Préface des Editions de Londres

« Les Perses » est une tragédie d’Eschyle représentée en – 472. « Les Perses » fait partie d’une tétralogie. Les autres pièces sont Phinée, Glaucos, Prométhée. Il s’agirait de la pièce conservée la plus ancienne de l’histoire du théâtre.

Les guerres médiques

Les guerres médiques jouent un rôle assez essentiel dans l’histoire de la Grèce et donc de l’Occident. Elles opposent les Perses aux cités grecques des confins occidentaux de leur Empire. Au milieu du VIème siècle avant Jésus Christ, les cités grecques de l’Ionie, douze cités d’Asie Mineure, se révoltent contre l’emprise perse pour des raisons économiques, fiscales et politiques.   Le meneur de la révolte, Aristogoras, se tourne vers Sparte puis vers Athènes et les entraîne dans le conflit contre les Perses. En – 494, les Perses assiègent Milet, en Asie mineure, et l’emportent sur les Grecs au cours d’une bataille navale qui oppose trois cents trirèmes grecques à six cents navires phéniciens, égyptiens, et chypriotes. La flotte grecque est anéantie, les villes d’Ionie reconquises par les Perses. Cette défaite crée une onde de choc en Grèce continentale, et contribue certainement au sentiment d’unité qui caractérisera bientôt la Grèce, historiquement une collection de Cités-Etats farouchement opposées les unes aux autres.

C’est alors, à la suite de cette défaite, que commence la première guerre médique. D’abord une expédition manquée en – 492, puis une deuxième expédition de Darius en – 490 qui s’achève par la prestigieuse victoire grecque de Marathon. La stratégie militaire des Grecs est très différente de l’approche Perse. A une armée en nombre, diverse, faite de peuples hétéroclites de l’Empire, Athènes oppose une infanterie lourde de soldats-citoyens, des hoplites, qui sont organisés en phalanges.

Puis survient la deuxième guerre médique, sous l’impulsion du fils de Darius, Xerxès. Il envisage de conquérir toute la Grèce et prépare son invasion minutieusement. Suite à la victoire d’Artémision, le massacre des trois cents spartiates du défilé des Thermopyles, les Perses arrivent à Athènes qu’ils mettent à sac, et dont ils massacrent les habitants restés sur place (beaucoup avaient fui la ville). La situation semble désespérée quand les Grecs contre-attaquent et gagnent à Salamine, en anéantissant la flotte perse en – 480. La bataille de Platées en – 479 et la bataille navale du Cap Mycale parachèvent la défaite perse.

L’influence des guerres médiques dans l’inconscient occidental est sans comparaison. Le danger Perse, en unifiant des cités grecques disparates, aurait-il contribué au premier éveil de ce qui donnera le sentiment de l’Etat-Nation vingt siècles plus tard ? Avec la défaite des Perses, existe-t-il dans l’inconscient européen cette idée qu’un Empire multi-ethnique, composé de peuples aux langues et aux cultures dispersées, fait de bric et de broc, ne peut qu’être fondé sur la tyrannie, et ne peut résister sur la durée (Empire Russe, austro-hongrois…) ?

Marathon, Salamine, restent parmi les batailles les plus étudiées en polémologie. Les Thermopyles symbolisent l’esprit de sacrifice de peuples unis contre des Empires plus puissants. Au cours de l’histoire militaire, nombre d’armées bien entraînées, préparées à la guerre, bien organisées, ont eu raison d’adversaires supérieurs en nombre. Nombre d’armées menacées par la barbarie se sont prises pour les Spartiates des Thermopyles ou pour les Athéniens de Marathon ou de Salamine.

Les Perses

La vision historique d’Eschyle n’a rien à voir avec celle d’Hérodote. Il ne faut pas lire « Les Perses » pour y trouver une narration fidèle de l’histoire. Eschyle n’est pas à la recherche de faits, il est à la recherche de pathos. Mais plutôt que de montrer la liesse athénienne au lendemain de la victoire de Salamine et de la défaite sans précédent des armées et de la flotte de Xerxès, il préfère prendre le point de vue des Perses, et montrer leur douleur et leur désespoir à l’annonce du désastre. « Les Perses » sont un magnifique (épique ?) moment de pathos qui nous vient du fond des âges et nous touche par ses accents poignants ; « Les Perses » est une illustration de la permanence de ce qui fait la condition humaine, un fil qui nous tient aux autres par le langage, par l’art, par la mémoire, par le spectacle achronique des émotions, la preuve que l’humain peut trouver l’immortalité par-delà le cadre limité de sa propre existence, par ce qui le relie aux existences des autres, de ceux qui le précèdent, et de ceux qui vont le suivre. « Les Perses » révèle le rôle de l’art en ce qu’il transcende les confins individualisés de la vie humaine. L’art ne se résume donc pas à notre propre perception d’un objet extérieur, mais serait plutôt un révélateur de la réalité permanente du monde ; ainsi, ce qui nous impressionne, ce n’est pas ce que l’on comprend, ou devine, bien au contraire, c’est ce qui nous dépasse. En cela, l’art, comme la foi (mais que serait la foi sans son expression la plus irrationnelle, la plus réelle, l’art ? Et la foi serait-elle une tentative de rationalisation, donc de réduction de l’art ?), ce sont toujours des tentatives de nous réunir avec les autres par-delà la mort, c’est une recherche de l’unité primordiale, c’est un saut vers l’immortalité.

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