LE FRANC-ARCHER DE BAGNOLET

LE FRANC-ARCHER

(soufflant dans un cornet.)

C'est du guignon ! J'ai beau corner !
Or çà, il s'en faut retourner,
Malgré ses dents, en sa maison !
Et pourtant je ne vis saison,
Où j'eusse si hardi courage
Que j'ai ! Par la morbleu, j'enrage
De n'avoir personne à combattre...
Y a-t-il homme, ou même quatre,
Quatre hommes courageux, qui veuillent
Combattre avec moi ? Qu'ils recueillent
Mon gantelet donc, comme gage !
Par le sang bleu ! Je ne crains page,
S'il n'a pas plus de quatorze ans.
J'ai autrefois tenu les rangs,
Dieu merci, et gagné le prix
Contre cinq Anglais que je pris,
Pauvres prisonniers presque nus
Dès que je les eus abattus...
C'était au siège d'Alençon.
Trois proposèrent leur rançon
Et le quatrième s'enfuit.
Quant au cinquième, il me saisit
Et me serra si fort la gorge
Qu'aussitôt je criai : « Saint George[Note_1], »
Bien que je sois un bon Français !
Sang bleu ! Car comme je pensais
Qu'étant seul pour telle besogne
Il m'aurait tué sans vergogne,
Avant qu'on vint me secourir,
Je lui criai pour l'adoucir.
Quand sur ma tête il eut cassé
Une bouteille : « C'est assez !
Ami, calmez votre colère !
Je ne vous cherche point d'allaire.
Ventre bleu, buvons donc ensemble...
Mais ne croyez pas que je tremble !
Sang bleu ! car je ne vous crains pas !
Faisons tous deux un bon repas ! »

(À ce moment on entend, dans la coulisse, chanter un coq : Cocorico ! L'archer, très effrayé, s'arrête un instant.)

Qu'entends-je ? C'est une volaille
Qui chante ici. Faut-il que j'aille
La faire taire ? Et lui montrer
Qu'elle ne peut m'effaroucher !
Volailles font ici leurs nids,
Mais fussent-elles d'Ancenis,
Par ma foi, ou de Champtocé[Note_2],
Je n'ai pas peur ! Quand l'an passé
Fut frappé l'un de mes neveux,
J'eus d’un canon par les cheveux,
Le boulet même frôla ma barbe !
Mais je m'écriai : « Sainte Barbe !
Si tu m'aides en ce moment,
Je te promets mon dévouement ! »
Ainsi le boulet me frôla,
Sans plus ! Cette aventure-là
M'arriva quand je pris le fort...
Le baron s'en souvient encor.
Craon, Cures, l'Aigle et Bressoire,
Le marquis, c'est un fait notoire,
La Rochefoucauld, l'Amiral[Note_3],
Pour voir si j'avais quelque mal
Accoururent. Les capitaines,
Ôtant gantelets et mitaines
De fer, de peur de m'affoler,
Vinrent me voir et m'accoler.
Ils me relevèrent de terre,
Blâmant ma valeur téméraire.
Bien que je fusse fort malade,
Je mis la main à ma salade,
Car elle étouffait mon visage.
« Ah ! dit le marquis, cette rage
Quelque jour te fera mourir ! »
Car il m'avait bien vu courir
Devant tous, montant au château
Sans peur !... J'y perdis mon manteau.
Car j'avais pris une poterne
Pour la porte d'une taverne.
Et moi, sans crainte de personne,
Je frappais. Quand le clairon sonne
On sent s'accroître le courage !
Et je criais : « Où est-ce ? Où est-ce ?»
Des rangs serrés fendant la presse,
Et j'entrais comme en eu coton,
Enfonçant les murs d'un bâton,
Cependant que dans la prairie
Criait toute la confrérie :
« Voyez, voyez donc comme il court !
N'assaillez pas la basse-cour ! »
Car sans crainte de la volaille
Aux coqs j'aurais livré bataille.
Mais tandis que je faisais rage,
Un valet, ou plutôt un page,
Nous arrêta sur le chemin,
Mon frère d'armes Guillemin
Et moi (que Dieu nous le pardonne !),
À travers la troupe bretonne
Nous aurions porté la bataille,
Sans nul souci de la mitraille,
Et pris un parti d'ennemis
Que nous trouvâmes endormis !
Mais quel réveil !... Nous apaisâmes
Notre courage et reculâmes.
Mais que dis-je ? De reculer
Un brave ne doit pas parler !
Je ne craignais que les dangers.
À quelques pas, au Lion d'Angers,
Nous trouvons un refuge honnête,
Où la table était toute prête.
Là nous restons, sans nulle peur.
Dehors tonnait une fureur
D'artillerie grosse et grêle
Et l'on entendait pêle-mêle
Tip, tap, sip, sap, à la barrière.
Aux ailes, devant et derrière.
Je reçus parmi la cuirasse
Un boulet venant de la place,
Où des dames, tout en émoi,
Tremblaient encor bien plus que moi.
Mais j'accueillis comme une prune
Ce boulet, sans frayeur aucune.
J'avais un canon portatif ;
Et si j'eusse été trop hâtif
De mettre le feu à la poudre
J'eusse détruit comme la foudre,
Ces dames, qui joignaient les mains
De terreur ! Nous fûmes humains.
Malgré le son de la trompette
Qui célébrait notre conquête,
Nous eûmes pitié de ces femmes...
J'ai toujours respecté les dames.
Mais tous ces goujats de village,
Qui dans nos rangs faisaient tapage,
Auraient bien pu sans se gêner,
Les occire ou les malmener !
Mais nous autres, archers, nous sommes
Toujours de parfaits gentilshommes,
Sachant mater la valetaille.

FIN DE L’EXTRAIT

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