III.
Comment un savant, sans qu’il y paraisse, peut se trouver chez les lunatiques, par manière de compensation des lunatiques qui se trouvent chez les savants.

— Je suis né à Granville en Normandie.

— Attendez, Michel ; un mot avant d’entrer dans ce récit que je tâcherai de ne pas interrompre souvent.

Jusque-là, Michel m’avait parlé en anglais, il me parlait en français alors.

— La langue française est votre langue naturelle, et je ne m’en serais pas aperçu, à la manière dont vous vous exprimez dans celle dont nous nous sommes servis. Laquelle des deux vous est plus familière, car cela me serait indifférent pour vous entendre ?

— Je le sais, monsieur ; mais j’ai cru remarquer que vous étiez mon compatriote ; et quoique les deux langues me soient également familières, j’ai préféré celle qui me donnait un titre de plus à votre attention, et peut-être à votre indulgence.

— Devez-vous cet avantage, assez rare à votre âge et dans votre état, à l’usage ou à l’éducation ?

— À l’usage et à l’éducation.

— Pardonnez-moi tant de questions, Michel : parlez-vous d’autres langues que ces deux langues avec la même facilité ?

Ici Michel baissa les yeux, comme toutes les fois qu’il avait à faire un aveu pénible pour sa modestie.

— Je crois parler avec la même facilité toutes les langues que je sais.

— Mais encore ?

— Celles de tous les peuples dont le nom a été recueilli par les historiens ou les voyageurs, et qui ont écrit leur alphabet.

— Oh ! Pour cette fois, Michel, ce n’est ni l’éducation ni l’usage qui ont pu vous communiquer cette science perdue depuis les apôtres ! À qui en avez-vous l’obligation, je vous prie ?

— À l’amitié d’une vieille mendiante de Granville.

— Alors, dis-je en laissant tomber mes mains sur mes genoux, pour Dieu, Michel, reprenez votre narration, dussé-je ne jamais sortir, pour en entendre la fin, de l’hospice des lunatiques de Glasgow.

— D’ailleurs, ajoutai-je en moi-même, il est probable, si cela continue, que je n’aurai rien de mieux à faire que d’y rester.