Préface des Editions de Londres

« Le barbier de Séville » est une comédie en quatre actes de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais représentée pour la première fois en 1775. « Le barbier de Séville » est le premier volet d’une suite de trois pièces, dont le deuxième volet est le célébrissime Le mariage de Figaro, suivi de La mère coupable. L’ensemble est une trilogie connue sous le nom de « Roman de la famille Almaviva ». Si Le mariage de Figaro est une des pièces les plus connues et les plus jouées du répertoire français, si Le mariage époustoufle encore par son modernisme et l’intelligence de ses dialogues, si Le mariage est tout simplement un des chefs d’œuvre des Lumières, « Le barbier de Séville » est une pièce qu’il serait coupable de négliger sous prétexte que de nos jours, l’Opéra de Rossini est devenu presque plus connu que l’original, et s’y est presque substitué.

Une pièce musicale

Oui, nous prétendons que « Le barbier de Séville » est une pièce vouée à la représentation chantée. A l’origine inspirée de L’Ecole des femmes, une des pièces les plus connues de Molière, « Le barbier de Séville » a trouvé une nouvelle célébrité avec l’Opéra de Gioachino Rossini sous le titre Il barbiere di Siviglia, son chef d’œuvre représenté pour la première fois en 1816 au Teatro di Torre Argentina de Rome. C’est d’ailleurs en écoutant le fameux opéra interprété par Maria Callas et Luigi Alva qu’à notre tour nous composons modestement ce petit article.

L’adaptation de Rossini était la deuxième version puisque Giovanni Paisiello avait déjà composé un premier « Il barbiere de Siviglia » en 1782, donc seulement cinq ans après la création du Barbier de Séville, et du vivant de Beaumarchais. Si on n’est pas bien sûr de l’origine du personnage de Figaro (certains prétendent que c’est Beaumarchais lui-même, et que Figaro est une déformation de « fils Caron »), on est bien sûr qu’il nous rappelle Sganarelle, Scapin, Mosca, et la grande suite de valets roublards et virtuoses de l’intrigue et du langage qui nous viennent tout droit de l’Europe du Sud et de la Commedia dell’arte. Ainsi Beaumarchais dépoussière, nous débarrasse du fond de classicisme auquel cède parfois Molière, probablement bien malgré lui à l’image de son médecin, et revient ainsi à la grave légèreté qui vient sur les planches incarner le génie du Dix-Huitième siècle.

Une histoire d’amour à l’ombre des orangers et au sein des guitares

L’intrigue est simple : le comte Almaviva est tombé amoureux de Rosine, pupille du vieux croulant Bartholdo. N’ayons pas peur des mots, le vieux barbon rêve de mettre la jeune et jolie Rosine (dont il contrôle la fortune) dans son lit. Déguisé, le comte Almaviva tombe sur son ancien valet, Figaro, qui va l’aider dans ses desseins. Beaumarchais utilise tous les ressorts du comique, caractère, situation, langage, afin de divertir son audience et déclencher les rires, que nous imaginons bien sonores à l’époque.

Il est difficile de ne pas s’interroger sur le rôle du théâtre, le théâtre qu’aux Editions de Londres nous avons toujours aimé. A cette époque, le théâtre est la manifestation la plus « populaire » de l’art du langage. Parce que le théâtre, ce sont avant tout des dialogues, qui émeuvent, ou alors comme Aristophane, comme Plaute, comme Molière, qui font rire. Nous ne pouvons donc qu’être ébahis, éberlués, quand nous pensons à tous ces intellectuels parisiens qui survalorisent depuis des années le théâtre de l’ennui, qui considèrent que le théâtre drôle est dégradant, méprisable, bourgeois, tandis que le théâtre des masses, c’est justement celui que les masses ne vont pas voir : ennuyeux, déprimant, risible à force d’être minimaliste. Comme le rappelle « Le barbier de Séville » et son truculent auteur, Beaumarchais, le théâtre, c’est la vie.

Et la vie se satisfait difficilement de bâillements et de flashs intellectuels obtenus par la surexposition à des dialogues et des phrases si lourdes que les acteurs finissent la pièce sous la scène, et que leurs voix semblent nous parvenir d’outre-tombe. Le théâtre de Beaumarchais, ce n’est pas trop ça. Heureusement.

Une pièce moderne

C’est donc une pièce avant tout moderne que nous vous proposons de télécharger sans plus attendre. Parce que télécharger « Le barbier de Séville », c’est aussi se télétransporter dans un monde autre, finalement plus proche du monde dont nous rêvons. Un monde au ton neuf, en rupture, enlevé, frais, plein d’une fraîcheur insolente. Inutile de le répéter, la force de Beaumarchais, ce sont les dialogues. L’art du dialogue est si consommé chez Beaumarchais que ses caractères, ses personnages, au lieu de s’opposer, sont à la fois très vivants et la manifestation d’un tel esprit, insolent, frivole, truculent, que l’on s’attend à tout moment qu’ils fassent une pause et enlèvent leurs masques. En cela, par cette joie, par cette légèreté presque musicale, comme l’a si bien rendu Rossini, ils semblent se mêler, tournoyer autour de nous, et se confondre, perdant ainsi leurs individualités, pour atteindre un étourdissement que seules la musique, le chant et la danse savent rendre avec justesse. Enfin, nous ne saurons terminer sans une de ces comparaisons dont Les Editions de Londres ont fait une de leurs spécialités : A bout de souffle de Jean-Luc Godard, dont la modernité des situations, des dialogues, dont l’insolence, face à une société bloquée à l’époque, annonce selon nous 1968 aussi sûrement que « Le barbier de Séville » annonce 1789.

© 2011- Les Editions de Londres