Prologue 1

EVELPIDÈS

(au geai.)

Est-ce tout droit que tu me dis d’aller, du côté où l’on voit cet arbre ?

PISTHÉTÆROS,

(tenant une corneille.)

La peste te crève ! La voilà qui me croasse de revenir en arrière !

EVELPIDÈS.

Pourquoi, malheureux, sautillons-nous de haut en bas ? Nous nous tuons à chercher ainsi notre route de côté et d’autre.

PISTHÉTÆROS.

Je me suis fié, pour mon malheur, à cette corneille, qui m’a fait parcourir deux mille stades de chemin.

Et moi je me suis fié, pour mon infortune, à ce geai, qui m’a rongé les ongles des doigts.

PISTHÉTÆROS.

En quel endroit de la terre sommes-nous ? je n’en sais rien.

EVELPIDÈS.

D’ici, retrouverais-tu ta patrie, toi ?

PISTHÉTÆROS.

Non, de par Zeus ! pas plus qu’Exèkestidès.

EVELPIDÈS.

Malheur !

PISTHÉTÆROS.

Allons, mon ami, suis cette route.

EVELPIDÈS.

Certes, il nous a joué un vilain tour, cet oiseleur du marché à la volaille, ce fou de Philokratès, en me disant que ces deux guides seuls, parmi les oiseaux, nous diraient où est Tèreus, la huppe, changé en oiseau. Il nous a vendu une obole ce geai, fils de Tharrélidès, et trois oboles cette corneille qui, l’un et l’autre, ne savent rien que mordre. Eh bien ! qu’as-tu, maintenant, à ouvrir le bec ? Est-ce que tu vas encore nous mener de façon à tomber des rochers ? Ici il n’y a pas de route.

PISTHÉTÆROS.

Et ici, de par Zeus ! pas le moindre sentier.

EVELPIDÈS.

La corneille ne dit donc rien au sujet de la route ? Pas de croassements ?

PISTHÉTÆROS.

Pas plus maintenant que tout à l’heure.

EVELPIDÈS.

Enfin, que dit-elle de la route ?

PISTHÉTÆROS.

Que veux-tu qu’elle dise, sinon qu’en les rongeant, elle me mangera les doigts ?

EVELPIDÈS.

N’est-il pas étrange, assurément, que, avec notre désir d’aller aux corbeaux et nos préparatifs achevés, nous ne puissions ensuite trouver la route ? En effet, ô vous, hommes qui assistez à cet entretien, nous sommes malades du mal contraire à celui de Sakas. N’étant pas citoyen, il veut l’être à toute force, et nous qui sommes d’une tribu et d’une famille honorables, citoyens comme nos concitoyens, sans en être chassés par personne, nous prenons des deux pieds notre vol loin de notre patrie, non point par haine pour cette ville qui n’est pas seulement grande et heureusement douée par la nature, mais ouverte à tous pour y dépenser leur avoir. En effet, les cigales ne chantent qu’un ou deux mois sur les jeunes figuiers, tandis que les Athéniens chantent toute leur vie l’air des procès. Voilà pourquoi nous avons entrepris ce voyage, et comment, pourvus d’une corbeille, d’une cruche et de myrte, nous errons tous deux à la recherche d’un lieu tranquille, où nous puissions nous établir et séjourner. Nous nous dirigeons du côté de Tèreus la huppe, pour le prier de nous dire si, dans la région où il a porté son vol, il a vu quelque part cette sorte de ville.

PISTHÉTÆROS.

Holà ! hé !

EVELPIDÈS.

Qu’est-ce donc ?

PISTHÉTÆROS.

Depuis longtemps la corneille m’indique quelque chose là-haut.

EVELPIDÈS.

Et ce geai aussi ouvre le bec comme pour me montrer quelque chose. Il n’est pas possible qu’il n’y ait pas par là des oiseaux. Nous le saurons tout de suite en faisant du bruit.

PISTHÉTÆROS.

Alors, sais-tu ce qu’il faut faire ? Heurte ta jambe contre cette roche.

EVELPIDÈS.

