La saga de Njáll

1

Il y avait un homme qui s’appelait Mörd : on l’avait surnommé Gigja. Il était fils de Sighvat le rouge. Il habitait à Völl, dans la plaine de la Ranga. C’était un chef puissant, et un grand homme de loi. Il savait si bien la loi que personne n’eût tenu pour bon un jugement rendu sans lui. Il avait une fille nommée Unn. Elle était belle, accorte et sage ; elle passait pour le meilleur parti de la Ranga.

Et maintenant la saga nous mène à l’ouest, dans les vallées du Breidafjord. Il y avait là un homme nommé Höskuld, fils de Dalakol. Sa mère s’appelait Thorgerd, et était fille de Thorstein le rouge, fils d’Olaf le blanc, fils d’Ingjald, fils d’Helgi. La mère d’Ingjald était Thora, fille de Sigurd aux yeux de serpent, fils de Ragnar Lodbrok. La mère de Thorstein le rouge était Udr la riche, fille de Ketil Flatnef, fils de Björn Buna, fils de Grim, seigneur de Sogn.

Höskuld demeurait à Höskuldstad, dans la vallée de la Saxa. Son frère s’appelait Hrut. Il demeurait à Hrutstad. Il était de la même mère que Höskuld. Son père était Herjolf. Hrut était beau, grand et fort, brave, et d’humeur douce. C’était le plus sage des hommes, secourable à ses amis et bon conseiller dans les affaires d’importance.

Il arriva une fois qu’Höskuld donna un festin. Son frère Hrut était là, assis à côté de lui. Höskuld avait une fille qui s’appelait Halgerd. Elle jouait à terre avec d’autres petites filles. Elle était jolie et bien faite. Ses cheveux étaient doux comme de la soie, et si longs qu’ils lui venaient à la ceinture. Höskuld l’appela : « Viens près de moi », dit-il. Elle vint à lui. Il la prit par le menton et la baisa. Puis elle s’en alla. Alors Höskuld dit à Hrut : « Que penses-tu de cette petite fille ? Ne te semble-t-elle pas jolie ? » Hrut se taisait. Höskuld lui demanda une seconde fois la même chose. Et Hrut finit par répondre : « Certes l’enfant est jolie, et bien des gens le sauront pour leur malheur ; mais je ne sais comment le mauvais ? il est venu dans notre famille. » Alors Höskuld se fâcha, et les deux frères furent en froid pendant quelque temps.

Les frères d’Halgerd étaient Thorleik, qui fut père de Bolli, Olaf, père de Kjartan, et Bard.

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2

Un jour, les deux frères, Höskuld et Hrut, chevauchaient, allant à l’Alting. Il était venu beaucoup de monde cette année-là. Höskuld dit à Hrut : « Je trouve, frère, que tu devrais songer à ta maison, et prendre femme. » « Il y a longtemps que j’ai cela en tête, répondit Hrut, mais j’y vois du pour et du contre. Je ferai pourtant comme tu voudras. De quel côté nous tournerons-nous ? » Höskuld répondit : « Il y a ici beaucoup de chefs au ting, et le choix est grand ; mais je sais déjà qui je veux demander pour toi. Elle s’appelle Unn ; c’est la fille de Mörd Gigja, un homme très sage. Il est ici au ting, et sa fille avec lui ; tu peux la voir, si tu veux. »

