Préface des Editions de Londres

« Le principe anarchiste » est un court texte de Kropotkine publié en 1913, dans les Temps nouveaux. Ecrit huit ans avant sa mort, c’est un texte tardif qui, selon Les Editions de Londres offre en quelques pages au lecteur la possibilité de tirer la substantifique moelle de l’idée anarchiste.

Histoire de l’anarchie

Outre son éloquence, encore plus palpable, presque plus visible dans ses textes courts, Kropotkine nous démontre une fois encore que si Reclus est le géographe de l’anarchie, Bakounine le grand prêtre (car il y a bien du religieux dans Bakounine), Kropotkine en est l’historien. Et quel historien ! "A ses débuts, l’Anarchie se présenta comme une simple négation." Oui, tout mouvement qui ne souhaite pas composer avec l’inacceptable naît d’abord de la négation. "Négation de toute espèce d’autorité. Négation encore des formes établies de la société, basées sur l’injustice, l’égoïsme absurde et l’oppression, ainsi que de la morale courante, dérivée du Code Romain, adopté et sanctifié par l’Eglise chrétienne. C’est sur cette lutte, engagée contre l’autorité, née au sein même de l’internationale, que le parti anarchiste se constitua comme parti révolutionnaire distinct."

Kropotkine décrit ensuite l’évolution de l’anarchie vers l’affirmation "d’une société libre, sans autorité, marchant à la conquête du bien-être matériel, intellectuel et moral". Il démonte habilement les mécanismes d’exploitation qui nous donnèrent les sociétés post-chrétiennes fondées sur la domination combinée des éléments de l’Etat, soutenu par la Noblesse, les anciens conquérants, ou une sorte de caste aristocratique, l’Eglise, ou l’institution du religieux, et enfin la caste capitaliste, qui dans toutes les sociétés gagna en prééminence avec le progrès technologique issu des avancées de la Renaissance, menant à la chute de la Noblesse, puis du Clergé, puis à la transmutation du monarchique en pouvoir élu, d’abord par les intérêts financiers, utilisant des moyens évoluant avec le progrès technologique, financement des partis puis médias audiovisuels.

Kroptokine regrette la perte d’influence de la philosophie. Il rejoint Nietzsche dans sa critique de la philosophie allemande et son admiration pour Voltaire.

"A cette époque là, les affameurs redoutaient la philosophie. Mais les curés et les gens d’affaires, aidés par des philosophes universitaires allemands, au jargon incompréhensible, ont parfaitement réussi à rendre la philosophie inutile, sinon ridicule. ". D’ailleurs, dans l’influence de la philosophie allemande du Dix Neuvième siècle, avec cette dématérialisation sémantique, cette utilisation perverse du langage pour recréer un réel en dehors du réel, n’a-t-on pas les prémices de la réflexion communiste, philosophie avant tout allemande, que les philosophes français et allemands porteront (la philosophie, pas le communisme) à une degré encore jamais atteint d’incompréhensibilité.

L’anarchisme, principe d’une renaissance intellectuelle

Si l’anarchisme commence en tant que négation, Kropotkine insiste sur son rôle reconstructeur (ce que Les Editions de Londres, signataires de la pétition néo-schumpétérienne de renaissance parisienne par la destruction puis la reconstruction de Paris, ne peuvent qu’applaudir). Il n’a pas la méfiance d’un Bakounine vis-à-vis de la science. Un de ses grands thèmes, c’est le parallélisme entre le développement des sciences physiques, naturelles et sociales, et celle de l’organisation sociale, thème qu’il poussera parfois jusqu’à ses limites comme dans La morale anarchiste.

Le principe anarchiste

Des discours sur l’essence de l’anarchisme, Kropotkine en a écrit plus que son compte. Ce qui est intéressant dans ce petit texte, c’est qu’il est à la recherche de son principe constructeur.

Alors, à tous les détracteurs de Kropotkine, à ceux qui maintinrent qu’il fut récupéré par la Russie soviétique, qui s’inscrivait déjà à l’opposé des idées qu’il soutint toute sa vie, Les Editions de Londres répondent qu’il n’en est rien. Le principe anarchiste, c’est le principe de la liberté.

Une nouvelle fois, écoutons-le : "C’est que contre tous ces partis, les anarchistes sont les seuls à défendre en son entier le principe de la liberté. Tous les autres se targuent de rendre l’humanité heureuse en changeant, ou en adoucissant la forme du fouet. S’ils crient « à bas la corde de chanvre du gibet », c’est pour la remplacer par le cordon de soie, appliqué sur le dos. Sans fouet, sans coercition, d’une sorte ou d’une autre, sans le fouet du salaire ou de la faim, sans celui du juge ou du gendarme, sans celui de la punition sous une forme ou sous une autre, ils ne peuvent concevoir la société."

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