Préface des Éditions de Londres

« Les Chouans » est un roman historique d’Honoré de Balzac publié en 1829. Il s’agit du premier « grand » roman de Balzac. Il y décrit une intrigue impliquant Fouché et Corentin sur fonds de chouannerie bretonne en 1799, des faits situés trente ans seulement avant l’écriture du roman. Si les Balzaciens considèrent « Les Chouans » comme son premier grand roman, à l’inverse Balzac ne lui vouait pas une grande admiration.

L’influence de Walter Scott

Stendhal en parle dès 1825 dans Racine et Shakespeare : l’influence de Walter Scott sur la scène littéraire française depuis une dizaine d’années est remarquable. Et l’influence de Scott explique que Balzac se soit d’abord lancé dans l’écriture de romans historiques. Dès 1822, Balzac produira de nombreux ouvrages d’inspiration soit gothique (« L’héritière de Birague »..), soit historique (« Annette et le criminel »…) sous différents pseudonymes : Lord R’Hoon, Horace de Saint-Aubin…A ce titre, même si la lecture de Scott influencera la structure générale de beaucoup de l’œuvre de Balzac, finalement davantage que ses romans historiques, avec « Les Chouans », il atteint un vrai niveau de maîtrise, et surtout le succès. .

Résumé

L’action se passe en 1799 dans la campagne Bretonne. Les Chouans sont commandés par le Marquis de Montauran, dit le Gars. Ils préparent le retour du roi, et mènent la vie dure aux républicains, commandés par le commandant Hulot. Pour les mater, Fouché envoie un de ses agents, Marie de Verneuil, afin qu’elle séduise le marquis et le livre aux républicains. Elle est secondée par Corentin, dont c’est la première des nombreuses apparitions dans l’œuvre de Balzac. Mais elle tombe amoureuse du Marquis et cherche à l’épouser. Les Chouans la détestent tous. L’un d’entre eux révèle au Marquis que Marie est une courtisane et une espionne. Il la chasse, suite à quoi les soldats de Hulot sont massacrés par les Chouans de Montauran. Marie échappe de peu à la mort, mais elle aime toujours Montauran. Elle parvient à le retrouver et lui parler au cours d’un bal. Ils s’avouent leur passion, et décident de se marier une fois que Montauran aura déposé les armes. Corentin finit par la retourner en lui faisant croire que Montauran préfère Madame du Gua. Elle livre les rebelles aux troupes du commandant Hulot, et quand elle se rend compte de la tromperie, elle meurt en essayant de sauver Montauran.

Et pourtant, « Les Chouans » n’est pas un roman historique

Nous nous excusons, mais franchement, Les Editions de Londres viennent de vous mener en bateau. Rassurez-vous, tous les critiques littéraires et les spécialistes de Balzac vous mènent en bateau depuis deux siècles. Pourquoi ? « Les Chouans » n’est pas un roman historique. Comment peut-on parler de roman historique quand un auteur décrit des faits vieux de trente ans. Imaginez un roman historique qui se passe dans les années Mitterrand, avec Delors et Jack Lang dans les premiers rôles, Martine Aubry qui veut déjà être calife à la place du calife, et Ségolène Royal qui rêve de marcher à la suite du Maître de Jarnac sur la roche de Solutré. Roman historique, vraiment ? Passé mythifié, idéalisé, nostalgie du lecteur…trente ans après les faits ? Evidemment que non. C’est pareil à l’époque de Balzac : trente ans après les faits, les plaies sont loin d’être cicatrisées. Et si on comprend l’objectif de Balzac, alors on comprend la place qu’y occupe « Les Chouans », ce faux roman historique : « Les Chouans » servent à expliquer la société dans laquelle il vit. Il y décrit la haine qui agite les camps, le ressentiment des provinces de l’Ouest toujours vivaces contre la répression parisienne, la destruction des aristocraties locales par la Révolution, préparant l’avènement de l’ère bourgeoise etc. Le parti-pris de Balzac, c’est qu’il est impossible la France de 1830 sans saisir les ravages exercés par la Révolution et ses conséquences. A la différence de Dumas, plus dans une lignée scottienne, ou Hugo, injectant le romantisme dans le réalisme naturaliste, Balzac est déjà beaucoup plus proche du réalisme que du romantisme, et en cela annonce Zola.

« Les Chouans », reflet des positions politiques de Balzac

Balzac avait trop d’envie et de rancœur en lui pour avoir une vision politique. Fâché avec la bourgeoisie, mais sans amour pour le peuple, foncièrement admiratif du pouvoir et des hommes plus grands que nature, c’est plus son rôle dans la société que le sort de la société elle-même qui le préoccupe. En revanche, comme beaucoup d’êtres peu lucides avec eux-mêmes, il est très lucide sur son temps, et a parfaitement compris les mécanismes qui régissent la société dans laquelle il vit, et qu’il n’aime pas. Alors, si Balzac est un légitimiste à une époque où l’on ne sait pas encore bien quoi penser de la Révolution, son affection est pour les Bleus, et sa description de la brutalité animale des Chouans montre son mépris pour cette aristocratie provinciale qui tint ses paysans comme des bêtes pendant des siècles. Si les méthodes des républicains ne sont pas toujours jolies, le fonds du problème reste ce combat d’idéologies, voire d’identités religieuses, entre les adeptes du Dieu de l’Ouest et les dévots de la Nation. « Les Chouans » est le premier roman à revenir sur cet épisode époustouflant de l’histoire de France, et à en montrer le vrai caractère, grandiose et horrible à la fois, qu’il faudra bien un jour nommer pour ce qu’il est : une guerre civile.

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