Le jour suivant, comme les hommes allaient au tribunal, ils virent devant les huttes de ceux de la Ranga des femmes vêtues de beaux habits. Höskuld dit à Hrut : « La voilà, c’est Unn, dont je t’ai parlé. Comment la trouves-tu ? » « Elle me plaît, dit Hrut, mais je ne sais pas si nous aurons du bonheur ensemble. » Et ils allèrent au tribunal. Mörd Gigja expliquait la loi, comme c’était sa coutume. Quand il eut fini, il retourna dans sa hutte. Höskuld se leva, puis Hrut ; ils allèrent à la hutte de Mörd et y entrèrent. Mörd était assis au fond. Ils le saluèrent. Il se leva, prit la main d’Höskuld, et le fit asseoir à côté de lui. Hrut s’assit à côté d’Höskuld. Ils parlèrent de beaucoup de choses, et Höskuld en vint à dire : « J’ai une affaire à te proposer. Hrut veut devenir ton gendre et acheter la fille ; et moi je n’y épargnerai rien ». Mörd répondit : « Je sais que tu es un grand chef ; mais ton frère m’est inconnu. » Höskuld reprit : « Il vaut mieux, que moi. » — Mörd dit : « Tu auras à y mettre beaucoup du tien, car ma fille aura tout l’héritage après moi. » « Je ne chercherai pas longtemps ce que je veux promettre », répondit Höskuld. Il aura Kambsnes et Hrutstad, et toutes les terres jusqu’à Thrandargil ; il a de plus un vaisseau marchand prêt à mettre à la voile. Alors Hrut dit à Mörd : « Tu vois que mon frère pour l’amour de moi a bien fait les choses. Si vous voulez donner suite à l’affaire, je veux que vous en fixiez tous deux les conditions. » Mörd répondit : « J’y ai pensé. Ma fille aura soixante cents ; tu y ajouteras un tiers de ton domaine, et si vous avez des héritiers il y aura communauté de biens entre vous. » Hrut dit : « J’accepte les conditions ; prenons maintenant des témoins. » Ils se levèrent et se donnèrent la main ; et Mörd fiança à Hrut sa fille Unn. On décida que le mariage se ferait chez Mörd, un demi-mois après le milieu de l’été.

Et maintenant ils quittent le ting, et s’en retournent chacun chez soi. Höskuld et Hrut prennent à l’ouest, en passant devant le signal de Halbjörn. Et voici venir à leur rencontre Thjostolf, fils de Björn Gullberi du Reykjardal, disant qu’il était arrivé un vaisseau dans la Hvita ; Össur, le frère du père de Hrut, venait d’en débarquer, et faisait dire à Hrut d’aller le trouver au plus tôt. Quand Hrut apprit cela, il pria Höskuld d’aller au vaisseau avec lui.

Ils se mirent donc tous deux en route, et quand ils furent au vaisseau, Hrut souhaita la bienvenue avec beaucoup de joie à son parent Össur. Össur les invita à entrer dans sa hutte et à boire. Ils descendirent de cheval, ils entrèrent, et ils burent. Hrut dit à Össur : « Tu vas venir avec moi dans l’Ouest, mon oncle, et tu passeras l’hiver chez moi. » « Non pas, dit Össur ; je t’annonce la mort d’Eyvind, ton frère. Il t’a fait son héritier au Gulating ; et tes ennemis vont tout prendre si tu ne viens pas. » « Que vais-je faire, mon frère ? dit Hrut, il me semble que mon affaire se gâte, moi qui viens justement de conclure mon mariage. » — Höskuld dit : « Tu vas aller dans le Sud, trouver Mörd ; tu le prieras de changer vos conventions. Il faut que sa fille s’engage à t’attendre, comme fiancée, trois hivers. Moi je retourne à la maison, et je ferai porter des vivres pour toi au vaisseau. » « Et moi je veux, dit Hrut, que tu prennes de mes provisions, du bois, de la farine, et tout ce qu’il te plaira. »

Hrut fit amener ses chevaux, et partit pour le Sud. Höskuld s’en alla chez lui, à l’Ouest.

Hrut arriva à l’Est, dans la plaine de la Ranga, chez Mörd, où il fut bien reçu. Il conta son affaire à Mörd, et lui demanda conseil. Mörd lui demanda de combien était l’héritage. Hrut dit qu’il était bien de deux cents marks, s’il pouvait tout avoir. « C’est beaucoup, dit Mörd, en comparaison de ce que je laisserai ; tu peux partir si tu veux. » Ils changèrent leurs conventions ; et Unn s’engagea à attendre Hrut, comme fiancée, pendant trois hivers.

Hrut revint au vaisseau, et il y passa l’été, jusqu’à ce que tout fût prêt. Höskuld fit apporter au vaisseau toutes les richesses de Hrut, et Hrut remit aux mains d’Höskuld la garde de ses domaines, pour le temps qu’il passerait au loin. Höskuld retourna chez lui. Peu de temps après, un bon vent souffla, et ils mirent à la voile. Ils furent trois semaines au large, et touchèrent terre à Hörn, dans le Hördaland. De là, ils firent voile à l’Est, jusqu’à Vik.

3

Harald Grafeld régnait en Norvège. Il était fils d’Eirik Blodöx, fils d’Harald Harfag. Sa mère s’appelait Gunhild. Elle était fille d’Össur Toti. Ils avaient leur habitation dans l’Est, à Konungahella.

