Acte I.

Scène I.

Péniculus[Note_2].

La jeunesse m’a donné le nom de Péniculus, parce que, quand je dîne, je fais les plats nets. Ceux qui chargent leurs captifs de chaînes, ou qui mettent des entraves aux esclaves fugitifs, agissent, sur ma foi, comme de grands sots : car, si au mal d’un misérable s’ajoute un nouveau mal, l’envie double de fuir et de faire pis que pendre. De manière ou d’autre ils se débarrassent de leurs chaînes : ceux qui sont aux fers liment l’anneau, ou bien avec une pierre ils font sauter le clou : c’est là une bagatelle. Si tu veux garder ton homme comme il faut et l’empêcher de fuir, c’est par le manger et le boire que tu dois le retenir ; attache-le par le museau à un râtelier bien garni ; tant que tu lui donneras bien à boire et à manger, tous les jours, à bouche que veux-tu, il se gardera bien de se sauver, eût-il tué père et mère. Avec cette courroie tu le tiendras sans peine : rien de plus élastique que ces liens de la gourmandise : plus on les élargit, plus fortement ils étreignent. Moi, par exemple, je vais de ce pas chez Ménechme, à qui ma sentence m’a livré, je cours au-devant de mes fers. Il ne vous nourrit pas seulement les gens, il les remplume, les engraisse : il n'y a pas de meilleur médecin. D’ailleurs ce bon jeune homme est lui-même un solide mangeur ; il donne des repas de Cérès[Note_3], tant ses tables sont chargées, tant les plats s’y entassent en belle ordonnance ; il faut monter sur son lit si l’on veut prendre au sommet de la pyramide. Mais je viens d’avoir plusieurs jours d’interruption : il a fallu me claquemurer chez moi avec ce qui m’est cher. C’est que je ne mange ni n’achète que ce qu’il y a de plus cher ; mais pour le moment ces objets si chers dont je me régale me font défaut. Aussi je vais lui rendre visite. Mais la porte s'ouvre ; eh ! c’est Ménechme lui-même que je vois, il sort de chez lui.

Scène II.

Ménechme, Péniculus.

MÉNECHME.

À sa femme qui est dans la maison.

Si tu n’étais pas une méchante bête, une sotte, une créature intraitable et acariâtre, ce qui déplaît à ton mari te déplairait aussi. Mais si tu me joues encore le même.tour, je te mettrai à la porte, je te répudierai, et tu iras trouver ton père. Chaque fois que je veux sortir, tu me retiens, tu me rappelles, tu me demandes où je vais, à quoi je pense, quelle affaire m’occupe, ce que je cherche, ce que j’emporte, ce qui s’est passé dehors. J’ai épousé un douanier, à qui il me faut déclarer et ce que je fais et ce que je viens de faire. Je t’ai trop gâtée ; mais pour l’avenir je te préviens : je ne te refuse rien ; servantes, provisions, laine, bijoux, robes, pourpre, rien ne te manque ; si tu es sage, tu prendras garde qu’il ne t’arrive malheur ; tu cesseras d’épier ton mari. Bien mieux, je ne veux pas que tu m’espionnes pour rien, et pour t’apprendre, je me donnerai aujourd’hui même une maîtresse et je la mènerai souper en ville.

PÉNICULUS.

À part.

Il croit faire pièce à sa femme, mais c’est plutôt à moi : car s’il dîne en ville, c’est sur moi qu’il se venge et non pas sur elle.

MÉNECHME.

Bravo ! A force de quereller, je l’ai forcée à rentrer. Où sont nos coureurs de maris ? ils tardent bien à venir m’offrir leurs présents et me féliciter de ma bravoure. Je viens de prendre là dedans cette mante à ma femme, et je la porte à ma maîtresse. Voilà comme il faut attraper ces fines mouches qui vous espionnent. Oh le beau trait, le tour adroit, merveilleux, admirable ! J’ai si bien fait que j’ai friponné la friponne, et je vais jeter mon larcin dans le gouffre. J’ai enlevé ce butin à l’ennemi, sans que nos alliés aient souffert.

PÉNICULUS.

Hé ! l’ami, n’aurai-je pas ma part de ces dépouilles ?

MÉNECHME.

C’est fait de moi, je tombe dans une embuscade.

PÉNICULUS.

Eh non, c’est du renfort ; ne craignez rien.

MÉNECHME.

Qui est là ?

PÉNICULUS.

C’est moi.

MÉNECHME.

Ô la bonne fortune ! l’heureuse rencontre ! Bonjour !

PÉNICULUS.

Bonjour !

MÉNECHME.

