Chapitre 8.

Caldas n’avait pas de transitions à ménager.

On quitte la bohème comme une auberge mal famée, quand et comme on peut ; on part sans dire adieu à personne.

Les huit jours de répit que lui accordait M. Mareschal furent donc pour lui comme un congé anticipé. Il en profita pour visiter quelques amis de sa famille, de la race de ces correspondants-amateurs auxquels les gens de province recommandent instamment leurs fils à surveiller, comme si à Paris on avait le temps de se mêler des affaires des autres.

Du jour où Romain s’était mis à écrire dans les journaux, il avait cessé de voir ces excellents bourgeois, sachant bien qu’ils devaient le considérer comme un homme à la mer.

En entrant dans l’administration, il revenait sur l’eau et il s’empressait d’aller leur faire part de son sauvetage. Peut-être l’idée que quelqu’un d’entre eux écrirait à sa famille n’était-elle pas étrangère à sa politesse.

Partout il fut bien reçu, et M. Blandureau, riche négociant qui professe pour la littérature l’estime qu’elle mérite, le retint à dîner.

– Vous avez pris un sage parti, jeune homme, lui dit ce commerçant à cheval sur ses principes, en quittant un métier qui n’en est pas un. En embrassant la carrière administrative, vous vous rattachez à la société ; vous devenez quelque chose.

– Pardon, interrompit Romain ; dans la littérature j’aurais pu devenir quelqu’un.

– Et après ?… continua M. Blandureau ; songez donc qu’aujourd’hui vous avez une position dans le monde. Et tenez, moi qui vous parle, j’aimerais mieux donner ma fille en mariage à un sous-chef de ministère qu’à n’importe quel académicien. Ce sont les premiers de votre état, et ils gagnent douze cents francs par an !

– Et puis ils sont si vieux ! dit Caldas.

M. Blandureau aurait sans doute ajouté des choses bien plus fortes encore, si Romain ne s’était esquivé pour courir au théâtre.

Ce soir-là il y avait première représentation aux Variétés : toute la presse, grande et petite, était dans la salle. C’était la seconde pièce d’un débutant dont on attendait monts et merveilles.

À onze heures moins le quart, le critique Greluchet fit son apparition au café du théâtre. Il promena son œil flamboyant autour de la salle, cherchant un visage ami. N’en trouvant pas, il appela le garçon par son petit nom, et se fit servir une chope. Le critique Greluchet, qu’on avait outrageusement refusé au contrôle, était allé étudier son compte rendu au Casino-Cadet ; parti furieux, il revenait presque gai, ayant recueilli deux mots méchants sur la pièce nouvelle à encadrer dans son feuilleton.

Bohême incurable, depuis huit jours Greluchet avait vu la fin de sa dernière pièce de cent sous, ce qui ne l’empêchait pas d’entrer dans ce café, se fiant, pour payer sa consommation, à la Providence qui déjà tant de fois a bien voulu acquitter ses notes.

Pour tuer le temps, il prit une feuille de théâtre et se mit à étudier la distribution de la pièce.

Déjà sa chope était à moitié vide, lorsque la porte du café s’entrebâilla discrètement, et une tête barbue apparut qui interrogeait l’horizon des consommateurs.

Greluchet reconnut cette tête.

Ce n’était pas le messager du Seigneur, le banquier de la Providence…

C’était Cahusac, le bohême qui travaille quelquefois et qui ferait de si charmants articles, s’il prenait la peine de garder la monnaie de sa conversation. Cahusac cause, il n’écrit pas ; c’est un artiste en mots, il pétille comme un feu d’artifice ; et quand l’esprit lui manque, il se sauve par la méchanceté. C’est du fiel champanisé.

FIN DE L’EXTRAIT

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