AVANT-PROPOS

En l'an de grâce 1754, sous le règne de Louis XV, M. de Voltaire mandait à son ami le prince de Ligne, qui voyageait en Hollande :

Mon cher prince,

Vous n'ignorez point qu'en France, depuis 1681, une société de « partisans », moyennant une redevance annuelle de soixante millions, a le droit de percevoir tous les impôts, douanes, gabelles, domaines et même tabacs.

Ces gens, connus sous le nom de fermiers généraux, réalisent ainsi des bénéfices incalculables, qui leur permettent de mener joyeuse vie...

On me conte, à ce sujet, une assez piquante anecdote... Sa Majesté Louis XV se promenait un jour aux environs de Fontainebleau, en compagnie de son exquise amie, la marquise de Pompadour, lorsque son attention fut attirée par une très luxueuse maison de plaisance, qui s'élevait au milieu d'un parc féerique.

À qui cette « folie » ? interrogea le roi.

Sire, au fermier général Bouret d'Érigny, répliqua un courtisan de la suite.

Et ces bois magnifiques ?

Sire, à M. Bouret d'Érigny.

Et tous ces champs fertiles, qui s'étendent à perte de vue ?

Sire, à M. Bouret d'Érigny.

Et, là-bas, ce splendide château, qui domine la vallée de la Seine ?

— Sire, à M. Bouret d'Érigny.

Et Sa Majesté de s'exclamer :

— Mais c'est donc un vrai marquis de Carabas !

Jugez, mon cher prince, d'après un tel luxe, combien grande doit être la misère en notre pays de France...

Dans les villages, on ne voit que pauvres gens qui sont jetés hors de leurs demeures, et dont les meubles sont vendus à l'encan, parce qu'ils n'ont pu payer leur tribut à messieurs « les partisans »...

On me raconte que des familles entières en sont réduites à camper dans les bois ou à se réfugier dans des carrières abandonnées, où elles achèvent de mourir de faim et de froid...

Puisse, un jour prochain, surgir un homme assez audacieux pour venger tous ces malheureux !...

VOLTAIRE.

Le vœu de l'illustre écrivain n'allait pas tarder à être exaucé... Un jeune paysan, à l'âme exaltée d'aventurier sans peur, sans frein et sans scrupules, mais au cœur parfois magnanime et toujours généreux, allait lever l'étendard de la révolte, faisant bientôt trembler, au fond de leurs somptueuses résidences, ces fermiers généraux, terreur et opprobre des pauvres gens.

Il se nommait Louis Mandrin...

Et c'est sa tragique et véridique histoire, toute remplie d'exploits fabuleux, dont le souvenir est demeuré parmi nous légendaire, que nous avons entrepris de raconter à nos lecteurs.

ARTHUR BERNÈDE