Préface des Éditions de Londres

« Le Mariage de Figaro » est une comédie en cinq actes de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, écrite en 1778 mais représentée pour la première fois en 1784, au terme de quatre années de censure. « Le Mariage de Figaro » constitue la suite du Barbier de Séville. On y retrouve beaucoup des mêmes personnages : Figaro, Almaviva, Rosine, Bartholo…Toutefois, leur caractère semble altéré et leur importance respective a été remaniée. La pièce est l’une des plus célèbres du théâtre français. On considère souvent que, par sa critique hardie des privilèges de la noblesse, elle annonce la Révolution Française.

Une histoire de sexe avant tout

Oui, le chef d’œuvre des Lumières, une de nos pièces préférées, c’est aussi une histoire de sexe. Rappelons-nous, dans Le Barbier de Séville, Figaro aide le Comte Almaviva à conquérir le cœur de Rosine, en dépit des tentatives de Bartholo pour mettre la jeune fille dans son lit. Le Barbier est une reprise assez classique du répertoire théâtral, puisque la pièce reprend approximativement l’histoire de L’Ecole des femmes de Molière. Avec Le Mariage, c’est différent. D’abord, la légende dit que ce serait le Prince de Conti, qui avait soutenu Beaumarchais au cours de ses déboires procéduriers, qui lui aurait demandé sur son lit de mort d’écrire une suite au premier Figaro.

Beaumarchais s’y met donc. Cette fois-ci, le Comte Almaviva s’ennuie avec son épouse Rosine et aimerait bien coucher avec la future femme de Figaro, Suzanne. Ni Figaro ni Suzanne ne sont de cet avis. Si le Comte a renoncé par le passé à cet odieux privilège du droit de cuissage, il voudrait toutefois en avoir l’usufruit sans pour autant en user. Un peu : je ne te le demande pas, donc pour me remercier de ma générosité, ce serait assez sympa de me l’offrir, si vous voyez l’idée. Les Editions de Londres parlent ici de l’hymen de Suzanne évidemment. A cette intrigue somme toute assez simple mais aux rebondissements à répétition, se juxtaposent d’autres problématiques de nature sexuelle, puisque Marceline, femme entre deux âges, aimerait bien user d’un reçu qu’elle obtint autrefois de Figaro afin qu’elle l’épouse, ce qui franchement, vue la différence d’âge, nous semble principalement motivé par une envie de chair fraîche, si ce n’est qu’ici, les rôles sont inversés. Enfin, le jeune page au service du Comte a des vues sur la Comtesse. Et le Comte, qui trouverait assez naturel de rendre femme Suzanne avant que son mari légitime se soit occupé de la chose, le Comte a un sérieux problème avec l’idée qu’un autre puisse honorer sa femme alors que lui la délaisse honteusement. Enfin, Fanchette, petite servante aguicheuse, n’est pas forcément hostile à un rapprochement avec Chérubin, le jeune page, décidemment en pleine coulée de sève. Nous croyons avoir fait le tour. Le Comte finira par perdre face à une coalition de tous les intérêts ligués contre lui, et Figaro épouse Suzanne, puis retrouve sa mère et son père.

Au final, nos sommes au 18ème siècle, et le Mariage, qui devrait épouser le cadre d’une union monogamique à caractère légal, est bien la pièce de toutes les permutations amoureuses.

Figaro, la rupture avec la tradition

Le Barbier de Séville et « Le Mariage de Figaro » sont deux pièces très différentes. Le comportement et le caractère des personnages, mais aussi leurs relations évoluent beaucoup. Le plus évident, c’est la relation entre Figaro et le Comte. Dans Le Barbier, Figaro se comporte en valet assez traditionnel, bien dans la tradition de Scapin, et Sganarelle, Mosca…

Il est roublard, malin, plus malin que son maître, puisqu’il l’aide dans ses entreprises amoureuses et se joue habilement d’un vieux barbon et de juristes corrompus. Dans Le Mariage, Figaro et le Comte sont des ennemis. Enfin, nous le pensons. Sérieusement, si ç’avait été une pièce colombienne ou sicilienne, le Comte aurait d’abord retrouvé une tête de cheval dans son lit, puis il y aurait eu un contrat sur lui. Ici, rien de tout ça, on sent un Figaro qui souffre, qui par moments brûle de se venger ; pourtant, pas d’attaque en règle contre le Comte, une amertume contenue probablement parce que Figaro aime vraiment sa Suzanne et souffre à chaque fois que son mariage semble lui filer entre les doigts.

Si les valets de Molière sont plus malins que leurs maîtres, ici Figaro prend l’ascendant moral sur son maître. Les artifices utilisés pour le jouer sont avant tout le produit de l’initiative des femmes, et puis le comportement du Comte laisse à désirer : rendez-vous compte, nous connaissons les standards moraux des aficionados des Editions de Londres, Figaro aide le Comte à épouser la femme qu’il aime, et le Comte fait tout pour coucher avec la future femme de Figaro…avant lui, car le droit de cuissage, ce n’est pas plus l’adultère que la Mère Poulard c’est les bains douches, ce sont deux choses bien distinctes !

Nous sommes d’ailleurs assez surpris que les exégètes de Beaumarchais ne notent pas cette « symétrie », qui nous semble assez centrale à la pièce et prépare le discours de Figaro à la fin.

Le Mariage, une pièce révolutionnaire ou pas ?

D’abord, Figaro eut un succès exceptionnel à sa sortie. Un peu l’équivalent des Visiteurs, mais deux cents avant. D’ailleurs, Figaro, c’est un peu le Casablanca des citations célèbres. « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. », « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. ». « Le Comte- Les domestiques ici…sont plus longs à s’habiller que les maîtres. Figaro- C’est parce qu’ils n’ont point de valets pour les aider. »

Et puis il y a la scène trois de l’acte Cinq. Prise de façon isolée, nous ne sommes vraiment sûrs qu’elle appartienne à une pièce comique. Nous pensons, ou plutôt nous avançons une hypothèse simple. Beaumarchais est tout sauf un reconstructeur de monde. D’ailleurs la Révolution dans ses débuts s’inscrit bien dans la continuité des Lumières, et vers la fin, elle ne s’y inscrit plus du tout, puisqu’elle est récupérée par la Némésis des écrivains des Lumières, Voltaire, Diderot ou Beaumarchais : le dogmatisme.

Ainsi, Beaumarchais règle son compte à une société qui lui aura fait beaucoup : mépris, tracasseries judiciaires permanentes, sort suspendu au bon vouloir des Nobles et du Roi, censure qu’il doit affronter pendant quatre ans pour faire jouer sa pièce, tout cela est foncièrement injuste. Il est au sommet de sa gloire, il n’avait jamais pensé faire de l’écriture un métier à plein temps, à la fin de Figaro il touche, et il balance ses quatre vérités à la société contre laquelle il a du se battre depuis sa naissance.

Beaumarchais est un vrai humaniste. Il voit le monde et sa perfectibilité d’un point de vue simple, particulier, pas d’esprit de système là dedans. C’est aussi un pragmatique, un horloger, indépendant, précis, résolu. Il veut l’abolition des privilèges, qu’elle vienne du Roi ou de qui que ce soit, mais la Révolution, avec la Terreur, son inévitable fascination pour la tyrannie, pourquoi en voudrait-il ? Donc, révolutionnaire, non. Prérévolutionnaire ou partisan du changement ? Evidemment !

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