Et voici qu’on apprit l’arrivée d’un vaisseau, à Vik. Sitôt que Gunhild sut la nouvelle, elle demanda quelle sorte de gens d’Islande étaient sur ce vaisseau. On lui dit que c’était un homme nommé Hrut, fils du frère d’Össur. « Je sais, dit Gunhild. Il vient chercher son héritage. Mais il y a un homme qui le détient, et qui se nomme Soti. » Elle appela un des hommes de sa maison, qui se nommait Ögmund : « Je vais t’envoyer au Nord, dit-elle, dans le pays de Vik, à la rencontre d’Össur et de Hrut ; dis-leur que je les invite tous deux chez moi pour l’hiver, et que je veux être leur amie. Et si Hrut veut faire mes volontés, je l’aiderai dans son affaire d’héritage, et dans tout ce qu’il entreprendra. Et je le servirai auprès du roi. »

Ögmund partit, et vint trouver Össur et Hrut. Quand ils surent qu’il était l’homme de Gunhild, ils le reçurent de leur mieux. Il leur fit son message en secret ; après quoi les deux parents se mirent à l’écart pour voir ce qu’ils avaient à faire. Össur dit à Hrut : « Je crois, mon neveu, que notre choix est tout fait, car je sais l’humeur de Gunhild. Sitôt que nous aurons refusé d’aller la trouver, elle nous fera mettre hors du pays, et prendra de force tous nos biens. Si nous y allons, elle nous rendra toutes sortes d’honneurs, comme elle nous l’a promis. » Ögmund s’en retourna, et quand il fut devant Gunhild, il lui dit la réponse à son message, et qu’ils allaient venir. « Je le savais bien, dit Gunhild ; Hrut est un homme sage, et qui sait vivre ; maintenant, sois vigilant, et quand ils approcheront du domaine, dis-le moi. »

Hrut et Össur se mirent en route vers Konungahella. Quand ils arrivèrent, leurs parents et leurs amis vinrent au-devant d’eux avec beaucoup de joie. Ils demandèrent si le roi était dans son domaine. On leur dit qu’il y était. À ce moment, Ögmund vint les trouver. Il leur dit que Gunhild les saluait, et aussi qu’elle ne les ferait pas venir chez elle avant qu’ils n’eussent vu le roi, à cause de ce qu’on pourrait dire : « Il semblerait, ajoutait-elle, que je veux les prendre pour moi. Je ferai cependant pour eux tout ce qu’il me plaira. Que Hrut parle sans crainte au roi, et qu’il lui demande de devenir son homme. » « Et voici, dit Ögmund, un habit que la reine t’envoie. C’est avec cet habit que tu iras trouver le roi. » Et Ögmund s’en alla.

Le jour suivant, Hrut dit à Össur : « Allons chez le roi. » « Je veux bien » dit Össur ; et ils y allèrent, au nombre de douze. Tous leurs parents et leurs amis étaient là. Ils entrèrent dans la salle où le roi était assis à boire, Hrut s’avança le premier, et salua le roi. Le roi regarda avec attention cet homme bien vêtu qui le saluait, et lui demanda son nom. Hrut se nomma. « Es-tu d’Islande ? » dit le roi. Hrut répondit que oui, « Pourquoi es-tu venu chez nous ? » « Pour voir votre seigneurie, ô roi, et aussi, parce que j’ai une grosse affaire d’héritage dans ce pays-ci, et j’aurai besoin de votre aide pour qu’il me soit fait droit. » Le roi dit : « J’ai promis qu’il serait rendu justice à chacun dans mon royaume. Mais avais-tu encore autre chose à me dire en venant me trouver ? » « Seigneur, dit Hrut, j’ai à vous demander une place à votre cour, et de me faire votre homme. » Le roi se taisait, Gunhild lui dit : « Il me semble que cet homme vous fait beaucoup d’honneur ; je suis d’avis que s’il y en avait un grand nombre comme lui à votre cour, elle serait bien garnie. » « Est-ce un homme sage ? » demanda le roi. « Sage et hardi » répondit-elle. « Je crois bien, dit le roi, que ma mère veut qu’on te fasse comme tu demandes ; cependant, à cause de notre dignité, et de la coutume du royaume, je veux que tu reviennes dans un demi-mois seulement ; et je te ferai mon homme. Jusque-là ma mère prendra soin de toi, mais alors viens me trouver. »