Et toi ta tête ; ce sera un double bruit.

PISTHÉTÆROS.

Alors, toi, une pierre ; prends et frappe.

EVELPIDÈS.

Très bien, si cela te plaît. Esclave, esclave !

PISTHÉTÆROS.

Que dis-tu ? Au lieu de la Huppe, tu appelles : « Esclave ! » En place d’« Esclave ! » il te fallait crier : « Epopoï ! »

EVELPIDÈS.

Epopoï ! Veux-tu que je frappe encore une fois ? Epopoï !

LE ROITELET.

Quels sont ces gens ? Qui est-ce qui crie en appelant mon maître ?

EVELPIDÈS.

Apollôn sauveur, quelle ouverture de bec !

LE ROITELET.

Malheur à moi ! ce sont deux oiseleurs !

EVELPIDÈS.

Voilà un être affreux et d’une vilaine conversation !

LE ROITELET.

Allez tous deux à la malheure !

EVELPIDÈS.

Mais nous ne sommes pas des hommes !

LE ROITELET.

Qu’êtes-vous donc ?

EVELPIDÈS.

Je suis le Peureux, oiseau de Libye.

LE ROITELET.

Des contes !

EVELPIDÈS.

Regarde plutôt à mes pieds.

LE ROITELET.

Et l’autre ? Quel oiseau est-ce ? Tu ne parles pas ?

PISTHÉTÆROS.

Je suis l’Emmerdé, oiseau du Phasis.

EVELPIDÈS.

Et toi, quel animal es-tu, au nom des dieux ?

EVELPIDÈS.

Je suis un oiseau esclave.

EVELPIDÈS.

Tu as été vaincu par quelque coq ?

LE ROITELET.

Non pas ; mais lorsque mon maître est devenu huppe, il demanda que, moi aussi, je devinsse oiseau, afin d’avoir un compagnon et un serviteur.

EVELPIDÈS.

Est-ce qu’un oiseau a besoin d’un serviteur ?

LE ROITELET.

Lui, du moins, je le crois, parce que jadis il était homme. Tantôt il veut manger des anchois de Phalèron ; je cours lui chercher des anchois dans une écuelle ; tantôt il désire de la purée : il lui faut une cuillère et une marmite ; je cours chercher la cuillère.

EVELPIDÈS.

C’est un coureur que cet oiseau. Sais-tu ce qu’il te faut faire, Roitelet ? Appelle-nous ton maître.

LE ROITELET.

Mais, de par Zeus ! il vient de s’endormir, après avoir mangé des baies de myrte et quelques moucherons.

EVELPIDÈS.

Malgré cela, éveille-le !

LE ROITELET.

Je suis sûr qu’il va se mettre en colère ; mais, pour vous plaire, je l’éveillerai.

(Il sort.)

PISTHÉTÆROS,

(au Roitelet qui s’en va.)

Puisses-tu périr de malemort, toi qui as failli me tuer.

EVELPIDÈS.

Ah ! malheureux que je suis ! mon geai s’est envolé de frayeur.

PISTHÉTÆROS.

Tu es bien le plus lâche des animaux : ta frayeur a fait partir le geai.

EVELPIDÈS.

Dis-moi, toi-même n’as-tu pas fait partir la corneille, en tombant ?

PISTHÉTÆROS.

Non pas, de par Zeus !

EVELPIDÈS.

Où est-elle alors ?

PISTHÉTÆROS.

Elle s’est envolée.

EVELPIDÈS.

Et tu ne l’as pas fait partir ! Ô mon bon, comme tu es brave !

LA HUPPE.

Ouvre l’huis, pour que je sorte.

EVELPIDÈS.

Par Héraklès ! quel est cet animal ? Quel plumage ! Quel appendice de triple aigrette !

LA HUPPE.

Quelles sont ces gens qui me cherchent ?

EVELPIDÈS.

Les douze dieux semblent t’avoir mis en piteux état.

LA HUPPE.

Ne vous riez pas de moi en voyant mon plumage ! Car, ô étrangers, autrefois j’étais homme.

EVELPIDÈS.

Nous ne rions pas de toi.

