Préface des Éditions de Londres

« Le soldat fanfaron » ou miles gloriosus est une comédie de Plaute composée à une date qui reste inconnue. Avec La Marmite, il s’agit de la comédie la plus célèbre de l’auteur latin.

Résumé de la pièce

Philocomasie, une courtisane, a été enlevée par un soldat fanfaron, Pyrgopolinice, qui l’emmène jusqu’à Ephèse. Palestrion, l’esclave de l’amant de Philocomasie, Pleusiclès, cherche à prévenir son maître, mais il est capturé en mer et donné comme esclave au même soldat. Toutefois, il parvient à prévenir son maître resté à Athènes. Quand ce dernier apprend la nouvelle, il se rend à Ephèse. Palestrion fait alors percer le mur mitoyen entre la maison où est enfermée Philocomasie et la maison voisine, permettant ainsi aux deux amants de se retrouver. Mais un esclave de Pyrgopolinice les aperçoit. Pour expliquer la chose, Palestrion fait croire à l’esclave qu’il a été le dupe d’une grossière illusion : la jeune femme qu’il a aperçue dans les bras de ce jeune homme n’est pas Philocomasie mais bien sa sœur jumelle, Dicée. L’esclave finit par admettre l’impossible.

Dans la deuxième partie de la pièce, Palestrion invente un stratagème pour que Pyrgopolinice rende sa liberté à Philocomasie. Il demande au vieillard Périplectomène de se prêter au jeu. Le vieil homme, ami de Pleusiclès, aurait épousé une jeune femme, jouée par une autre courtisane. Ensemble ils parviennent à faire croire au soldat que la jeune femme, Acrotéleutie, est malheureuse en mariage, est folle amoureuse de Pyrgopolinice et veut l’épouser. Le soldat est tellement persuadé que toutes les femmes sont amoureuses de lui qu’il le croit volontiers. Grâce à ce stratagème Palestrion et ses complices poussent le soldat à rendre sa liberté à Philocomasie afin qu’il ait la maison pour lui tout seul. Une fois Philocomasie et Pleusiclès embarqués pour Athènes, Pyrgopolinice rejoint la courtisane Acrotéleutie et tombe dans un piège. Il est rossé par les esclaves du vieux Périplectomène, et doit promettre de ne pas chercher à se venger avant d’être libéré.

L’ancêtre de tous les soldats fanfarons ?

Le personnage central de Miles gloriosus, Pyrgopolinice, ou le preneur de tours, est l’ancêtre de nombreux personnages de soldats fanfarons dont se moquera allègrement la comédie Européenne : le Capitan dans la Commedia dell’Arte, le personnage du Pédant joué de Cyrano de Bergerac, mais aussi Le franc-archer de Bagnolet, ou encore le Matamore de L’illusion comique de Corneille, voire dans une certaine mesure Tartarin de Tarascon, pour la faconde, la naïveté et le ridicule, puisque finalement Pyrgopolinice est idiot mais pas si cruel.

Le premier vaudeville ?

C’est probablement la première pièce vaudevillesque de l’histoire de l’antiquité. Contrairement à ses successeurs, et probablement à l’image des modèles tirés des pièces grecques de la Comédie Nouvelle dont Miles gloriosus est une adaptation, ce soldat est adultère avant d’être fanfaron, ou plutôt il passe plus de temps à raconter ses succès féminins que ses succès guerriers. C’est donc bien davantage un coureur de jupons qui croira tout, fera tout pour assouvir ses désirs lubriques. En cela, il est tout autant l’ancêtre du Dindon de Feydeau que celui du Capitan de la Commedia dell’Arte. De plus, le châtiment qui lui est proposé à la fin de la pièce suite à la volée de bâton, celui de l’ablation des testicules (auquel il échappe), montre bien que l’adultère et sa sanction sont au centre de la pièce. Enfin, les différents stratagèmes utilisés, la fausse sœur jumelle, la jeune épouse faussement amoureuse, annoncent déjà le vaudeville du Dix-Neuvième siècle. 

La fusion de deux pièces

La structure narrative est une obsession française. Pas que française, d’accord, mais la critique française reste obsédée par la vraisemblance, la construction, et fustige tout écart à la sacrosainte règle de la logique assemblant les évènements d’une histoire comme les boulons d’une chaîne de montage, et gare à celui qui s’endort au travail. Plaute ne s’encombre pas de ce genre de scrupules. A notre époque, Plaute se ferait incendier par éditeurs et critiques littéraires. En cela, nous proposons à nos lecteurs cette façon originale de comprendre la France : une élite grecque et un peuple romain. Une élite, décidant de tout, plus à l’aise avec la veine comique, faite de finesse et de logique, d’un Ménandre, et un peuple, suant, buveur et rigolard, aimant avant tout la farce de Plaute.  Mais franchement, il s’en moque. Une nouvelle fois, « Le soldat fanfaron » est inspiré de pièces grecques, et encore une fois Plaute a fait un travail de recomposition en faisant passer le comique de situation avant la construction narrative, ce qui visiblement ne dérangeait pas ses contemporains. La première pièce dont il s’inspire, c’est « Le vantard » ou Alazon, probablement de Philémon, pièce qui était aussi une satire politique, puisque le personnage de Pyrgopolinice aurait été d’abord inspiré par le roi Démétrios Poliorcète, lequel avait beaucoup de traits communs avec le personnage de Plaute : la vantardise comme l’obsession des concubines. Mais Plaute s’est inspiré d’une seconde pièce grecque dont nous ignorons l’identité. En perdant le côté politique de l’original, il est clair que Plaute nous emmène dans un autre théâtre, celui de la comédie de mœurs, qu’il cherche à multiplier les scènes comiques, qu’il en développe des personnages plus proches et familiers, des situations dans lesquelles le public peut se retrouver, se démarquant radicalement de la comédie aristophanienne, avant tout politique et satirique. Pour multiplier les effets comiques, le contenu d’une pièce grecque n’était jamais suffisant ; il lui fallait chercher dans le répertoire grec des histoires aux thèmes communs et aux personnages complémentaires, avant de se livrer à un périlleux travail d’entrecroisement des intrigues.  Le tout est de faire rire. Le résultat, ce sont des pièces qui traversent les âges.

© 2013- Les Editions de Londres