Gunhild dit à Ögmund : « Conduis-les dans ma maison, et traite-les bien. » Ögmund sortit et eux avec lui. Et il les mena dans une salle de pierre dont les murs étaient tendus de tapisseries, les plus belles qu’on pût voir, et le siège de Gunhild était là. Ögmund dit à Hrut : « Tu vas voir la vérité de ce que je t’ai dit de la part de Gunhild : voici son siège, et tu vas t’y asseoir ; tu y resteras, quand elle viendrait elle-même. » Et il leur servit à manger. Comme ils étaient à table depuis quelque temps, Gunhild entra. Hrut voulut se lever pour aller au-devant d’elle. « Reste assis, dit-elle ; tu garderas ce siège tant que tu seras dans ma maison. » Elle s’assit auprès de Hrut, et ils se mirent à boire. Le soir, elle lui dit : « Tu dormiras avec moi cette nuit dans la chambre d’en haut. » « Je ferai ce que vous voulez » répondit-il. Ils allèrent dormir, et elle ferma la porte en dedans ; ils dormirent là pendant la nuit, et au matin ils retournèrent boire. Et pendant tout le demi-mois ils couchèrent ensemble dans la chambre d’en haut. Gunhild avait dit aux hommes qui étaient là : « Il y va de votre vie, si vous dites à personne ce qu’il y a entre Hrut et moi. »

Hrut lui donna cent aunes d’étoffes de laine et douze capes de peaux, et elle le remercia de ses présents. Hrut partit, après l’avoir baisée et remerciée. Elle lui souhaita bonne chance. Le jour suivant, Hrut vint devant le roi, avec trente hommes. Il salua le roi, et le roi lui dit : « Tu veux, Hrut, que je fasse pour toi ce que j’ai promis. » Il le fit donc son homme. Hrut demanda : « Quelle place me donnerez-vous ? » « C’est ma mère qui en décidera » dit le roi. Et elle le fit mettre à la place d’honneur.

Hrut passa l’hiver chez le roi, et il y était très considéré.

4

Au printemps, Hrut entendit parler de Soti. On disait qu’il était allé au Sud, en Danemark, avec l’héritage. Hrut vint trouver Gunhild et lui dit le départ de Soti. Gunhild dit : « Je te donnerai deux vaisseaux longs, avec leur équipage, et de plus, un homme très brave, Ulf Uthvegin, le chef de nos hôtes. Mais toi, va trouver le roi, avant de partir. » Hrut y alla ; et quand il fut devant le roi, il lui dit que Soti était parti, et qu’il voulait se mettre à sa poursuite. Le roi demanda : « Qu’a fait ma mère pour t’aider ? » Hrut répondit : « Elle m’a donné deux vaisseaux longs, et, pour commander aux hommes, Ulf Uthvegin. » « C’est bien fait, dit le roi. Et moi, je te donnerai deux autres vaisseaux longs. Il te faudra bien autant de monde que cela. » Il conduisit Hrut à ses vaisseaux et lui souhaita bon voyage. Hrut avec ses gens fit voile vers le Sud.

5

Il y avait un homme nommé Atli. Il était fils d’Arnvid, jarl de l’Ostgothie. C’était un grand homme de guerre. Il se tenait dans le lac de l’Est avec huit vaisseaux. Son père avait refusé le tribut à Hakon, fils adoptif d’Adalstein ; et le père et le fils avaient fui du Jamtaland en Gothie.

Atli sortit du lac avec ses vaisseaux par le Stoksund. Il s’en alla au Sud, en Danemark, et il était à l’ancre dans l’Eyrasund. Il avait été mis hors la loi par le roi de Danemark et par le roi de Suède, pour les brigandages et les meurtres qu’il avait faits dans les deux royaumes.

Hrut vint au Sud, dans l’Eyrasund ; comme il entrait dans le détroit, il vit qu’il était plein de vaisseaux. Ulf lui dit : « Que faut-il faire, homme d’Islande ? » « Aller en avant ; dit Hrut, qui ne risque rien n’a rien. Notre vaisseau, à Össur et à moi, passera le premier, et toi, tu mettras le tien où tu voudras. » « Je n’ai pas coutume que d’autres me servent de bouclier » répond Ulf. Il met son vaisseau sur la même ligne que celui de Hrut, et ils s’avancent ensemble dans le détroit.

