Préface des Editions de Londres

« Lysistrata », d’Aristophane est écrite et représentée en 411 avant Jésus-Christ.

En cette fin du siècle de Périclès, la situation politique n’est pas rose. Les Lacédémoniens sont à quelques kilomètres d’Athènes, et Athènes la superbe, l’arrogante (l’équivalent du Paris de l’époque) perd tour à tour tous ses alliés, pour lesquels en temps de paix elle n’éprouvait que mépris. Comme les deux principales puissances militaires étaient Sparte et Athènes, c’est tout le monde grec qui menace de tomber sous la férule de Sparte et donc de manger un jour le gras des viandes et les noyaux des olives.

Comme nous l’avons déjà expliqué dans l’article sur Aristophane, le poète grec est en dépit de son admiration pour Eschyle et ses coryphées guerriers un partisan convaincu de la paix. Il imagine alors une situation où, menées par Lysistrata, toutes les femmes d’Athènes se mettent à faire la grève du sexe. Elles braveront la tentation et refuseront leur couche à leurs maris jusqu’à ce que la guerre cesse. Elles ne s’en arrêtent pas là et s’emparent de l’Acropole, mal gardée par quelques vieillards, où se trouve l’argent, qui comme on le sait, est le nerf de la guerre et le marchepied du sexe. Les époux frustrés finiront par céder et la paix sera déclarée.

C’est à propos de cette pièce que l’on observe la plus forte dispersion des critiques. Evidemment, il y a ceux qui commencent à imaginer Aristophane avec des fleurs dans les cheveux, un trois feuilles à la main, en train de chantonner « Make love not war » ou en inspirateur de « Guerre et paix » de Tolstoï (dont on prétend d’ailleurs que ce n’était pas le titre original, mais « War, what is it good for ? ») Puis il y a ceux qui continuent à jouer les vierges offensées, ou encore à se plaindre. En effet, pour beaucoup de nos écrivaillons et de nos critiques, la civilisation classique c’est tout de même le refuge de leurs fantasmes de société idéale, esthétique, esclavagiste, pure, propre, où les femmes sont à leur place. Et pour ces gens-là, Aristophane n’est pas une anomalie, c’est une erreur, une voix, un rire, des gros mots qui nous parviennent du fond des âges, alors qu’ils ne devraient pas nous parvenir. Bon, on a tout de même réussi à en perdre trente-trois sur quarante-quatre, de ces pièces, un des plus gros pourcentages du monde classique, mais il en reste tout de même un paquet, et cela n’est pas acceptable. Aristophane, c’est la mouche du coche dans leur petit monde rêvé sous cloche.

Tout le monde s’accorde à dire que Lysistrata est une des meilleures comédies d’Aristophane. Alors, outre la bêtise de nos ancêtres et de nos contemporains, pourquoi cette mise à l’index ? Pourquoi ne l’étudie t-on pas plus dans les écoles ? La réponse, dans notre monde malgré tout dominé par les fantasmes et les défauts des hommes, c’est : trop de liberté accordée aux femmes. Dans Lysistrata, ce sont elles qui les profèrent, les obscénités. Deux mille cinq cents ans avant Ally Mc Beal, elles parlent de la taille du sexe des hommes sans pouffer. C’est sans la moindre pudeur qu’elles évoquent le plaisir du sexe, l’envie du mâle et qu’elles étalent sur la place publique la force de leurs appétits sexuels. Cela, même à notre époque, reste pour beaucoup difficile à encaisser. Alors, les beaux discours sur la paix, euh, très bien, mais le plus important c’est de rester à sa place. Naturellement, il était à prévoir que Les Editions de Londres y mettraient leur veto.

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