Préface des Éditions de Londres

« Le Père Noël ne meurt jamais » est un recueil de contes modernes de Jean-Basile Boutak et Jean-Marie Apostolidès publié en 2013 par Les Éditions de Londres.

La vérité sur le Père Noël

La première fois que j’ai lu ça, c’était, je crois, dans un bon petit Westlake. C’était une de ces petites digressions dont il n’a pas forcément coutume. J’ai trouvé cela tellement bien vu que je dois vous en parler. Alors, ce sera avec mes mots, ce sera différent, mais l’idée, elle vient de lui. Disons que nous avons la même opinion sur le Père Noël.

Le Père Noël est la dernière réincarnation du Dieu judéo-chrétien.

D’abord, il y eut le Dieu d’Abraham. Ce Dieu demande au père de tuer le fils pour éprouver, mesurer, affermir la foi d’Abraham. Et ce Dieu arrête le bras d’Abraham au moment où celui-ci s’exécute. Ce Dieu est jaloux, il rappelle les Dieux Asiatiques, omnipotents, suprêmes, qui n’admettent pas le doute. Il pose des limites assez fondamentales à la liberté humaine.

Puis il y a le Dieu de Moïse. Il laisse faire le massacre des nouveaux-nés, laisse souffrir les Juifs asservis, engloutit des hordes d’Égyptiens sous la mer rouge, dicte ses Lois, punit Moïse, ne le laisse pas atteindre la Terre Promise. Ce Dieu est dur et vengeur. C’est un Dieu d’extrêmes, un Dieu qui s’exprime en technicolor. Il est pourtant juste. Il a une loi, une seule, il s’agit de la respecter sous peine d’encourir ses foudres et son ire toute-puissante.

La troisième incarnation du Dieu judéo-chrétien, c’est le Christ. Le Dieu d’Abraham et de Moïse est pourtant toujours présent puisque c’est lui qui nous envoie son fils unique pour nous sauver. Mais dans l’Occident moderne, la personnalité du Christ s’est progressivement substituée à celle de Dieu le père. Le Christ est un « Dieu » différent : il pardonne, il comprend, il parle, il est à l’écoute, le Christ est évidemment un « Dieu » humanisé, un « Dieu » d’amour, qui nous touche, mais ce « Dieu » sacrifié, crucifié, au bout d’un moment a paru trop sanglant, presque trop réel à notre civilisation conciliante, pleine d’amour et d’indifférence bienveillante vis-à-vis de ses proches, ses frères. Sans vouloir tout à fait l’admettre, il y a quelque chose de dérangeant dans la personnalité du Christ. D’abord il est complexe, puis il est là en permanence, sur cette croix, souvenir d’une faute après tout ; enfin, son père n’est pas vraiment recommandable, puisque il a accepté que son fils soit sacrifié ; c’est vrai, s’il a tous pouvoirs, pourquoi ne pas les utiliser ? Pourquoi l’abandonner ? De nos jours, abandonner son fils, même pour la bonne cause, ce n’est pas acceptable : pas politiquement correct.

Il fallait à l’Occident quelque chose qui colle mieux à sa civilisation. Et alors, on a la quatrième incarnation du Dieu judéo-chrétien, le Père Noël. Le Père Noël est bien le Dieu de notre époque, pour notre époque. Il est rondouillard, il a une belle barbe blanche, il vient des territoires purs de la Laponie, qui dans son monde pseudo-réel, est encore immune des problèmes de fonte glaciaire. Mais surtout le Père Noël n’est pas toujours là. Si on peut lui écrire, il ne fait sentir sa présence que quelques jours par an. C’est un Dieu qui ne nous en demande pas trop. D’ailleurs il ne nous demande rien. Même pas de croire en lui. Et puis on peut compter sur lui. Tous les ans, à une période donnée, il est là et on l’attend. Cette euphorie qui tombe sur la ville pleine de lumières, elle n’est pas si factice, c’est un retour du sacré que nous ne sacrifierions pour rien au monde. Nous sommes des post-modernes en manque ; en manque de sacré. Mais nous l’avons voulu. Le Père Noël aime, ne condamne pas, ne punit pas, et surtout ne nous fait pas souffrir (parce que le Déluge, ou le spectacle tragique du Christ sur la croix, c’est tout de même poignant, et on n’a franchement pas besoin de ça…). Le Père Noël est l’ultime étape de l’humanisation de Dieu (une humanisation pour notre époque, surtout déconnectée de la réalité dure), c’est le réceptacle de toutes les fonctions magiques et féériques de la divinité mise de côté. Mais surtout, et enfin, le Père Noël ignore la mort. Il est éternel, sans l’être, il est éternel de fait, puisqu’il est toujours là, mais cycliquement. Dans un monde où tous ont un droit au plaisir, le Père Noël est idéal, il n’impose rien, c’est un peu un Dieu de poche, que l’on sort quand on en a envie, un Dieu-objet, conforme à notre époque de post-tolérance, une époque où tolérer n’est plus forcément suffisant, et qu’il faut tolérer positivement, avec le sourire inexpressif qui sied à l’époque ; le Père Noël, c’est le Dieu-objet post-tolérant. 