LA HUPPE.

Mais de quoi ?

EVELPIDÈS.

Ton bec nous paraît risible.

LA HUPPE.

C’est pourtant comme cela que Sophoklès me traite indignement dans ses tragédies, moi Tèreus.

EVELPIDÈS.

Tu es donc Tèreus ? Simple oiseau ou paon ?

LA HUPPE.

Oiseau.

EVELPIDÈS.

Où sont donc tes plumes ?

LA HUPPE.

Elles sont tombées.

EVELPIDÈS.

Est-ce par suite de quelque maladie ?

LA HUPPE.

Non, mais, en hiver, tous les oiseaux muent, et nous reprenons ensuite d’autres plumes. Mais vous deux, dites-moi, qui êtes-vous ?

EVELPIDÈS.

Nous ? Des mortels.

LA HUPPE.

De quel pays ?

EVELPIDÈS.

De celui où sont les belles trières.

LA HUPPE.

Êtes-vous hèliastes ?

EVELPIDÈS.

Absolument le contraire : antihèliastes.

LA HUPPE.

On sème donc là-bas de cette graine ?

EVELPIDÈS.

Tu n’en recueillerais pas beaucoup en cherchant dans nos champs.

LA HUPPE.

Quelles pressantes affaires vous ont fait venir ici ?

EVELPIDÈS.

Le désir de converser avec toi.

LA HUPPE.

Et pourquoi ?

EVELPIDÈS.

Parce que, d’abord, tu as été homme comme nous, jadis ; parce que tu as dû de l’argent, comme nous, jadis ; parce que tu aimais à ne pas le rendre, comme nous, jadis. Puis, ayant changé ta nature en celle d’oiseau, tu as promené ton vol circulaire sur la terre et sur la mer. Et c’est la raison pour laquelle tu as l’intelligence de l’homme mêlée à celle de l’oiseau. Aussi sommes-nous venus ici tous deux vers toi te prier de nous dire s’il y a quelque cité de laine épaisse, comme une couverture moelleuse où l’on goûte le repos.

LA HUPPE.

Alors tu cherches une ville plus grande que celle des fils de Kranaos ?

EVELPIDÈS.

Pas plus grande, mais qui nous convienne mieux.

LA HUPPE.

Il est clair que tu cherches un gouvernement aristocratique.

EVELPIDÈS.

Moi ? Pas du tout : je déteste même le fils de Skellios.

LA HUPPE.

Quelle ville habiteriez-vous donc le plus volontiers ?

EVELPIDÈS.

Celle où la plus grande affaire serait d’entendre à ma porte, dès le matin, quelque ami me dire : « Au nom de Zeus Olympien, présente-toi chez moi de bonne heure, toi et tes enfants, au sortir du bain : je dois donner un repas de noces ; n’y manque pas surtout ; autrement, ne mets jamais les pieds chez moi, quand je serai dans le malheur. »

LA HUPPE.

De par Zeus ! tu as la passion des grandes infortunes ! Et toi ?

PISTHÉTÆROS.

J’ai une passion semblable, moi.

LA HUPPE.

Et laquelle ?

PISTHÉTÆROS.

Celle d’une cité où, en me rencontrant, le père d’un joli garçon me dise d’un ton de reproche, comme offensé par moi : « Vraiment, Stilbonidès, en voilà une belle conduite ! Tu rencontres mon fils revenant du bain et du gymnase, et pas un baiser, pas une parole, pas une caresse, pas un attouchement de toi, l’ami du père ! »

LA HUPPE.

Mon pauvre homme, pour quelles tristes choses tu te passionnes ! Eh bien, il y a une ville heureuse, telle que vous le dites, sur les côtes de la mer Erythræa.

EVELPIDÈS.

Malheur ! Ne nous parle pas d’une ville maritime : un beau matin on y verrait aborder la Salaminienne amenant un huissier. As-tu une ville hellénique à nous proposer ?

LA HUPPE.

Pourquoi n’iriez-vous pas habiter Lépréon, en Élis ?

EVELPIDÈS.

