Préface des Editions de Londres

« Le Jeu de Robin et Marion » est une œuvre théâtrale médiévale d’Adam de La Halle probablement écrite et représentée vers 1283. C’est une pièce fort différente du Jeu de la Feuillée ; écrite lors de son séjour à Naples, tandis qu’il y accompagnait le Comte d’Artois, « Le Jeu de Robin et Marion » est un divertissement de cour, une bergerie alternant dialogues, chants et farandoles.

L’origine de la pièce

« Le Jeu de Robin et Marion » a probablement été composé à la cour de Charles d’Anjou, et à la demande de Robert d’Artois. Certains, mais ils sont une minorité, contestent cette théorie, et reconnaissent dans « Le Jeu de Robin et Marion » les prémices du talent qui donnera naissance au Jeu de la Feuillée. Franchement, nous avons du mal à y croire. D’abord, d’un point de vue littéraire, il nous semble extrêmement difficile d’établir une chronologie entre les deux pièces, vu que les genres, les thèmes traités, la liberté des scènes et des mots, sont si différents. De plus, « Le Jeu de Robin et Marion », de par sa dimension tragi-comique, sa profondeur nostalgique, l’aspiration qui se dégage d’une paix champêtre, presque irréelle, tant elle est idéalisée, tout ceci indique à nos yeux l’œuvre d’un homme plus âgé, et toujours en maîtrise de son art.

Enfin, si Le Jeu de la Feuillée nous apparaît comme un certain miroir du treizième siècle, libéré, grivois, à l’image d’un Moyen-Âge citadin et industrieux, « Le Jeu de Robin et Marion » est à l’opposé l’expression d’un monde imaginaire, celui de la vie rurale, de ses sentiments amoureux, de la gaieté de village, un monde sûrement bien lointain de la noblesse réfugiée dans ce petit royaume de Naples, menacée d’une fin tragique, et qui trouva certainement dans ce spectacle une paix des sens. 

Résumé du Jeu de Robin et Marion

Robin et Marion sont deux villageois d’une région de France pas bien déterminée, mais probablement du Nord. Robin et Marion s’aiment. Elle chante dans la campagne quand le chevalier Aubert l’aborde. Elle se refuse à lui, en dépit de son insistance. Puis elle en parle à Robin, qui s’en indigne, et va se plaindre à ses amis. Le chevalier Aubert revient. Marion se refuse encore. Robin finit par confronter le chevalier. Ce dernier le bat, et emporte Marion. Puis la laisse repartir. Marion retrouve Robin. Les villageois s’adonnent à certains jeux de l’époque, un instant interrompus par un loup qui vole une brebis de Marion. Les jeux reprennent, et la pièce se termine par une fête champêtre d’une grande gaieté.

Les différentes versions

Avant de vous présenter « Le Jeu de Robin et Marion », nous avons cherché parmi de nombreuses versions, lesquelles diffèrent, ce qui semble assez naturel, puisque plus de sept siècles nous séparent de sa première représentation, qui eut lieu au Royaume de Naples, que l’on ne sait pas si Adam de La Halle y est mort ou en est revenu, et que les versions abondent.

Ainsi, il y aurait deux versions différentes à la Bibliothèque Nationale de Paris, et une troisième conservée à la bibliothèque d’Aix en Provence. De même, les traductions et adaptations diffèrent aussi. La présente traduction du picard en français moderne nous vient de Georges Gassies des Brulies.

Le Jeu de Robin et Marion, une bergerie ?

Il serait si facile de ne voir dans « Le Jeu de Robin et Marion » qu’un intérêt purement historique, une pièce désuette, bergerie et pastourelle, faite d’une gaieté qui nous semble insolite, voire factice. Ce serait évidemment un jugement hâtif. Comme pour tout, il faut remettre la pièce dans son contexte. A l’époque, la Sicile et la région de Naples étaient sous la domination des français de Charles d’Anjou. Le 30 Mars 1282 commence à Palerme et à Messine le soulèvement connu sous le nom de Vêpres Siciliennes. Le massacre déclenche l’intervention des Français, qui arrivent rapidement à la demande du roi Philippe le Hardi. C’est dans ce contexte sanglant et tendu que le trouvère, jongleur, poète Adam de La Halle arrive à la cour de Naples où s’est réfugié Charles d’Anjou. 

Isolés de tous, cloitrés dans leur royaume éphémère et sans queue ni tête, gageons que la cour de Charles vit dans ce divertissement ce qu’il fut, un saut dans un monde idéal, un monde nostalgique qu’ils regrettent amèrement. Charles d’Anjou mourra en 1285 dans les Pouilles. Le comte d’Alençon sera assassiné quelques temps plus tard. Le fils de Charles d’Anjou sera condamné à mort peu de temps après. Adam de La Halle ne reverra pas la France et sa chère ville d’Arras. Il meurt à Naples quelques années plus tard.

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