Eh bien, que dis-tu ?

PÉNICULUS.

Lui prenant la main.

Je tiens par la main mon bon génie.

MÉNECHME.

Tu ne pouvais arriver plus à propos.

PÉNICULUS.

C’est toujours comme cela. Je sais prendre les bons moments.

MÉNECHME.

Veux-tu voir une farce délicieuse ?

PÉNICULUS.

Quel est le cuisinier qui l’a apprêtée ? Rien qu’en donnant un coup d’œil aux restes, je saurai bien s’il a fait quelque bévue.

MÉNECHME.

Dis-moi, n’as-tu pas vu sur quelque muraille une peinture représentant Ganymède enlevé par l’aigle, ou Adonis par Vénus ?

PÉNICULUS.

Plus d’une fois ; mais que me font ces peintures ?

MÉNECHME.

Tiens, regarde-moi ;

Il montre la mante sous son manteau.

n’y a-t-il pas de ressemblance ?

PÉNICULUS.

Que signifie cet équipage ?

MÉNECHME.

Conviens que je suis joli garçon.

PÉNICULUS.

Où dînons-nous ?

MÉNECHME.

Dis d’abord ce que je veux te faire dire.

PÉNICULUS.

Volontiers, vous êtes le plus joli garçon du monde.

MÉNECHME.

N’ajouteras-tu rien de ton cru ?

PÉNICULUS.

Et le plus jovial.

MÉNECHME.

Continue.

PÉNICULUS.

Je m’en garderai bien, par Hercule, avant de savoir ce que cela me vaudra. Vous êtes en querelle avec votre femme : oh ! raison de plus pour prendre mes précautions avec vous.

MÉNECHME.

Il faut trouver quelque endroit pour enterrer cette journée, sans que ma femme sache où s’est allumé le bûcher.

PÉNICULUS.

Allons, à merveille, vous parlez d’or, et j’ai hâte d’approcher la torche, car cette journée est déjà à moitié trépassée.

MÉNECHME.

Tu te retardes toi-même en me coupant la parole.

PÉNICULUS.

Ménechme, crevez-moi l’œil qui me reste, si je souffle mot sans votre ordre.

MÉNECHME.

Viens, éloigne-toi de la maison.

PÉNICULUS.

Soit.

MÉNECHME.

Viens ça encore.

PÉNICULUS.

Volontiers.

MÉNECHME.

Allons, bravement, éloigne-toi encore de l’antre de la lionne.

PÉNICULUS.

Par ma foi, vous feriez, je pense, un excellent cocher.

MÉNECHME.

Comment cela ?

PÉNICULUS.

C’est que vous retournez de temps en temps la tête, pour voir si votre femme ne vous suit pas.

MÉNECHME.

Mais que dis-tu ?

PÉNICULUS.

Moi ? je dis oui ou non, comme il vous plaît.

MÉNECHME.

Si l’on te faisait sentir quelque chose, pourrais-tu deviner à l’odeur ?

PÉNICULUS.

Tout comme si vous preniez le collège des augures.

MÉNECHME.

Eh bien, flaire un peu cette mante que j’ai là : que sent-elle ? tu recules ?

PÉNICULUS.

C’est par le haut qu’il faut flairer un vêtement de femme : car par ce bout-là le nez s’empuantit d’un parfum trop tenace.

MÉNECHME.

Flaire donc par ici, mon gentil Péniculus : tu es bien dégoûté !

PÉNICULUS.

Il y a de quoi.

MÉNECHME.

Eh bien ? qu’est-ce que cela sent ? réponds.

PÉNICULUS.

Le vol, la courtisane, le dîner.

MÉNECHME.

Je vais la porter ici à ma maîtresse, à la courtisane Érotie. Je ferai apprêter à dîner pour moi, pour toi et pour elle, et nous boirons jusqu’à ce que se lève demain l’étoile du matin.

PÉNICULUS.

C’est parler : faut-il frapper ?

MÉNECHME.

Frappe… Hé ! attends donc.

PÉNICULUS.

Vous retardez d’une lieue les flacons.

MÉNECHME.

Frappe doucement.

PÉNICULUS.

Vous avez donc peur que la porte ne soit de faïence ?

MÉNECHME.

Attends, attends, je t’en prie : la voici qui sort.

PÉNICULUS.

Oh ! c’est le soleil que vous voyez. Tenez, comme l’autre est obscurci par l'éclat de ce beau teint !

Scène III

Érotie, Péniculus, Ménechme

ÉROTIE.

Bonjour, Ménechme, ma chère âme.

PÉNICULUS.

Et moi ?

FIN DE L’EXTRAIT

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