Par les dieux ! sans l’avoir vue, j’ai en horreur Lépréon, à cause de Mélanthios.

LA HUPPE.

Il y a encore dans la Lokris la ville des Opontiens ; vous pourriez y habiter.

EVELPIDÈS.

Mais moi je ne voudrais pas être Opontien, pour un talent d’or. Et quelle est la vie qu’on mène chez les oiseaux ? Tu dois le savoir parfaitement.

LA HUPPE.

Pas désagréable à vivre : premièrement il faut s’y passer de bourse.

EVELPIDÈS.

Vous avez ainsi retiré de la vie une grande source de fraudes.

LA HUPPE.

Notre nourriture, cueillie dans les jardins, est le sésame blanc, le myrte, les pavots et la menthe.

EVELPIDÈS.

Mais alors vous êtes en quête d’une vie de nouveaux mariés.

PISTHÉTÆROS.

Hé ! hé ! J’entrevois un grand dessein pour la race des oiseaux : elle deviendrait puissante, si vous m’obéissiez.

LA HUPPE.

Et comment t’obéirions-nous ?

PISTHÉTÆROS.

Comment vous m’obéiriez ? Tout d’abord ne voltigez pas n’importe où, bec ouvert : c’est une habitude malséante. Chez nous quand il y a des gens volages, on dit : « Quel est cet oiseau ? » Et Téléas répond : « C’est un homme sans équilibre, un oiseau qui vole, un être inconsidéré, qui ne saurait jamais rester en place.  »

LA HUPPE.

Par Dionysos ! tes railleries portent juste. Que pourrions-nous donc faire ?

PISTHÉTÆROS.

Bâtissez une ville.

LA HUPPE.

Et quelle ville bâtirions-nous, nous autres oiseaux ?

PISTHÉTÆROS.

Vrai ? Oh ! la sotte parole lâchée ! Regarde en bas.

LA HUPPE.

Je regarde.

PISTHÉTÆROS.

Tourne le cou.

LA HUPPE.

De par Zeus ! quelle jouissance, si je me déboîte la tête !

PISTHÉTÆROS.

As-tu vu quelque chose ?

LA HUPPE.

Oui, les nuages et le ciel.

PISTHÉTÆROS.

Eh bien ! n’est-ce pas le pôle des oiseaux ?

LA HUPPE.

Le pôle ? Comment cela ?

PISTHÉTÆROS.

Comme qui dirait le lieu. Attendu que cela tourne et traverse tout, on l’appelle pôle. Une fois bâti et fortifié par vous, on l’appellera police. Alors vous régnerez sur les hommes, ainsi que sur les sauterelles ; et les dieux, vous les ferez mourir de faim comme les Mèliens.

LA HUPPE.

De quelle manière ?

PISTHÉTÆROS.

L’air est entre le ciel et la terre ; et de même que, quand nous voulons aller à Delphœ, nous demandons passage aux Bœotiens, ainsi, quand les hommes sacrifieront aux dieux, si les dieux ne nous paient pas tribut, votre ville, étrangère pour eux, et l’espace empêcheront de monter la fumée des cuisses.

LA HUPPE.

Iou ! Iou ! Par la Terre, les filets, les nuées, les rets, je n’ai jamais entendu dessein mieux imaginé. Aussi suis-je tout prêt à bâtir la ville avec toi, si le projet a l’approbation des autres oiseaux.

PISTHÉTÆROS.

Qui donc leur exposera l’affaire ?

LA HUPPE.

Toi. Jadis ils étaient barbares ; mais moi je leur ai enseigné le langage, depuis mon long séjour avec eux.

PISTHÉTÆROS.

Comment les convoqueras-tu ?

LA HUPPE.

Aisément. Je vais entrer tout de suite dans le taillis, éveiller ma chère Aèdôn, et nous leur ferons appel. Dès qu’ils auront entendu notre voix, ils voleront ici à tire-d’ailes.

PISTHÉTÆROS.

Ô toi, le plus aimable des oiseaux, ne tarde pas davantage. Je t’en prie, entre au plus vite dans le taillis, et éveille Aèdôn.