Préface des Éditions de Londres

« La Commune » est un texte politique de Kropotkine, publié dans la Brochure Mensuelle en 1937, donc seize ans après la mort de l’auteur. Dans ce texte court, Kropotkine revient sur les idées déjà évoquées dans L’Anarchie, sa philosophie, son idéal, La Loi et l’Autorité, mais surtout on doit le lire comme réponse aux objections provoquées par les idées exposées dans L’Etat, son rôle historique, c’est-à-dire l’exemple des Communes du Douzième siècle et le rôle coercitif ainsi que la tendance naturelle de l’Etat d’abolir ou de détruire toute influence qui pourrait représenter un contrepoids à son autorité.

Les Communes du Moyen-Âge

Les seigneurs voient d’un mauvais œil la constitution de ces groupements économiques appelés les corporations, les guildes, les hanses. Créées pour des motifs d’ordre économique, commerce et protection contre la concurrence, elles menacent l’ordre féodal. Cette lutte entre seigneurs et bourgeois fut à l’origine du mouvement des communes libres.

Les bourgeois achetaient alors leurs libertés au seigneur, c’étaient des chartes de franchise. Quand le seigneur refusait, parfois les bourgeois des cités avaient recours à la violence. Le mouvement, apparu au Onzième siècle, s’étend au nord-est de la France, mais surtout en Allemagne et en Italie du Nord. Là, les cités font plus que promulguer des lois, battre monnaie, lever une milice de mercenaires, ce sont des petites républiques indépendantes. La plupart du temps, le gouvernement consiste d’un conseil communal, qui s’apparente à une forme de ploutocratie ou d’oligarchie, dominé par les riches de la ville, commerçants, banquiers…Les conflits sont incessants, comme dans toutes les organisations démocratiques ! Parfois on fait appel à des étrangers à la ville afin d’exercer le gouvernement (podestat). Il ne fait aucun doute que les Temps Modernes se préparent avec la démocratisation de la vie sociale et la fin de l’ordre féodal. Beaucoup des pays Européens se constitueront en Etats, d’autres garderont leurs structures autonomes régionales jusqu’à la fin du Dix neuvième siècle.

Résumé du texte

Le point de départ du texte, c’est un droit de réponse que s’octroie Kropotkine : à son assertion que la révolution sociale doit se faire par l’affranchissement des Communes, on lui rétorque vous voulez nous ramener en plein moyen-âge, avec toutes les connotations négatives qui y sont à tort associées : obscurantisme, luttes intestines, religieuses, servage…

A cela, Kropotkine répond que la Commune aurait eu une organisation si différente de celle qu’elle a eue au douzième siècle, et il précise aussi que ce n’est pas un retour au Moyen-Âge qu’il préconise, mais bien au contraire, il propose de chercher dans l’exemple de Communes bien spécifiques, et il cite les républiques d’Amalfi, de Florence, Toulouse, Laon, Liège, Courtrai, Augsbourg, Nuremberg, Pskov, Novgorod, l’inspiration qui nous guidera vers la constitution de Communes, c’est-à-dire d’unités sociales démocratiques, adaptées à notre époque. Il rappelle aussi que le but des Communes à l’époque est de s’affranchir du Seigneur. Et il ajoute : « C’est de l’Etat que la Commune d’aujourd’hui cherchera à s’affranchir. ». Puis il cite la Commune de Paris en exemple, et surtout il compare la Commune du Moyen-Âge à la Commune du Dix Neuvième siècle : « La Commune du Moyen-Âge cherchait à se circonscrire dans ses murs ; celle du dix-neuvième siècle cherche à s’étendre, à s’universaliser. »

Il envisage ensuite le futur de la Commune moderne : « C’est qu’aujourd’hui le commerce et l’échange, renversant les bornes des frontières, ont détruit les murailles des anciennes cités. Ils ont déjà établi la cohésion qui manquait au moyen-âge. » Il explique aussi qe par l’intermédiaire des grandes centres, les fédérations entre Communes se constitueront. La vision de Kropotkine révèle par instants sa dimension économique : « Grâce à la variété infinie des besoins de l’industrie, du commerce, tous les lieux habités ont déjà plusieurs centres auxquels ils se rattachent, et à mesure que leurs besoins se développeront, ils se rattacheront à de nouveaux centres qui pourront subvenir à des nécessités nouvelles. Nos besoins sont si variés, ils naissent avec une telle rapidité, que bientôt une seule fédération ne suffira pas à les satisfaire tous. »

La Fédération et le réseau

Kropotkine serait-il le premier penseur de l’Internet anarchiste ? Lisez plutôt : « De même que les fédérations de Communes, si elles suivaient leur libre développement, viendraient bientôt s’enchevêtrer, se croiser, se superposer et former ainsi un réseau bien autrement compact, « un et indivisible » que ces groupements étatistes qui ne sont que juxtaposés, comme les verges en faisceau autour de la hache du licteur. » Deux points visionnaires ici : la tendance naturelle historique de l’Etat qui conduit vers le totalitarisme, et d’autre part, une première vision de l’Internet ?

C’est ainsi que Kropotkine conclut que la fédération est devenu un besoin naturel de l’humanité et que la disparition de l’Etat ne laissera pas place à un grand chaos, mais bien au contraire à un réseau de sociétés, d’initiatives privées qui s’y substitueraient aussitôt, mais en empruntant des formes radicalement différentes. En revanche, il ne faut pas trop attendre. On a vu avec la chute d’Etats totalitaires la difficulté qu’avait la société civile de se substituer aux fonctions surtout régaliennes. La conclusion, c’est que l’anarchisme nous semble plus facile à réaliser dans un Etat de type semi-démocratique comme nos pays occidentaux qu’il ne serait dans des tyrannies.

En conclusion, Kropotkine est pour la liberté, l’égalité, et la fraternité. Il est contre l’Etat qu’il assimile à la tyrannie. Aujourd’hui, nos Gouvernements ne sont pas pour la liberté, l’égalité, ou la fraternité. Nos Etats occidentaux sont pour la croissance économique et surtout pour l’accumulation de biens matériels au sein des foyers qui constituent cette société. Rien ne les agace plus que le développement facilité par Internet de la société non marchande. Rien ne les agace plus que la remise en cause de l’ordre économique établi, oligopolistique, par la constitution d’entités marchandes. Kropotkine est pour le libre-échange, la libre circulation des biens, des personnes, et des services, il est pour l’initiative privée. Nos Etats ne le sont pas vraiment. Ils préfèrent les oligopoles privés sur lesquels ils gardent un contrôle. De par bien des aspects, Kropotkine l’anarcho-communiste est plus proche des idées du Libéralisme du Dix huitième siècle que nos Gouvernements actuels. De quoi nous donner à sérieusement réfléchir…

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