Préface des Editions de Londres

« Les guêpes » est une pièce d’Aristophane écrite et représentée en 422 avant Jésus-Christ. Satire des institutions et des pratiques judiciaires de son époque, Racine s’en inspira pour écrire son unique comédie, Les plaideurs, pièce que nous préférons à ses drames. Racine a sûrement puisé aussi dans La farce de Maître Pathelin, autre satire judiciaire, du Moyen-Âge français cette fois-ci, pour l’utilisation des accents régionaux.

De la justice à Athènes du temps d’Aristophane

A une époque où, dans notre pays chéri, on veut supprimer le juge d’instruction à la va-vite, principalement pour ne pas finir comme Chirac et Juppé, ou encore comme Balladur et Villepin, on doit prendre toute critique du système de justice d’Athènes du Cinquième siècle avant Jésus-Christ avec un minimum de prudence. Toutefois, aux Editions de Londres, si nous nous autorisons souvent une verve jugée excessive par certains, nous nous astreignons aussi à un minimum de cohérence et souhaitons rappeler notre théorie des trois critères de la civilisation telle qu’elle est exposée dans l’article sur La peine de mort, ainsi que le problème historique du système de justice en France, comme nous le soulignons dans l’article sur L’affaire Dreyfus.

A Athènes, il n’existait pas de magistrature professionnelle. C’étaient les jurés qui assuraient l’exercice et le bon fonctionnement de la justice. Tout citoyen pouvait devenir juré à condition qu’il ait au moins trente ans. Le nombre de jurés était de six mille, chiffre qui semble assez étonnant puisqu’on estime la taille de la population d’Athènes de l’époque à peu près à vingt mille citoyens. Il y avait dix tribunaux à Athènes, et les jurés étaient appelés héliastes, du nom de la place où ils siègeaient, l’héliée, c’est-à-dire la plaza del sol en grec.

Jusque là, pourquoi pas ? Je vous l’accorde, pour une démocratie grecque pas si démocrate que ça, pas d’avocats, pas de procureurs, pas de juge…Mais on pardonne. Ils n’étaient que vingt mille, et cela fait vingt cinq siècles. Là où cela se complique, c’est encore une fois sur le traitement de la fonction publique. Et oui, payez mal vos fonctionnaires, et ils ne…fonctionnent plus du tout. Quoique les héliastes n’étaient pas fonctionnaires, ils étaient toutefois payés par le gouvernement, ou l’Etat. Or, ce radin de Périclès décide de les payer d’une obole. Résultat : les riches s’arrangent pour ne jamais être jurés, tandis que les pauvres et les mendiants en vivent. C’est là qu’intervient l’ami Cléon, une autre bête noire d’Aristophane. Il décide d’augmenter l’obole à trois oboles. Les tribunaux deviennent le terreau propice à tous les débordements démagogues. Les tyrans s’en servent pour se débarrasser de leurs adversaires politiques, et la justice s’offre au plus offrant. De plus, le contexte de politique étrangère est assez tendu, puisque Cléon cherche à rallier les mécontents afin de faire la guerre à Sparte.

Le procès des chiens

Bon, l’intrigue est assez compliquée, surtout pour une pièce courte, ou alors Les Editions de Londres étaient trop occupées à admirer le courage de pamphlétaire d’Aristophane. C’est l’histoire d’un type, Philocléon, c’est-à-dire celui qui aime Cléon, et de son fiston, Bdélikléon, qui s’y oppose. Le papa est accroc aux tribunaux, à raison de trois oboles par procès, il adore les effets de manche, et les coups de maillet sur la table. Pour le calmer de son addiction au tribunal, ou tribunalite, le fils essaie un peu tout, et finit par le laisser juger d’un différend entre deux chiens, l’un représentant Cléon, et l’autre le général Lachès, modéré et contre la guerre, comme Aristophane. Alors, pour les lecteurs des Editions de Londres qui n’ont pas encore assisté à des procès de chiens, voici enfin l’occasion que vous attendiez !

Par la suite, l’auteur s’en prend aux spectateurs, leur reproche leur passivité dans les affaires publiques, et en quelque sorte requiert leur soutien face à Cléon, car, ne l’oublions pas, Aristophane prend ici un sacré risque à une époque pas démocrate du tout, mais où les spectacles satiriques restent autorisés, une époque assez proche de la Russie de Poutine : militariste, corrompue, mais où l’on maintient le décorum de la démocratie. Les guêpes, d’ailleurs, ce sont les vieillards du chœur qui piquent les accusés de leurs dards. Pas un symbole très démocratique...A la fin, tout se termine dans la jouissance puisque Philocléon abandonne les plaisirs du tribunal pour s’adonner à ceux de l’alcool et de la chair, et revient ivre avec une prostituée sous le bras. Bon, si on considère que la licence artistique est un indicateur de progrès littéraire, avouons tout de même que « Les guêpes » sont bien plus osées que La farce de Maître Pathelin, laquelle va plus loin que Les plaideurs.

© 2011- Les Editions de Londres