Préface des Éditions de Londres

Le formidable évènement est un roman de science-fiction publié par Maurice Leblanc en 1920. Le formidable évènement est l’histoire d’une secousse sismique d’une telle violence que la Manche disparait, et que l’Angleterre et la France sont soudain reliées par une bande de terre. Cette nouvelle terra incognita devient rapidement le lieu où affluent les brigands et les meurtriers.

Bref résumé

Tout commence par des évènements inexpliqués sur la Manche : un navire soudain emporté par une trombe d’eau, un autre qui disparait dans un tourbillon etc. Puis le 4 juin, c’est le « formidable évènement », un cataclysme naturel d’une telle violence que le tunnel sous la manche est détruit (intéressant…et dommage que Leblanc ne situe pas clairement son histoire dans le temps), et que toute la côte française (ainsi que la côte anglaise qui lui fait face) est ravagée.

Mais c’est du Leblanc, et il fallait une histoire d’amour (à notre humble avis non, mais c’est lui l’auteur…) : on a donc aussi l’histoire de Simon Dubosc, jeune homme normand bien sous tous rapports, et d’Isabel Bakefield. Ils s’aiment, veulent se marier, mais c’est compter sans l’opposition de Lord Bakefield, qui reproche à Simon non pas le fait d’être français, mais ses origines roturières. Pour avoir sa fille, Simon devra conquérir un pays, et réussir toutes sortes d’exploits qui évoquent plus la geste moyenâgeuse ou la quête du Saint Graal que la métaphysique du héros d’anticipation.

D’ailleurs, dès que le cataclysme arrive, plutôt que de s’ébahir sur l’état de la côte, le nombre de morts, ou l’incroyable réalité naturelle qui s’offre à ses yeux, Simon se précipite sur la bande de terre surgie des eaux. Très rapidement, il réalise qu’il n’est pas le seul : des hordes de brigands sans foi ni loi se précipitent pour accaparer les nouveaux territoires, piller les épaves, anciennes ou récentes, et dépouiller les cadavres de leurs biens précieux. S’en suivront des rocambolesques aventures (qui évoquent davantage Gustave Le Rouge que l’auteur des Lupin) ou Simon affrontera un monstrueux bandit du nom de Rollerston, rencontrera des indiens peaux-rouges (je n’ai toujours pas compris pourquoi…), une belle femme fatale dont il tombera amoureux mais qu’il n’osera pas embrasser de peur de vexer sa piteuse fiancée, laquelle est prisonnière pendant à peu près la moitié du livre. Au final, Simon abandonne la belle Dolores, femme fatale et dangereuse qui lui a sauvé la vie, il sauve la vie et la vertu d’Isabel, il libère son idiot de père, se débarrasse des brigands et est finalement nommé commissaire aux territoires nouveaux.

Un roman niais ?

Le formidable évènement, c’est en réalité deux romans mêlés l’un à l’autre. Le deuxième, c’est le roman niais : version moderne de l’amour courtois, histoire d’aventures qui ne se tient pas trop, western de série B, personnages fades et futiles…Est-ce à dire que le roman n’est pas bon ? Absolument pas ! En dépit de sa moitié « ratée », Le formidable évènement est étonnant, novateur et parfois visionnaire.

Un roman étonnant

L’idée d’abord est excellente. Les 50 premières pages du livre sont palpitantes, et on y croie, à cette disparition de la Manche ! Ensuite, les descriptions de la catastrophe sont vraiment très bonnes et révèlent à ceux qui en douteraient le grand talent d’écrivain de Leblanc. Puis il y a des détails visionnaires, comme la disparition du tunnel sous la Manche, dans un roman écrit il y a près de cent ans. Et enfin, la violence extrême des descriptions des scènes post apocalyptiques, font alternativement penser à Mad Max (les brigands qui poursuivent, attaquent, tuent tout ce qui bouge), ou à Waterworld (Rollerstone qui trône dans son épave abandonnée au milieu d’une mer retirée), ou encore à Mad Max rencontre Waterworld rencontre Jabba the Hut (scènes d’horreur de vivants et de cadavres jetés pêle-mêle et entassés dans les cales de l’épave, meurtres continuels…). Le formidable évènement ne passera pas inaperçu.

Le parallèle entre Leblanc et Conan Doyle

Leblanc est un normand. C’est avant tout un admirateur de Maupassant. C’est un grand écrivain, mais comme beaucoup d’écrivains, il aborde la quarantaine sans avoir rencontré le succès et l’estime de ses contemporains. C’est alors que la renommé de Sherlock Holmes donne l’idée à Pierre Lafitte l’éditeur de créer un personnage bien français et qui irait le concurrencer sur ses platebandes. Raffles existe déjà, il est anglais, mais pas si connu que cela, pourquoi alors ne pas s’inspirer de Raffles le gentleman cambrioleur pour créer Lupin, une sorte d’antithèse de Sherlock Holmes : français, voleur, plein de panache et de gouaille.

Lafitte confie cette mission à Maurice Leblanc, l’écrivain de petite renommée, et le tour est joué : le formidable destin de Lupin vient d’être décidé. Lupin a tant de èque Leblanc n’arrive plus à s’en débarrasser, paradoxalement comme Conan Doyle, lequel lui aussi aurait tant aimé liquider son célèbre détective, mais ne le put point. L’autre point de rencontre entre Leblanc et Conan Doyle, c’est naturellement la science-fiction et l’anticipation, à l’époque encore à ses balbutiements. Il fallait rendre hommage à Maurice Leblanc, qui est beaucoup plus qu’un écrivain de romans policiers et d’un personnage. Il fallait rendre compte de la contribution de Leblanc à la grande histoire de la science-fiction.

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