Préface des Éditions de Londres

« Les Thesmophories » est une pièce d’Aristophane écrite et représentée en 411 avant Jésus Christ. A l’instar des Grenouilles, déjà publiées chez votre éditeur numérique préféré (oui, Les Editions de Londres), « Les Thesmophories » sont une satire d’Euripide. Cette fois-ci, Aristophane, apparemment le roi des machos athéniens, s’en prend à la misogynie des pièces d’Euripide. Il s’agit, avec Lysistrata et L’Assemblée des femmes de la troisième pièce « féministe » d’Aristophane.

Bref résumé de l’intrigue

Les femmes d’Athènes en ont assez des moqueries et critiques incessantes d’Euripide à leur encontre. A l’occasion des Thesmophories, fête des femmes donnée à l’attention de Déméter et Perséphone, les Athéniennes envisagent de se venger. Quand Euripide l’apprend, il envoie un de ses parents, Mnèsilokhos, déguisé en femme, afin d’en savoir plus, et aussi afin de plaider sa cause, puisque les Athéniennes se sont mises en tête de faire son procès et de demander sa condamnation. Mais le benêt Mnèsilkhos est vite démasqué et arrêté par les femmes sur le Thesmophorion. Alerté par le prisonnier, Euripide se rend à la fête pour le délivrer. Il prend l’apparence de Persée, puis voyant qu’il n’arrive à rien, il essaie de raisonner avec les Athéniennes, mais sans plus de succès, enfin il se déguise de nouveau mais arrive accompagné d’une vieille femme et d’une danseuse envoûtante qui finit par avoir raison de par ses attitudes suggestives de l’archer chargé de la garde du prisonnier. Ce qui qui manque probablement au public d’aujourd’hui, c’est la succession ininterrompue de parodies des propres pièces d’Euripide, censé produire l’effet comique dans cette pièce tardive dont l’unique objectif est de distraire, faire rire, mais surtout de se moquer d’Euripide.

Les Thesmophories

Les Thesmophories étaient une fête des semailles qui se déroulait en Octobre pendant trois jours en l’honneur de Déméter, et de sa fille Perséphone, les deux déesses thesmophores. Elles n’étaient ouvertes qu’aux femmes athéniennes mariées. Fêtes d’origine agricole, elles associaient la fertilité et l’institution du mariage, symbolisant le cœur de la structure familiale et de la société sédentarisée.

Le premier jour, les femmes déterraient des figurines ensevelies au cours de l’été, et dont la symbolique rappelait la situation de la fille de Déméter, l’autre déesse thesmophore, Perséphone, qui faisait des aller retours réguliers entre le monde terrestre et le monde souterrain. Le deuxième jour était censé représenter un monde dystopique privé de fertilité, de richesses agricoles… Pour cela, les femmes jeûnaient, gisaient à même le sol… Enfin, le troisième jour était un hommage à la fertilité sous tous ses aspects, offrandes de denrées, nourritures, mais aussi symbolique sexuelle, objets de fertilité, probablement phalliques, échanges de propos obscènes, censés honorer la sexualité, un des socles de l’institution conjugale.

Apparemment, le culte de Déméter précédait l’invasion Dorienne, et le centre de ce culte était avant tout crétois, mais beaucoup des symboliques associées au culte le rapprochent aussi de certaines traditions indo-asiatiques. C’est probablement pour cela que nous avons choisi d’illustrer "Les Thesmophories" avec une frise d’Angkor Wat qui représente les Apsaras Indiennes. Nous voulons rappeler l’importance du métissage civilisationnel, et le couloir qui culturel et religieux qui unit Grecs, Crétois, Perses et Indiens depuis des millénaires.

Aristophane et les femmes

Il est assez convenu de dépeindre Aristophane comme un réactionnaire, un macho condescendant, moqueur à l’égard des femmes. Et pourtant, comme nous le disions plus haut, ce sont trois pièces « féministes » qu’il nous a laissées sur les onze qui ont échappé aux dégâts du temps. Alors, où est la vérité ? D’abord, il faut une fois pour toutes s’ôter de l’esprit que le statut des femmes est le fruit d’une progression linéaire. Il faut d’ailleurs ôter ces œillères mentales, de gauche, qui inscrivent le progrès social dans une linéarité continue et voient tout retour en arrière comme un accident de l’histoire (le paradis terrestre nous attend bientôt) ; ou de droite, qui utilisent un soi-disant cynisme réaliste pour nier la possibilité d’une véritable évolution sociale (les choses sont imparfaites mais bien ainsi). La réalité est toute autre. Si le progrès social est une vraie, indiscutable caractéristique de l’humanité (et non pas un privilège de certaines civilisations par rapport à d’autres, ou autres fadaises…), le progrès social n’est pas linéaire, et surtout il n’affecte pas les segments de la société avec la même célérité.

De même, il serait faux de considérer l’évolution du statut des femmes comme linéaire et monodimensionnelle. Non seulement, les objectifs du féminisme des années soixante et soixante-dix sont loin d’être atteints (viols, violences, représentation des femmes dans l’économie et la politique, marchandisation du corps de la femme…) mais la liste des retours en arrière serait trop longue pour être énumérée ici. De plus, la situation de plus en plus dualiste du statut des femmes saute aux yeux dans les sociétés occidentales et ailleurs, fonction de la condition sociale, de l’éducation, du prétexte religieux. Et ôter ces œillères idéologiques est toujours bénéfique : il faudra un jour cesser cette stupide attitude « politiquement correcte » qui vise à ne jamais juger à l’aune de nos valeurs, surtout lorsqu’il s’agit de civilisations un peu « en retard » dans l’esprit de ceux qui n’osent pas juger de peur de la condamnation de leurs pairs, alors qu’il n’y a rien de « retardé » dans les « civilisations » en question ; ce qui est en retard, c’est le processus de développement social, le processus de libération économique, et le processus démocratique, lesquels n’ont rien à voir avec la « culture », et tout à voir avec des pouvoirs en place dont nous contribuons à la préservation illégitime. Ainsi, par exemple, il n’y a rien de subjectif et tout d’objectif à condamner ces barbares qui empêchent les petites filles d’aller à l’école dans certaines régions rurales d’Afghanistan. Et ne pas le faire « par respect de la différence » est absurde et en soi condamnable. C’est d’abord une réalité économique qui entretient le conservatisme, l’oppression et offre le flanc à la propagande la plus vile de la part de mouvements bien organisés visant à faire perdurer l’obscurantisme le plus anachronique.

Alors, il est difficile, justement, de juger d’Aristophane avec nos valeurs. Si L’Assemblée des femmes imagine une société régie par les femmes pour justement s’en moquer, si Lysistrata décrit une situation où les femmes cherchent à provoquer l’arrêt de la guerre en privant leurs époux d’ébats, des féministes modernes pourraient être choqué(e)s en voyant la litanie d’obscénités proférées par les femmes dans « Les Thesmophories ». Alors, Aristophane n’est certainement pas un féministe au sens moderne du terme, mais lorsque l’on considère son dédain vis-à-vis des hommes de son époque, lorsque l’on voit les thèmes qu’il aborde, les situations qu’il imagine, les questions qu’il se pose sous couvert de s’en moquer, on peut se demander s’il ne voyait pas dans la femme, un peu l’avenir de l’homme ?

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