L’origine du Père Noël

Non, le Père Noël n’est pas l’invention de Coca Cola, il ne manquerait plus que ça ! D’accord, la société pétillante d’Atlanta contribua beaucoup à sa popularisation mondiale, mais les origines datent du Dixième siècle, et plus proche de nous, c’est avant tout une légende nordique, et c’est surtout un personnage inspiré de Saint-Nicolas, ou Santa Claus, ou Sinteer Klaas. Mais l’origine du Père Noël, c’est avant tout le paganisme, et le personnage du Père Noël s’est toujours trouvé écartelé entre ses rennes, cadeaux et lutins d’une part, et les origines païennes de la fête de Noël (la date du 25 décembre correspondait historiquement à la fête de Mithra) d’autre part. Le fait que de plus en plus de gens croient que le Père Noël fut dessiné et inventé par Coca Cola en 1931 prouve bien que l’on dit vraiment n’importe quoi…

Le Père Noël ne meurt jamais

Parlons maintenant du livre, du livre qui nous occupe. Jean-Basile Boutak et Jean-Marie Apostolidès se sont livrés pour notre plus grand bonheur à l’exercice périlleux de composition à quatre mains. Derrière le thème du Père Noël, on retrouve une vraie interrogation sur le doute et la foi, sur ce qui fonde notre société de doute, notre société où il est devenu « normal » de ne pas croire, mais où il reste « normal » que les enfants croient au Père Noël (si la société laïque cherche à jeter un voile pudique sur le vacarme des confessions, elle ne lâche pas prise sur le Père Noël, seul terrain d’unité religieuse), notre société prompte à croire absolument n’importe quoi à condition que ce soit stimulant, immédiat et indolore. Avec leur exercice de style en quatre nouvelles, lancées sur des rythmes distincts comme les mouvements d’un concerto, les auteurs nous offrent un monde différent, où l’hiver rural côtoie l’été urbain, où le merveilleux s’imbrique et s’emmêle avec l’absurde ou le fantastique, où l’onirique nous déplace sur une illusoire échelle de la réalité perceptible, où la sensibilité d’un enfant est mise en parallèle avec les autres âges de l’existence.

Le Père Noël est le dernier refuge du sacré dans un monde profane. 

Quatre contes modernes

Ce sont des textes entrecroisés, qui se mêlent et se reflètent l’un l’autre comme sur la neige par un matin d’hiver ensoleillé…

C’est Noël mon Père, par Jean-Basile Boutak : le Père Jean-Marie Kadzinski, espèce d’Ebenezer Scrooge en soutane, accepte de suivre un étranger à l’issue de la messe de Noël.

Le Père Monde, par Jean-Marie Apostolidès : les bars d’Amsterdam sont fréquentés par de curieux personnages et les propos de comptoir pas toujours ceux qu’on imagine. Truffé de références érudites et bibliques, voici une nuit de Noël où l’on croise les fantômes d’Albert Camus et de Samuel Beckett.

Un Coup de main, par Jean-Basile Boutak : lorsqu’un étudiant prend le train après une journée en bonne compagnie, il ne s’attend pas aux surprises que lui réserve un paquet de chips oublié sur la banquette d’un wagon.

Le Voleur de Chimères, par Jean-Marie Apostolidès : y a-t-il magie plus puissante que la volonté d’un enfant qui désire quelque chose de tout son cœur ? Ou comment le vol d’un encrier peut changer la vie d’un être humain.

Un mot du Père Noël ?

Nous comptons bien sur sa présence au lancement de ce recueil de quatre contes modernes. Il nous dira, l’espérons-nous, ce qu’il en pense. Il n’a pas encore vraiment digéré Le Père Noël est une ordure, d’où sa réticence légitime à apparaître en public, mais le numérique, nous dit-il, faciliterait bien sa tâche logistique. Nous comptons donc sur lui et sa hotte pleine de liseuses démarquées.

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