Préface des Editions de Londres

« Le tour du monde en 80 jours » est un roman de Jules Verne écrit en 1872 et publié en 1873, un des plus grands romans d’aventures jamais écrits. Ses personnages principaux, Philéas Fogg et Passepartout sont entrés au panthéon des personnages de roman, avec le capitaine Nemo, Michel Strogoff, mais aussi les personnages de Dumas, Monte-Cristo ou les Trois mousquetaires, ou ceux de Hugo, Jean Valjean, Quasimodo…

Jules Verne et la bande dessinée

Nous l’avons déjà dit à propos des Tribulations d’un Chinois en Chine, et nous le maintenons : « Le tour du monde en 80 jours » s’inscrit complètement dans un univers B.D. En revanche, nous ne dirions pas la même chose de Michel Strogoff ou de Vingt mille lieues sous les mers, ou bien de la plupart des romans de Jules Verne. Mais Philéas Fogg et Passepartout, c’est Jacques et son Maître, c’est Figaro et Almaviva, c’est le dernier avatar d’une longue litanie de maîtres un peu vaniteux et de leurs valets roublards, c’est aussi de la BD pure et dure. C’est bien pour cela que nous avons choisi d’illustrer le roman dans un style assez marqué « Bande dessinée ».

Les personnages voyagent dans un décor coloré, qui change tout le temps, rencontrent des situations plus ou moins rocambolesques et sont portés par un but bien clair, que le lecteur connaît depuis le début du roman, et qui le tient en haleine, sans pauses, sans temps morts, de la première à la dernière page. Le défilé incessant des images, des décors, des situations, des accélérations, étourdit le lecteur, car ce qui caractérise la BD, c’est la permanence du mouvement. Les caractères peu poussés, c’est voulu, voire nécessaire, puisque cela permet de transformer des personnages un peu caricaturaux en personnages universels, allant ainsi à l’opposé des leçons de la littérature contemporaine.

Les voyages et la science

« Le tour du monde en 80 jours » change le monde. C’est plus qu’un roman initiatique, c’est un roman d’appropriation du monde, allant bien au-delà du simple récit d’exploration à la Bougainville avec le Voyage autour du monde. La position de Verne est paradoxale. S’il est porté par un courant qui croit en la domination du monde par la science occidentale, il est aussi en porte-à-faux avec la colonisation, qui vit à cette époque son âge d’or, et il refuse certaines de ses manifestations, témoin la critique du commerce de l’opium par les Britanniques en Chine.

Rien n’est impossible à l’humain : paquebots, trains, éléphants si nécessaire, mais certainement pas le ballon, invention amusante du premier film, repris depuis, et que nous avons aussi décidé de reprendre dans nos illustrations, clin d’œil à la vie de cette histoire, puisque rappelons le, Les Editions de Londres se proposent d’injecter la vie dans la littérature, comme de ramener la littérature à la vie ; le ballon, c’est donc un rêve de Philéas Fogg ? Alors, si plus rien n’est impossible à l’humain, si tous les moyens de transport sont déjà inventés, il ne reste plus à Jules Verne qu’à inventer des machines volantes, des machines d’exploration sous les mers, ce qu’il s’empressera de faire plus tard.

Ainsi, quand Kennedy promet un homme sur la lune d’ici la fin de la décennie, il s’inscrit totalement dans l’esprit de Jules Verne, et surtout dans la lignée du « Tour du monde en 80 jours ». Ce volontarisme, il n’est d’ailleurs pas anodin que les Américains l’embrassent et l’accueillent à bras ouverts. Pour les Français, Jules Verne, et Tintin, son héritier direct, ce sont des histoires pour les enfants. D’ailleurs, pour les bobos de gauche ou pour Eva Joly, ce sont des histoires pour enfants qui font l’apologie du colonialisme et de la supériorité de la civilisation occidentale. Oui, les dogmatiques de tous poils n’ont jamais bien compris la relativité de l’histoire. Pour les Américains, Jules Verne et Tintin s’inscrivent curieusement très bien dans leur civilisation marquée par l’optimisme, la foi en l’homme et dans le progrès, toutes choses que le mépris de caste professé en terre germanopratine abhorre et méprise.

La course contre la montre

Si ce roman définit presque l’univers BD et celui des aventures de Tintin, il y a dans l’urgence de la situation une dimension presque cinématographique. On pense à La mort aux trousses, Nick of time, Marathon man, ou plus récemment Run Lola run, où les quatre-vingt jours se transforment, signe des temps, en vingt minutes, et dont la cinématographie urbaine relance Berlin et le Gendarmenmarkt, …lequel est également choisi pour la nouvelle adaptation cinématographique du « Tour du monde en 80 jours »…Toutes ces comparaisons semblent exagérées à notre époque sursaturée de culture cinématographique et en décadence littéraire, mais on se trompe. Quand Jules Verne écrit « Le tour du monde en 80 jours », on a bien écrit des tours du monde, des relations de voyage, mais on n’a jamais rien écrit de tel. Ce roman invente non seulement la BD, mais invente aussi l’urgence, et paradoxalement signe la fin d’une certaine littérature puisque seulement soixante ans plus tard, le cinéma reprendra le flambeau et montrera au spectateur sa capacité à nous faire rêver…plus vite.

Un roman humaniste

« Le tour du monde en 80 jours », serait-ce un des premiers romans humanistes ? Nous n’en doutons pas. Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Jules Verne n’est pas aveugle, il n’est pas dupe des défauts de la civilisation qu’il habite, ses romans plus graves le montreront. Si Jules Verne est un être et un auteur beaucoup plus complexe que les germanopratins, toujours amateurs de réductionnisme de ceux qui ne leur ressemblent pas, le souhaiteraient, c’est aussi l’homme idéaliste, optimiste, l’écrivain d’une foi dans le progrès et dans la science. Est-ce vraiment surprenant ?

La fin du Dix Neuvième siècle est le temps d’une accélération du progrès scientifique, qui suscite à l’époque la fascination du public. Les distances s’abolissent. Il devient possible au commun des mortels de passer d’un point du globe à l’autre. L’envie de savoir, la curiosité de l’homme, la foi dans son devenir n’ont jamais été apparemment si fortes. Apparemment, car n’oublions pas que 1872, c’est aussi un an après l’une des défaites les plus brutales de l’histoire de France, la perte de deux provinces historiques, l’une des guerres civiles les plus sanglantes. Ne nous y trompons donc pas. Sans vouloir sous-estimer l’optimisme et l’humanisme messianique qui caractérisent l’époque, les plus grands élans de foi dans l’avenir surviennent toujours à la suite des plus rudes épreuves.

© 2011- Les Editions de Londres