant conscience de son geste, elle se suicide en se jetant sous une locomotive. Jacques est soigné par Séverine à la Croix-de-Maufras. Il est guéri. Pourtant, il perd la tête et assassine Séverine. Denizet reprend l’affaire et accuse Cabuche (qui passait par là au moment du crime et a croisé Jacques mais ne l’a pas reconnu) d’être l’assassin et d’avoir tout combiné avec Roubaud. Cabuche et Roubaud sont condamnés à perpétuité. Lantier entame une liaison avec la maîtresse de son mécanicien. Dans la scène finale, Lantier et son mécanicien Pecqueux se battent à l’intérieur de leur nouvelle locomotive, et tombent sur la voie, sont broyés par le train en marche. La guerre vient d’être déclarée, et le train, maintenant sans conducteur, poursuit une course folle, sans que les soldats français en route pour le front se rendent compte de rien, et ivres ils chantent…

La Bête humaine : l’origine du roman noir ?

On ne peut pas nier l’influence probable qu’exercèrent Dostoïevski et les romanciers russes sur Zola, en particulier « Crime et châtiment », sur « La Bête humaine », et on sait tous que le roman noir, probablement une invention américaine, doit beaucoup à Dostoïevski. Mais notons que tous les thèmes du roman noir ou presque sont déjà présents dans « La Bête humaine », à la différence de « Crime et châtiment ». Puis, rappelons le contexte : la première parution de « Crime et châtiment » en français en 1887, Jack l’éventreur en 1888. Tout écrivain est influencé par son temps, et Zola n’échappe pas à la règle.

Le meurtre : on en compte un, prémédité, passionnel, sordide, auquel participent le mari et la femme. C’est me meurtre fondateur qui lance et structure le roman. Et ce meurtre déchirera le mari, perdra la femme, qui pourtant cherchera à convaincre de tuer le mari avec qui elle partage la responsabilité d’un autre assassinat. Puis il y a le meurtre de Séverine par Jacques, l’empoisonnement de tante Phrasie par Misard, l’attentat de Flore qui coûte la vie à trente personnes, le suicide de Flore, le viol de Louise et Séverine par Grandmorin, l’envie de meurtre de Jacques sur la femme croisée au hasard dans la rue, la lutte meurtrière entre Jacques et Pecqueux…

La femme fatale : Séverine sans aucun doute. Victime d’un viol à seize ans, elle séduit Lantier, mais s’intéresse aussi à un jeune homme. Elle se donne, manigance, est portée par ses pulsions. Elle cherche à convaincre Jacques de tuer Roubaud.

L’alcool : présent dans l’hérédité, dans la déchéance de Roubaud, celle de Pecqueux…

Le jeu : contribue à la passivité de Roubaud et l’entraîne dans une spirale infernale.

Le bourgeois dégénéré : Grandmorin, avec toutes ses frasques, immonde personnage, qui finit égorgé et jeté d’un train.

L’enquêteur : ici Denizet, qui comprend, mais est suffisamment cynique pour chercher la vérité qui va dans son sens.

La nuit : c’est un roman où la nuit est beaucoup plus présente que dans les autres œuvres de Zola.

Et ainsi de suite…Nul doute que « La Bête humaine » annonce par exemple le célébrissime « Facteur sonne toujours deux fois » de James McCain, ainsi que bien d’autres romans noirs.

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