Préface des Editions de Londres

Paru en 1889, La morale anarchiste est le premier texte de Kropotkine publié par Les Editions de Londres, un texte admirable, qui dévoile (pour ceux qui en doutent) toutes les qualités d’écrivain du prince moscovite. Si EDL apprécie à juste titre la critique, parfois violente, de la morale bourgeoise de la société européenne de la fin du Dix Neuvième siècle, EDL n’est pas d’accord avec beaucoup des idées de Kropotkine. D’ailleurs, entre Bakounine et Kropotkine, c’est sans aucun doute Bakounine que l’on préfère. Mais rappelez-vous, Les Editions de Londres ont pour mission non pas de créer la bibliothèque idéale, que l’on vénère comme un temple de Delphes en attendant le prochain oracle de la Pythie, mais plutôt de redonner vie à la pensée endormie, assoupie et engourdie par trente ans de bien-pensance, dont nous brûlons de nous débarrasser.

« Nous ne demandons qu’une chose, c’est à éliminer tout ce qui, dans la société actuelle, empêche le développement de ces deux sentiments, tout ce qui fausse notre jugement, l’Etat, l’Eglise, l’exploitation ; le juge, le prêtre, le gouvernement, l’exploiteur. »

Pas grand-chose à ajouter, tout ceci semble assez sympathique.

« Cette morale n’ordonnera rien. Elle refusera absolument de modeler l’individu selon une idée abstraite, comme elle refusera de le mutiler par la loi, la religion et le gouvernement. Elle laissera la liberté pleine et entière à l’individu. Elle deviendra une simple constatation de fait, une science. »

Et c’est là que le bât blesse, comme dans toute pensée, où rien n’importe comme le pouvoir d’inspiration que procurent les mots, la morale ne peut pas laisser la liberté pleine et entière à l’individu, et devenir une simple constatation de faits, une science. C’est contradictoire.

Cela ne fonctionne pas. Dans l’esprit traumatisé des Editions de Londres, la liberté ne peut pleinement s’associer à la morale. D’ailleurs il est fort possible que Les Editions de Londres soient à la recherche d’une anti-morale, seule façon de définir la morale, par opposition, et non pas par adhésion, de même que l’antimatière définit les bornes de la matière.

A la morale anarchiste, nous préférons l’esprit anarchiste, libertaire, iconoclaste et progressiste, qui s’oppose contre vents et marées à tout esprit de système dont l’inéluctable issue est toujours le retour à la tyrannie, qu’elle soit intellectuelle, comme maintenant, ou sociale, comme bientôt si nous n’y mettons notre holà.

© 2011- Les Editions de Londres