Préface des Éditions de Londres

« Monsieur Lecoq » est un roman policier d’Émile Gaboriau publie en 1869. C’est, avec L’affaire Lerouge, le roman le plus célèbre d’Emile Gaboriau. C’est aussi l’un de ses plus longs.

L’intrigue en bref

Dans un lieu de débauche et de beuverie nommé à propos « La poivrière », un crime terrible vient d’être commis. Le jeune inspecteur Lecoq enquête et arrête un saltimbanque du nom de Moi. Mais les manières de ce saltimbanque pas comme les autres intriguent Lecoq : et s’il s’agissait du duc de Sairmeuse ? Pour résoudre l’énigme, Lecoq devra remonter le temps et découvrir la lutte qui oppose deux familles autour d’un terrible secret.

La structure

Gaboriau est fidèle à la structure qu’il emploie presque toujours : une première partie descriptive qui en général ressemble à ceci : le crime, la découverte du crime, l’enquête initiale, l’arrivée de Lecoq, les premiers indices, les avancées rapides, le blocage, la disparition de Lecoq (lequel souvent se déguise afin de tendre un piège à ceux qu’il soupçonne), puis le dénouement final. La deuxième partie ressemble a un roman historique, et est censé apporter l’éclairage final aux motifs du criminel et aux origines du crime que l’on trouve dans le passé du criminel et de la victime.

La société du Second Empire vue par Gaboriau

Avec Gaboriau, il y a toujours un problème lié à la noblesse et au sentiment profond de son déclin et du triste ridicule de sa situation dans un Second Empire bourgeois où le noble sert souvent de parure conjugale au bourgeois qui peut tout acheter avec son argent. Si Gaboriau moque cette obstination de la noblesse à ne pas accepter son sort, poussant parfois à la schizophrénie et au crime, il éprouve peut-être une sorte de pitié ou d’admiration, ou encore de nostalgie pour une époque révolue. En revanche, le règne du bourgeois, il ne l’aime pas, et il le fait savoir. Dans ce monde fortement divisé en classes sociales, Lecoq est avant tout la personnification de l’homme exceptionnel et de son temps à la fois. Lecoq n’a pas d’attaches, pas de passé, il doit toujours compter sur lui-même, mais il a pour lui l’autorité conférée par un système de justice un peu mieux réglé depuis le Dix-neuvième siècle. Finalement, la bourgeoisie industrielle et commerçante, en favorisant l’émergence d’un système de justice moderne, a probablement donné le pouvoir aux policiers, créant ainsi un genre littéraire marqué par la critique sociale et qui n’en finit pas d’évoluer avec les évolutions de la société qu’elle analyse, décortique et régurgite pour le lecteur ébahi.

Les mystérieuses origines de Lecoq

« Monsieur Lecoq », c’est un peu la jeunesse de Lecoq. Si on est immédiatement impressionné par ses talents de détective dans L’affaire Lerouge, on n’est franchement pas deçu ici. Lecoq est présenté comme ayant à peu près vingt-cinq ou vingt-six ans. Il en est aux débuts de sa collaboration avec Tabaret. Il existe plusieurs versions de la genèse de Lecoq. Dans L’affaire Lerouge, Gaboriau le présente comme un ancien criminel, qui s’est depuis reformé et est entré dans la police. Puis dans Le crime d’Orcival, Lecoq aurait commencé sa carrière comme assistant d’un astronome. Et dans « Monsieur Lecoq », c’est une nouvelle version qui nous est proposée par Gaboriau : Lecoq vient d’une riche famille normande, ses parents sont ruinés et meurent, il devient l’assistant d’un astronome, mais après cinq ans, il en a assez et imagine des escroqueries. Par curiosité ou conscience morale, il en parle à l’astronome. Celui-ci le décourage et lui explique qu’il a le choix entre devenir voleur et policier. Lecoq choisira la voie de la police.

On voit clairement que le Lecoq des débuts (celui de L’affaire Lerouge est inspiré par l’histoire d’Eugène-François Vidocq, puis le personnage gagne en complexité, et en personnalité.

Et il culmine dans ce roman. C’est du grand Lecoq. Après cette lecture, on comprend pourquoi il fut l’inspiration de Sherlock Holmes et d’Arsène Lupin. Lecoq combine la persévérance, l’obstination, la monomanie de Holmes, mais il a la gouaille, le franc-parler, l’anticonformisme, et le pragmatisme de Lupin. Pour la première fois, un héros de littérature policière est doté par son auteur d’une vraie personnalité humaine. Il n’est plus pur cerveau comme le Dupin de Poe, il est inscrit dans une époque, il a de multiples cordes à son arc, il a des problèmes avec sa hiérarchie, il a un mentor en la personne de Tabaret, et contrairement à Lupin, il n’est pas chevaleresque et n’a pas de pitié ; contrairement à Holmes, il a une vraie relation avec la plèbe et la pègre, ce n’est pas un cerveau pur avec des jambes qui courent vite. Lecoq est un grand détective. « Monsieur Lecoq » est le roman pour le découvrir.

L’histoire de Lecoq vue par Gaboriau

« Il s’appelait Lecoq. C’était un garçon de vingt-cinq à vingt-six ans, presque imberbe, pâle, avec la lèvre rouge et d’abondants cheveux noirs ondés. Il était un peu petit, mais bien pris, et ses moindres mouvements trahissaient une vigueur peu commune. En lui, d’ailleurs, rien de remarquable, sinon l’œil, qui selon sa volonté, étincelait ou s’éteignait comme le feu d’un phare à éclipses, et le nez, dont les ailes larges et charnues avaient une surprenante mobilité. Fils d’une riche et honorable famille de Normandie, Lecoq avait reçu une bonne et solide éducation. Il commençait son droit à Paris, quand dans la même semaine, coup sur coup, il apprit que son père, complètement ruiné, venait de mourir, et que sa mère ne lui avait survécu que quelques heures. Désormais il était seul au monde, sans ressources…, et il fallait vivre. ».

Puis il se décide d’embrasser la carrière de policier : « La police ne lui inspirait aucune répugnance, loin de là. Souvent il avait admiré cette mystérieuse puissance dont la volonté est rue de Jérusalem et la main partout ; qu’on ne voit ni n’entend, et qui néanmoins entend et voit tout. ».

Mais ses vraies raisons sont romanesques : « Il fut séduit par la perspective d’être l’instrument de cette Providence au petit pied. Il entrevit un utile et honorable emploi du génie particulier qui lui avait été départi, une existence d’émotions et de luttes passionnées, des aventures inouïes, et au bout la célébrité. »

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