Et voici que ceux du détroit voient des vaisseaux qui viennent à eux, et ils le disent à Atli. « Il y aura du butin à prendre, répond Atli. Qu’on ôte les tentes des vaisseaux, et qu’on s’apprête au plus vite. Mon vaisseau sera au milieu de la flotte. »

Les vaisseaux de Hrut avançaient à force de rames. Quand on fut assez près pour s’entendre, Atli se leva et dit : « Vous allez comme des imprudents. N’avez-vous pas vu qu’il y avait des vaisseaux de guerre dans le détroit ? Quel est le nom de votre chef ? » « Je m’appelle Hrut » répondit-il. — « Qui es-tu ? dit Atli. — “L’homme du roi Harald Grafeld” dit Hrut. — “Il y a longtemps, dit Atli, que mon père et moi nous avons cessé d’être bons amis avec votre roi de Norvège.” “Ce sera pour votre malheur” dit Hrut. “Notre rencontre sera telle, dit Atli, que tu n’auras point de nouvelles à en dire.” Il prit un javelot, et le lança sur le vaisseau de Hrut ; et l’homme qui conduisait le vaisseau fut tué. Alors la bataille commença, et ils eurent grand’peine à aborder le vaisseau de Hrut. Ulf se battait bien : il donnait de grands coups, frappant d’estoc et de taille. Le pilote d’Atli s’appelait Asolf. Il sauta sur le vaisseau de Hrut, et tua quatre hommes avant que Hrut ne s’en fût aperçu. Hrut se retourne, et vient à sa rencontre. Ils se joignent, et Asolf, d’un coup de pointe, perce le bouclier de Hrut. Mais Hrut lève son épée sur Asolf, et lui donne le coup de la mort.

Ulf Uthvegin l’avait vu. “En vérité, Hrut, dit-il, tu donnes de beaux coups. Mais aussi tu as de grands remerciements à faire à Gunhild.” “J’ai peur, répondit Hrut, que ce ne soient tes dernières paroles.” À ce moment, Atli vit qu’Ulf se découvrait. Il lui lança un javelot au travers du corps.

Après cela la bataille devint furieuse. Atli sauta sur le vaisseau de Hrut, et il faisait le vide tout autour de lui. Össur vint à sa rencontre, l’épée en avant, mais il tomba à la renverse, frappé par un autre. Alors Hrut accourut au-devant d’Atli, Atli leva son épée, et fendit d’un coup le bouclier de Hrut. En même temps, une pierre l’atteignit à la main, et l’épée tomba. Hrut la prit, et abattit le pied d’Atli. Après quoi, il lui donna le coup de la mort.

Hrut et ses gens firent beaucoup de butin. Ils prirent avec eux les deux meilleurs vaisseaux, et ils restèrent là un peu de temps. Soti avec les siens leur avait échappé. Il avait fait voile pour retourner en Norvège. Il débarqua sur la côte de Limgard. Il y trouva Ögmund, l’homme de Gunhild. Ögmund reconnut tout d’abord Soti, et lui demanda : “Combien de temps penses-tu rester ici ?” “Trois nuits.” dit Soti. — “Où iras-tu ensuite ?” dit Ögmund. “À l’ouest, en Angleterre, dit Soti, et je ne reviendrai jamais en Norvège, tant que durera la puissance de Gunhild.” Ögmund s’en alla, et vint trouver Gunhild ; elle était près de là, chez des hôtes, avec son fils Gudröd. Ögmund dit à Gunhild ce que Soti comptait faire ; et elle donna ordre à son fils Gudröd d’aller tuer Soti. Gudröd partit sur l’heure. Il tomba sur Soti à l’improviste, et le fit amener à terre où on le pendit. Puis il prit tous ses trésors pour sa mère. Elle envoya des hommes débarquer le butin, et le porter à Konungahella, après quoi elle y alla elle-même.

Hrut revint à l’automne. Il avait fait beaucoup de butin. Il alla tout d’abord trouver le roi, qui lui fit bon accueil. Il lui offrit, et à sa mère, de prendre ce qu’ils voudraient de ses richesses ; et le roi en prit le tiers. Gunhild dit à Hrut qu’elle avait mis la main sur l’héritage et fait tuer Soti. Hrut la remercia, et partagea par moitié avec elle.

