Vendredi 30 août

La chapelle est blanche, comme dans mon souvenir. Rien n’a changé.

Je suis arrivée par le car de midi. Ce n’est plus l’engin brinquebalant de mon enfance, mais un véhicule moderne, avec la clim. Le choc thermique en descendant à l’arrêt de bus m’a coupé le souffle. L’été est encore étouffant ; c’est pourtant presque la rentrée.

Je me suis retrouvée nez à nez avec la chapelle. J’ai repensé à ces interminables mois de juillet à fuir les fessées de ma tante et à venir me cacher là, juste derrière, entre la fontaine et le mur du lieu saint. Il y avait un peu d’ombre et il faisait plus frais. Je trempais mes bras jusqu’aux coudes et jetais des cailloux dans l’eau.

Je me souviens encore du poids des galets dans mes mains d’enfant.

Ma cousine est arrivée, pantelante. C’est fou ce qu’elle a pris. Elle a voulu porter ma valise et je l’ai regardée souffler comme un bœuf pour la tirer jusqu’en haut de la côte. La maison est un véritable dépotoir. Ma tante s’en retournerait dans sa tombe. Les gamins hurlaient d’une pièce à l’autre en se jetant des choses à la figure. Lisa était fière de ses « petits anges ». Elle a vidé en vitesse ses affaires de la chambre qu’elle occupait pour que je puisse m’y installer. J’aurais très bien pu dormir sur le canapé pour une nuit. Mais non. Il faut toujours tout faire à sa sauce.

— Qu’est-ce que les gens diraient s’ils savaient que je t’ai laissée dormir dans le salon, après tout ce que tu as vécu ?

Toujours une bonne excuse pour jouer les grandes dames.

Je suis allée ranger mes affaires. Je n’ai pas grand-chose de toute façon. Surtout des livres. De quoi me remplir la tête. Je m’apprêtais d’ailleurs à finir pour la énième fois L’Écume des jours quand elle est revenue m’emmerder. Quoi ? Un peu de tranquillité ? Il fallait pas trop y compter, ma belle. Même parmi les vaches et le cresson, il y a toujours des chieurs pour te pourrir la vie.

Malgré mes protestations, je n’ai pas eu d’autre choix que de la suivre. « Une occasion unique ». Tu parles. Il y avait des lampions sur la place du village. Un groupe local reprenait les plus grands tubes de Patrick Sébastien. Les enfants se sont mis à courir comme des dégénérés autour de la scène, à pourchasser des gamins du cru. C’était pour fêter les derniers jours des vacances, m’a expliqué Lisa. Il y avait bien tout le village et aussi des gens des environs. Des touristes un peu. Des bouseux qui sont partis très vite. Des palanquées d’enfants sortis de nulle part. Et cette musique insupportable qui m’a flanqué un mal de crâne carabiné. Ou peut-être était-ce la vinasse infâme de la buvette.

On est rentrés sur le coup de dix heures. « Parce qu’il y a de la route à faire demain. » Lisa m’a prise dans ses bras pour me souhaiter bonne nuit et j’ai eu toutes les peines du monde à m’extirper de son étreinte. On n’est plus des gamines, sérieux. À la vie, à la mort ? Qu’est-ce qu’elle en sait ?