22 heures

J’ai dormi presque tout l’après-midi. J’ai peut-être un peu forcé la dose sur les somnifères.

Quand je me suis relevée, le Soleil se couchait déjà.

Au moins, j’ai pu dormir. Ne pas penser. Ne plus être.

Je suis sortie dans le petit jardin, derrière la maison. Du temps de ma tante, il y avait des platebandes bien ordonnées avec des poireaux et des carottes. Maintenant, il y a quelques pots de fleurs desséchées et une herbe jaunâtre où sont éparpillés des objets divers. Lisa a dû oublier de faire le tour du jardin avant de partir. Je me suis fait un plaisir de foutre à la poubelle tous les GI Joe abandonnés. À présent, c’est propre et net.

Je me suis assise sur une chaise de jardin rouillée près de la table en fer. Il restait un paquet de céréales pour gosses dans un placard. Ça faisait presque vingt-quatre heures que je n’avais pas mangé.

La lune était au trois quarts pleine et les grillons avaient sorti les amplis. La forêt n’était pas très loin. Ça faisait très longtemps que je n’avais pas respiré avec autant d’aise.

Je ne sais pas vraiment ce que je suis venue foutre ici. Je préférerais travailler jusqu’à ce qu’il soit l’heure du dernier RER et surveiller le monde depuis l’Arche de la Défense. Sauf que je ne peux pas. Et ça me fout en rogne presque plus que le reste. Toutes les Lisa de la Terre ont décidé que je ne pouvais pas. Alors dans une tentative désespérée pour éviter la maison de convalescence ou l’hôpital psychiatrique, j’ai négocié une mise au vert dans cette bicoque où ma vieille bique de tante a fini par claquer il y a quelques années. À écouter les grillons. Une vraie hippie.

L’air a fini par se rafraîchir suffisamment pour me pousser à rentrer. J’ai allumé le vieux poste de télé. Deux chaînes et demie. C’était soit la Trois, soit Arte, soit Canal + version brouillée. Il y avait un lecteur DVD débranché et une pile de films. Aucun dans la bonne boîte.

J’ai regardé Les Dents de la mer avec le son un peu plus fort que nécessaire. En me disant que ça ferait chier ma tante. Et Lisa. Ou à tout le moins les voisins.

Que dalle.

Dans ces vieilles bourgades, tout le monde s’en fout. Ou les maisons sont trop espacées. Je ne sais pas.

Du coup, j’ai fini mon dernier paquet de cigarettes en espérant que les rideaux prennent bien l’odeur de la fumée.

Je n’y peux rien. Quand je reviens ici, c’est comme si j’avais treize ans de nouveau. Sauf que maintenant, personne n’osera venir me dire quoi que ce soit. Alors autant en profiter.