6

Hrut passa l’hiver chez le roi, et il était de joyeuse humeur ; mais aux approches du printemps, il devint silencieux. Gunhild s’en aperçut, et elle lui parla un jour qu’ils étaient seuls ensemble. “As-tu du souci, Hrut ?” lui demanda-t-elle. Hrut répondit : “On a dit vrai : Malheur à ceux qui sont nés sur une mauvaise terre.” “Veux-tu retourner en Islande ?” dit-elle. — “Je le veux” répondit-il. » « As-tu quelque femme là-bas ? » « Non. » « Et pourtant j’en suis bien sûre. » Et ils n’en dirent pas plus long.

Hrut alla devant le roi, et le salua. Le roi demanda : « Que veux-tu Hrut ? » « Je veux vous prier, Seigneur, de me donner congé pour retourner en Islande. » « Auras-tu là-bas plus d’honneurs qu’ici ? » dit le roi. — « Non, dit Hrut, mais il faut que chacun suive sa destinée. » « C’est peine perdue de lutter contre un plus fort, dit Gunhild. Donne-lui congé ; qu’il parte quand il lui plaira. » L’année était mauvaise dans le pays, et pourtant le roi lui donna de la farine, autant qu’il en voulut. Il mit donc son vaisseau en état pour aller en Islande, et Össur avec lui.

Quand ils furent prêts, Hrut vint trouver le roi et Gunhild. Gunhild le prit à part et lui dit : « Voici un anneau d’or que je veux te donner » et elle le lui passa au bras. « J’ai reçu de toi beaucoup de beaux cadeaux » dit Hrut. Elle lui mit les bras autour du cou, le baisa et dit : « Si j’ai autant de puissance sur toi que je me l’imagine, voici que je te jette un sort, et je veux que tu n’aies pas de bonheur avec cette femme que tu vas prendre en Islande, mais tu pourras trouver ton plaisir avec d’autres femmes. Et maintenant nous ne serons heureux ni l’un ni l’autre : car tu n’as pas eu confiance en moi. » Hrut se mit à rire et s’en alla. Il vint trouver le roi, et le remercia de l’avoir toujours bien traité, et comme un chef. Le roi lui souhaita bon voyage. Il dit que Hrut était un homme très brave, et qui pouvait aller de pair avec les plus grands. Hrut monta sur son vaisseau, et mit à la voile. Il eut bon vent, et ils arrivèrent, lui et les siens, dans le Borgarfjord.

Sitôt que le vaisseau fut à terre, Hrut s’en alla chez lui, dans l’Ouest, et Össur resta pour décharger. Hrut vint à Höskuldstad. Son frère le reçut avec joie, et Hrut lui conta ses aventures. Après cela, il envoya un homme dans le pays de la Ranga, dire à Mörd Gigja de se préparer pour la noce. Les deux frères allèrent au vaisseau, et Höskuld dit à Hrut l’état de ses biens. Ils s’étaient beaucoup accrus depuis que Hrut était parti. Hrut dit : « Je ne te le revaudrai jamais comme je le devrais, frère ; mais je vais te donner de la farine, autant qu’il t’en faudra pour la maison durant l’hiver. » Ils tirèrent le vaisseau à terre, lui firent un abri, et portèrent toute la cargaison dans la vallée de l’Ouest.

Hrut resta six semaines chez lui, à Hrutstad. Alors les deux frères et Össur se préparèrent à partir pour la noce de Hrut. Ils montèrent à cheval, et soixante hommes avec eux. Ils chevauchèrent d’une traite jusqu’à la plaine de la Ranga. Il y avait grande foule d’hôtes. Les hommes prirent place sur les bancs du fond, et les femmes sur les bancs de côté. La fiancée était triste. On versa à boire, et la noce se passa bien. Mörd compta la dot de sa fille, et elle partit avec Hrut pour le pays de l’Ouest. Ils chevauchèrent sans s’arrêter jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés chez eux. Hrut donna à sa femme toute puissance sur l’intérieur de sa maison, et chacun trouva que c’était bien. Et pourtant ils ne semblaient pas faire bon ménage. Cela dura ainsi jusqu’au printemps.

FIN DE L’EXTRAIT

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